Je rêve d’un Etat où le loup et l’agneau boiraient ensemble, en toute quiétude, l’eau du même ruisseau. Mais je ne me contente pas de rêver, je construis. (Amin Maalouf, Samarcande)
En ce dimanche de Pâques, nous saisissons l’occasion de cette fête pour converser un peu avec nos lecteurs, rétablissant la fonction quasi-épistolaire des éditoriaux, dont la nature protéiforme et indéterminée se fait tour à tour article, billet, ou apostrophe. Mais avant de poursuivre, bien que notre Muse soit à l’image de notre République, c’est-à-dire laïque et ne promouvant pas de religion en particulier, force est de reconnaître l’héritage chrétien, qu’il soit dangereusement schismatique du côté des anthems purcelliens, ou réformé chez notre Cantor favori, qui infuse l’histoire de la musique, et a donné lieu à tant d’œuvres, de motets en cantates, de leçons de ténèbres en oratorios. Et donc pour célébrer cette Pâque, on regrette bien, d’un point de vue musical, que les voûtes de nos temples ou églises ne résonnent que peu au son des cuivres et des timbales, ce qui conduira nombre d’entre vous à rechercher dans leur discothèque la trilogie qui s’impose pour ce dimanche : l’Oratorio de Pâques, par exemple dans la version épurée et droite d’Andrew Parrott (Virgin), la rutilante BWV 31 « Der Himmel lacht, die Erde jubilieret » poitrinée au quart de ton avec une ferveur irrésistible (mais une justesse très douteuse) du côté du Concentus Musicus Wien (Teldec), et la BWV 4 si différente, d’une intériorité puissante, pour laquelle nous recommandons l’ampleur noble de Gardiner (Soli Deo Gloria).
Le fond musical étant sélectionné, on se faufile vers la bibliothèque aux rayonnages surchargés, où un bref rappel de théologie n’est souvent pas vain, avant de s’ébattre dans le jardin pour chercher des œufs géants en chocolat. Et évidemment, entre un Dictionnaire de la Musique de Rousseau poussiéreux à souhait (ce qui n’est qu’une maigre pénitence pour ses vils assauts contre la tragédie lyrique à la française), on trouve un in-12 qui n’a l’air de rien, et qui innocemment, se propose de nous éclaircir. Que nous dit donc le Dictionnaire abrégé de la Bible pour la connaissance des Tableaux historiques tirés de la Bible-même, & de Flavius Josèphe, à Paris, chez Desaint & Nyon, Libraires rue St. Jean-de-Beauvais, vis-à-vis le Collège, paru en 1777 ?
PAQUES, c’est-à-dire passage. Il y a deux passages célèbres, celui de la Mer-Rouge, après lequel Marie, sœur de Moïse, suivie de ses compagnes, chanta le cantique de la délivrance ; et un autre appellé passage de l’Ange exterminateur qui épargna en Egypte ceux dont les maisons étoient marquées du sang de l’Agneau immolé. Pâques étoient la plus grande fête des Hébreux, & elle est encore très-grande parmi les Chrétiens qui la célèbrent en mémoire de la résurrection du Sauveur. Cette fête fut instituée pour conserver la mémoire de l’Ange exterminateur à la sortie d’Egypte & de la délivrance de la servitude de Pharaon. Les Juifs devaient ce jour-là manger un agneau rôti, avec du pain sans levain et des laitues sauvages. Ils ne devaient pas casser un seul os de cet Agneau, ni en réserver pour le lendemain, étant obligé de brûler ce qu’il en restoit. On devait manger debout, un bâton à la main, comme on le fit la veille de la sortie d’Egypte. Cette fête étoit si sévèrement ordonnée, que celui qui ne la célébroit pas étoit condamné à mort.
Mais légitimement, ce passage vous interroge sur un autre cheminement, bien plus humble, maintes fois attendu, sans cesse souhaité, si bien qu’il en devient une espérance mythique, une échéance infinie, un aboutissement idéal. La Nouvelle Muse, sorte de champs élyséens du baroque, où les chroniques et compte-rendus fleurissement sur un canevas d’une lisibilité pénétrante, à la lumineuse transparence, à l’allure nonchalante mais rigoureuse, badine et érudite. Nous vous demandons – que dis-je – nous vous prions, vous exhortons de ne pas perdre patience, et de penser à la petite phalange qui affronte les Alpes techniques des transferts de pages sans disposer des éléphants d’Hannibal. Passer à la Nouvelle Muse, c’est un peu inaugurer la presse de Gutenberg et remiser nos vieilles plumes, et ce saut dans la modernité s’avère plus complexe qu’effrayant.
Vous vous êtes également réjouis de la parution de davantage de chroniques d’évènements, notamment d’expositions. Ce nouvel afflux n’a pas vocation à dénaturer notre centre d’intérêt principal, i.e. prima la musica. Mais la très riche actualité culturelle du moment, du Vernis Martin aux traits de sanguine, ne pouvait nous laisser indifférent, et la musique baroque ne se peut comprendre en vase clos, sans aborder les autres arts et le mode de vie de cette époque à laquelle nous avons dédié nos pages.
Vous avez déploré les retards de publications, notamment sur les parutions discographiques, où la Muse a résolument tourné le dos au temps réel si inhérent à l’ère du temps. Cet état de fait puise ses causes dans deux sources : la première, l’accent mis sur la parution rapide des articles relatifs aux concerts, qui par nature se doivent d’être disponibles au plus près de l’évènement, dans un contexte tendu en termes de ressources. La seconde, la volonté, un brin rebelle et délibérée, de laisser l’objet disque vivre une temporalité plus étendue, de parler aussi bien de rééditions, de disques anciens mais incontournables que de nouveautés, et de ne pas se précipiter à la nodule postées sur un réseau social bleuté pile le jour de l’apparition dans les bacs. De se dire que par définition, le disque appelle à l’écoute répétée, à la répétition, au choix juste des références parmi l’éventail des possibles. Et plutôt que de se ruer à critiquer le dernier récital à la mode, nous prenons parfois le temps de publier à la place un billet relatif à un obscur opus de clavecin paru il y a 3 mois. C’est peut-être irrationnel en termes d’audience, mais – crénom – cela fait aussi du bien.
Viet-Linh Nguyen
Étiquettes : Viet-Linh Nguyen Dernière modification: 16 juin 2014