Rédigé par 13 h 04 min CDs & DVDs, Critiques

Menu Plaisir ! (Festin Royal, Kossenko, Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie, Château de Versailles Spectacles)

Première suite :

François Francoeur (1698-1787),
Ouverture, air ajouté à Armide de Lully (1745 ou 1761)
Air grave / gai, air ajouté au Ballet de la Paix, 2ème entrée : Iphis et Iante (1769)

Pierre-Montan Berton (1727-1780)
Air vif, air ajouté à Camille et les Volsques de Campra (1760)

René de Galard de Béarn, Marquis de Brassac (1698-1771)
Air, L’Empire de l’Amour, 3ème entrée : Les Génies du Feu (1733)

Antoine Dauvergne (1713-1797)
Air gay, Enée et Lavinie (1758)

Pancrace Royer (1703-1755)
Rondeau gracieux et tendre, Zaïde (1739)
Chasse en rondeau, Zaïde (1739)

François Francoeur,
Chaconne, Air ajouté au Ballet de la paix, 2ème entrée : Iphis et Iante (1738)

 Deuxième suite :

 François Francoeur,
Ouverture, Scanderberg (1735)

Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Air majestueux, Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, 2ème entrée : Canope (1747)

François Francoeur,
Air gracieux, air ajouté à Pyrame et Thisbé (1771)
Air vif, Recueil de différents airs de symphonie de M. Francoeur,
Première et deuxième Gavottes, airs ajoutés à Armide de Lully (1745 ou 1761)

Antoine Dauvergne
Air très vif, Enée et Lavinie (1758)

François Francoeur,
Air marqué, air du Ballet de la Félicité (1745), remis dans Scanderberg (1771)

Bernard de Bury (1720-1785),
Air en chaconne vive, air ajouté à Armide de Lully (1770)

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772)
Première & Deuxième Gavottes, Isbé (1742)

François Francoeur,
Air vif, Recueil de différents airs de symphonie de M. Francoeur,

Jean-Philippe Rameau
Première et Deuxième Gavottes, Dardanus (1744)

François Francoeur,
Contredanse, Recueil de différents airs de symphonie de M. Francoeur,

Troisième suite :  

Jean-Philippe Rameau,
Marche, Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour (1747)

Bernard de Bury,
Air lent, Hylas et Zélis (1762)
Rondeau léger, Hylas et Zélis (1762)

Jean-Philippe Rameau,
Rondeau gracieux, Les Surprises de l’Amour, Acte I : L’Enlèvement d’Adonis (1748 & 1757)
Air vif, Hippolyte et Aricie (1757)

Joseph Hyacinthe Ferrand(1709-1791),
Rondeaux gracieux, Zélie (1749),

Jean-Claude Trial (1732-1771),
Contredanse vive, Les Fêtes de Flore (1770)

François Francoeur,
Chaconne, Le Prince de Noisy (1749)

Pierre-Montan Berton,
Chaconne, air ajouté à Iphigénie en Tauride de Desmarest et Campra (1761)

Quatrième suite « mêlée de trompette, timbales et cors »,

Jean-Philippe Rameau
Ouverture, Zaïs (1748),
Menuet gracieux, Le Temple de la Gloire (1745),
Rondeau, Dardanus (1748),

François Francoeur,
Air tendre, air ajouté à La Rosière de Salency (1769)
Air en rondeau, air ajouté à Armide de Lully (1745 ou 1761)

Louis Granier (1725-1800),
Air gracieux

Antoine Dauvergne,
Entrée de chasseurs, Enée et Lavinie (1758)

François Francoeur,
Premier et Deuxième Rondeau, air ajouté à Pyrame et Thisbé (1771)
Rondeau gai, Le Prince de Noisy (1749),

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville,
Musette, Titon et l’Aurore (1753)
Musette, Le Carnaval du Parnasse (1749)

François Rebel (1701-1775) et François Francoeur,
Premier menuet (Rebel) et Deuxième Menuet (Francoeur), air ajouté à l’Europe Galante de Campra (1755, 1764 et 1768)

Pancrace Royer,
Chaconne, Pyrrhus (1730),

Jean Philippe Rameau,
Premier et Deuxième Tambourins, Dardanus (1744)

Festin Royal du Mariage du Comte d’Artois, Versailles 1773,
Alexis Kossenko, Les Ambassadeurs, La Grande Ecurie,
Château de Versailles Spectacles, 2023. 2 CD, 125 minutes.

