Patrick Süskind,
La Contrebasse, Clovis Cornillac
[clear]
Patrick Süskind
La Contrebasse
Clovis Cornillac
Mise en scène et lumière Daniel BENOIN
Décor Jean-Pierre LAPORTE
Costumes Nathalie BERARD-BENOIN
Traduction française de Bernard Lortholary, Editions Fayard
Représentation du 16 avril 2014, Théâtre de Paris.
[clear]
On ne présente plus La Contrebasse, publiée en 1981 par Patrick Suskind. Le bref court roman, d’une belle concision, retrace le portrait de ce musicien de l’Orchestre National, où à travers une relation d’amour-haine avec l’instrument sont passés au crible tantôt ironique, tantôt désespéré, le portrait d’une vie d’artiste aux illusions musicales comme amoureuses déçues, à l’amertume d’une Sarabande, solitaire mais en musique. Voilà environ 20 ans, Jacques Villeret a habité le personnage, jusqu’à le hanter jusqu’à la trame, tel un Luchini et son Céline. Nous n’y étions pas, et ne nous risquerons donc pas au jeu de la comparaison ou du regret.
Clovis Cornillac livre une belle performance de son musicien fonctionnaire, cloîtré et buveur, s’épanchant avec humour et vivacité dans un intérieur bleuté et aseptisé, où trône la contrebasse recouverte de son beau vernis luisant. Le décor de Jean-Pierre Laporte, sobre et efficace, traduisant à merveille ce cocon insonorisé et vide, joue sur les placards omniprésents, qui recèle une impressionnante collection de vinyles, ou encore la penderie. La prestation est légère et brillante, crédible et vive, savoureuse dans ses charges anti-Wagner, entrecoupé d’extraits musicaux. Elle appelle souvent le sourire, se fait confidence ou discours, entre deux canettes de bières que le personnage avale à tour va, et l’heure et demie passe telle une valse viennoise. On regrettera toutefois que l’incarnation demeure trop extérieure, très démonstrative, trop satisfaite pour cerner cette âme secrète, fière et blessée. On attendait plus de subtilité dans le portrait de ce troisième pupitre de l’Orchestre national, amoureux d’une jeune mezzo qui monte, et qui se rend compte de sa médiocrité passive. Cornillac, c’est un Scarlatti là où l’on aurait voulu du Couperin, et l’art ne sait pas se dissimuler sous la nature. Les éclats ? Redoutablement factices. Les plaisanteries ? Attendues. Le rythme ? Sacrément calibré. Un exemple de cette mécanique bien huilée ? La manière dont l’acteur attend les réactions du public, leurs rires, avant de poursuivre son discours. Comme si la Contrebasse était un one man show et non une confession subtile et pudique. Alors on admire les talents de l’acteur et sa capacité à saisir le texte et à le mener à bon port, en oubliant quelque peu l’humanité fragile de ce personnage touchant, qui se rend soudainement compte qu’il est passé à côté de quelque chose. Sa vie.
[clear]
[clear]
La contrebasse, c’est aussi l’occasion pour nous de rappeler l’histoire de l’instrument, plus ancienne qu’on ne le pense souvent à force d’écouter du Beethoven ou du jazz, puisque même si elle ne gagne les rangs de l’orchestre de l’Académie Royale de Musique qu’au début du XVIIIème siècle avec Michel Pignolet de Montéclair (vers 1700) au retour de son voyage en Italie, la contrebasse est présente en Europe dès le XVIe ou début du XVIIème siècle. Nous sommes personnellement convaincus, un peu à la manière d’un Bruno Cocset que la distinction entre violone, contrebasse de viole de gambe et contrebasse a parfois donné lieu à une porosité inventive face à l’audace des facteurs et selon les sources on trouve ainsi une date de naissance flottante. On trouve d’ailleurs des exemplaires issus de facteurs français très précoces, comme celui d’Azan Wilhelm (Aix en Provence, 1605) conservé au Musée de la Musique.
[clear]
A cette époque, on la rencontre munie de trois, quatre, cinq ou six cordes. Praetorius en cite cinq en 1619 dans son Syntagma Musicum. Mais il faut rapidement rappeler que si la contrebasse appartient bien à la famille des violons, elle ne descend pas de la viola da braccio mais plutôt de la basse de viole, ce qui en fait un hybride. Nombre de cordes, spirale et chevalet relèvent de la famille des violons, tandis que la forme des épaules, la table inférieure plate et oblique vers le haut ou les larges éclisses penchent du côté des violes. D’ailleurs, même la tenue de l’archet continue de réfléter cette ambivalence, à la manière du violon dans l’école française, à la manière de la viole dans l’école allemande. Quoiqu’il en soit, en 1663, Chabanceau de La Barre est contrebassiste dans la Musique du roi et on la retrouve dans la fosse de l’Alcyone de Marais (1706), et comme le cite justement Susskind, on doit au prolifique Karl Ditters von Dittersdorf des concertos pour contrebasse aussi élégants que décoratif qu’on pourra écouter dans la version de bon ton de Paul Goodwin (Hyperion), même si le compositeur classique fut plus inspiré dans son obscur oratorio Giob très pré-mozartien qu’on découvrira avec bonheur chez CPO, ou dans un éloquent Requiem avec les Regensburger Domspatzen dirigé par le frère du Pape émérite Ratzinger (Ars Musici).
[clear]
[clear]
Mais, pour en revenir à la contrebasse, on invitera nos lecteurs à se replonger soit dans l’histoire des contrebasses à cordes de Paul Brun (La Flûte de Pan, 1982) qui décrit avec précision les contrebasses et leurs évolutions, soit dans le riche fond du Musée de la Cité de la Musique, où l’on trouve rien que pour nos époques des instruments signés d’Azan Wilhelm (XVIIe siècle), François Gaviniès, Benoît Fleury, Nicolas Augustin Chappuy, ou Jacques Lafleur (XVIIIe siècle). Et l’on démentira ainsi la citation de Süskind aussi ravageuse que fausse : « Une contrebasse, c’est plutôt, comment dire, un embarras qu’un instrument. ».
Viet-Linh Nguyen
Théâtre de Paris
A partir du 16 janvier 2014
15, rue Blanche
75009 Paris
Tél. 01 42 80 01 81
Jusqu’au 3 mai 2014 pour 100 représentations, du mardi au samedi.