Il y a bien sûr le tintement de la cristallerie, l’entrechoquement de l’argenterie et l’éclat forcément sonore des changements de porcelaines. Ajoutez à cela le brouhaha des conversations et une assemblée, nombreuse, dont les goûts et l’éducation musicale s’avèrent hétérogènes. Vraiment, la musique à un dîner de noces frôle l’incongruité, renvoie à une quasi hérésie. Alors, pour emporter l’adhésion et éviter que les épousailles ne soient précocement ternes, il est bon d’user de quelques artifices. A défaut d’un électronique Guetta aux basses amplifiées, usez d’une belle phalange de musiciens, réhaussez le propos de quelques traits de mélodieuses et chatoyantes flutes et surtout, soignez la programmation, en incorporant dans les œuvres servies uniquement des airs gais, chics et entrainants, à même de se lover dans une séduisante pompe, emportant votre assemblée dans les ritournelles des plats les plus variés.

La recette, d’une apparente simplicité mais d’une mise en œuvre autrement plus ardue et onéreuse, fut appliquée à la lettre en 1773 pour le mariage du Comte d’Artois (le futur Charles X, fils de Louis XV, frère de Louis XVI et de Louis XVIII), dont le présent enregistrement nous faire revivre la partition musicale, sous la houlette d’Alexis Kossenko, dirigeant avec autant de talent que d’assurance, et une cadence rythmique symptomatique de la musique de cour, l’orchestre des Ambassadeurs-La Grande Ecurie, en grands effectifs pour évoquer la mesure originale gargantuesque de l’époque. Les archives de la Musique du Roi mentionnent en effet pour l’évènement en 1773 pas moins de 78 musiciens, dont 34 violons et altos, pas moins de 15 violoncelles, 3 contrebasses, 10 flûtes et hautbois, 2 clarinettes, 6 bassons, 3 cors, 1 trompette, 1 timbale et 3 tambourins. De quoi assurément couvrir les velléités babillardes d’une assemblée souvent dissipée.

Bénéficiant d’importants moyens et à la tête de quelques 70 musiciens, Alexis Kossenko dompte son effectif et ce qui aurait pu facilement virer au tintamarre difficilement audible s’avère au contraire un constant plaisir d’écoute, le chef ne surjouant jamais la majesté un peu pompeuse de nombre de pièces du programme, s’évertuant au contraire avec succès à maîtriser le relief entre les instruments, habile à laisser les différentes familles instrumentales s’épanouir, tempérant les cors ou surlignant quelques traits de flutes pour réactiver l’attention du public dans l’enchainement des pièces. Une direction d’une indéniable réussite, avec des effectifs peu communs pour le baroque et dont les couleurs de l’orchestre, à la fois chaudes et alternant entre fougue et tempérance, nous procurent un plaisir d’écoute qui ne pâli pas au fil de l’enchaînement des séquences.

Car au-delà de la qualité propre des interprètes et d’une qualité d’enregistrement commune au label, c’est bien les œuvres jouées qui nous réservent ou quelques charmantes retrouvailles avec des pièces agréables, ou quelques incursions dans un répertoire plus confidentiel à même d’éveiller notre curiosité.

Le faste de l’évènement nécessitait, nous l’avons dit, quelques concessions à la recherche de l’originalité. D’où une programmation principalement constituée d’ouvertures et de suites orchestrales tirées des grands opéras français ayant jalonnés la création musicale des quatre décennies précédant l’évènement, avec cette habitude, qui peut de nos jours passer pour outrecuidante, de rajouter à l’occasion de nouvelles représentations d’une œuvre ancienne, danses ou airs nouveaux, pour plaire à l’évolution du goût du public, restructurer une œuvre qui apparaît souffrir de certaines baisses de rythmes, ou plus simplement réorchestrer certains passages, toujours avec les mêmes finalités. Des œuvres à géométries variables donc, dont le présent programme offre quelques beaux exemples, remettant au passage en lumière quelques compositeurs ayant longtemps œuvrés dans ces compositions de « seconde mains » avec des bonheurs variables, n’arrivant pas toujours à connaître une gloire durable avec leurs propres musiques.

François Francoeur (1698-1787), par essence associé à la musique de cour sous Louis XV et ayant beaucoup composé en ajout à des œuvres existantes, se voit assez normalement grandement représenté dans ce programme, nous gratifiant en ouverture de la première suite d’un Air ajouté à l’Armide de Lully (à l’occasion de la reprise de 1745 ou de 1761), à la fois solennel, doté d’une pompe de cour mais sachant rester enjoué et du plus bel effet, auquel succède le nom moins intéressant Air grave/gai ajouté au Ballet de la Paix, 2ème entrée de Iphis et Iante, de ce même Francoeur, dont on apprécie l’équilibre entre flutes et cors, ainsi que la justesse des reprises mélodiques au violon, bel exemple de la maitrise de direction d’Alexis Kossenko.

Le programme prend alors des allures de déambulation dans le répertoire de la musique française du premier dix-huitième siècle, où l’on croise les noms de Pierre-Montan Berton, René de Gallard du Béarn ou encore d’Antoine Dauvergne, le temps d’un Air gai aux puissants et majestueux cors, tiré de son Enée et Lavinie (1758), ou cette très belle chasse en rondeau issue de la Zaïde (1739) de Pancrace Royer. Mais c’est à François Francoeur que nous revenons pour l’ouverture de Scanderberg (1735) (sur un livret de Houdar de la Motte, à ne pas confondre avec la composition éponyme de Vivaldi en 1718), véritable mise en place imagée de son intrigue sur la vie romanesque vie du héros albanais natif de Croia, déployant une armée de violons majestueux, une batterie de cors tonitruants, de rapides et fuguées flûtes, pour ce qui reste l’une des pièces maîtresses du compositeur. Une maîtrise de composition chez Francoeur, outre dans les charmantes gavottes tirées de ses Airs ajoutés à Armide de Lully, plus assurément dans cet Air marqué, composé pour le Ballet de la Félicité (1745) et remis dans Scanderberg (1771) dans lequel le compositeur démontre une fois encore sa capacité à alterner dans un même air la puissance des cors et la simplicité mélodieuses de flûtes, qu’Alexis Kossenko, flûtiste de formation, se plaît à mettre fort justement en valeur.

Ce festin royal s’offre des détours par quelques airs des plus connus, à l’exemple de la marche des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour (1747) de Jean-Philippe Rameau, d’une familière majesté, à laquelle succèdent dans une continuité certaine les biens moins connues œuvres de Bernard de Bury, l’air lent tiré de Hylas et Zélis (1762) et un Rondeau léger extrait de la même œuvre. Plus tard, c’est l’ouverture de Zaïs (1748), autre entêtante réussite de Rameau, qui s’invitera à la table.

Notons encore, pour le plaisir de distraire les convives une belle contredanse aux flûtes des plus enjouées et champêtres héritée de la Fête de Flore (1770) de Jean-Claude Trial (1732-1771) et une belle chaconne de François Francoeur (le Prince de Noisy) mettant en valeur le hautbois de belle manière.

Ce programme, qui mettant en exergue nombre de danses, invite à quelques découvertes, et soulignons ici toute la modernité de cette chaconne majestueuse et enlevée composée par Pierre-Montan Berton en ajout à l’Iphigénie en Tauride de Desmarest et Campra, qui prend même quelques accents beethoveniens, ceux de sa jeunesse, dans l’art de la structuration des lignes de cordes. Autre joyeux détour également que celui par cette chaconne de Pancrace Royer pour son Pyrrhus (1730). Voilà un enregistrement gourmand et jubilatoire qui s’écoute avec un plaisir épicurien, divertissant à tous égards et ravissant aussi dans l’anthologie qu’il offre de la musique française appréciée à la veille des tourments révolutionnaires.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 12 décembre 2023
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