« Immorale sous tous les rapports et nouvelle Agrippine, elle est si perverse et si familière avec tous les crimes (…) »
Antoine Fouquier -Tinville, acte d’accusation de Marie-Antoinette (1793)
Etrange mise en bouche (sans mauvais jeu de mots) que ce quasi-baiser entre la Reine et sa favorite, pour une série qui souhaite montrer une Marie-Antoinette rebelle et féministe. 28 millions d’euros, des tournages dans les studios de Bry-sur-Marne mais aussi à Versailles, Vaux, Champs-sur-Marne, Fontainebleau, Lesigny… Première saison sur trois, l’ensemble de la fresque couvrira l’arrivée à la cour jusqu’à l’ascenseur pour l’échafaud. Le rôle est écrasant. Les essais cinématographiques souvent inégaux. L’on passera sur l’aristocratique Michèle Morgan, pour retenir le portrait d’une Geneviève Casile hautaine (mais quelle immense classe, malgré l’indigence des costumes), Jane Seymour martyr dans le diptyque officiel du bicentenaire, et surtout l’impériale Ute Lemper dans l’Autrichienne de Pierre Granier-Deferre, sans doute la meilleure incarnation à ce jour, mais circonscrite au tragique procès. Avouons d’emblée que nous n’avons encore rien vu des premiers parmi les 8 épisodes de 52 minutes de cette saison hivernale, dont les premiers sont distillés à compter d’aujourd’hui.
Mais nous n’avons pu résister à l’idée de partager avec nos lecteurs quelques commentaires précoces, fondés à ce stade uniquement sur la bande-annonce et les clichés disponibles. Comme si l’on jugeait un livre à sa couverture, ce qu’un proverbe anglais nous dissuade de faire. Raison de plus de s’y essayer. Au moins a t-on l’honnêteté de le dire, ou la fainéantise de visionner cette révision décapante de l’Histoire de France, qui fait fi de l’étiquette curiale et de toute véracité historique. Il faut dire que nous sommes un peu maniaques sur le sujet, étant biberonnés aux ouvrages de Pierre de Nolhac ou Jean-Christian Petifils. Or, Saint-Simon en aurait mangé sa perruque, à voir James Purefroy (excellent Marc-Antoine dans la série Rome) en Louis XV lubrique faire asseoir la Dauphine sur ses genoux lors d’une sorte de garden-party décadente.
Cela commençait pourtant bien. Ou pas si mal. Affiche-croisement de la Reine de Neiges et d’un Boucher, avec la Dauphine volant dans un gris satiné un peu macronien (similaire à celui qui rhabille la salle des fêtes de l’Elysée), presque une évocation de renommée ou de victoire sur un ciel de voûte, la trompette en moins. Surfant sur le succès de Versailles, Canal+ s’associe les services de la scénariste Deborah Davis, qui a commis La Favorite pour ce Marie-Antoinette, premiers pas à Versailles. C’est l’ingénue Emilia Schüle, jeune actrice germano-russe (vu dans Berlin Station ou Treadstone) qui incarne la Dauphine, adolescente de 14 ans projetée du cocon habsbourgeois au nid de guêpes versaillaises. L’actrice ne parle pas un mot de français, tente de lire la biographie de Stephen Zweig mais Deborah Davis l’en dissuade (comme cela est conté à Télé-Loisirs : « Je me souviens être arrivée sur Paris pour rencontrer pour la première fois Deborah Davies, et je lui ai dit que j’avais lu la biographie de Stefan Zweig sur Marie-Antoinette et elle m’a répondu : « Oh quand j’ai lu ce livre, j’avais envie de le jeter contre le mur ». J’ai pensé « P*****! je me suis mal préparée » ». ).
Laissons encore la parole à la scénariste dans ce morceau choisi de l’entretien accordé à nos confrères du Point : « Là-bas [Au Petit Trianon], elle n’était plus la reine, elle était juste elle-même. J’ajouterai que la propagande misogyne qui s’est déployée contre Marie-Antoinette a commencé à l’intérieur même de la famille royale. On la détestait parce qu’elle était autre, elle était différente. C’est aussi ce qui est arrivé à Diana. Si une femme va trop loin, si elle échappe aux limites étroites de ce qui a été prévu pour elle, la réaction est très forte. Elle l’était au XVIIIe siècle, elle l’est toujours aujourd’hui. Et, bien sûr, Diana et Marie-Antoinette ont connu chacune une fin tragique qui malheureusement les définit dans l’esprit du public. ». Tout est dit. Ne manquent que les paparazzi planqués derrière les topiaires et deux ou trois jarretières oubliées sur le tour de serrurier du bon gros Louis (qui faisait 1,90 mètres au passage). Et le Suédois Axel (de Fersen) pourra toujours faire son Dodi Al-Fayed et arracher la jeune Dauphine des pattes libidineuses du Duc de Chartres.
Alors certes, le costumier fait ce qu’il peut, et sauve les étoffes à défaut des meubles : l’on pourra toujours passer son ennui en vérifiant les motifs des galons des laquais en livrée royale, se féliciter de la présence de quelques gardes françaises esseulés soupoudrés avec parcimonie, maugréer contre l’absence des courtisans quand la Dauphine traîne son spleen et ses robes à la française dans des châteaux aussi lugubres que déserts.
Hélas, le conseiller historique devait bailler aux corneilles pour l’arrivée à Versailles : cortège à un carrosse unique minable, escorte au rabais, arrêt devant la cour de marbre, baisemains par deux individus en habit à la limite du bourgeois sortant de son auberge. Et à l’arrière-plan, la grille Monnoyeur, et le Pavillon Dufour (commencé en 1814, terminé en 1829), bref le Versailles d’aujourd’hui. Il faut dire que l’important est de ripoliner l’Autrichienne pas encore haïe, et l’hagiographie n’est jamais loin pour décrire les tourments d’une jeune femme harcelée par des hordes masculines en perruques.
MA-C+ 2022, c’est un peu la recette d’Outlander, façon crise d’adolescente, sans les kilts. Et l’innocente et fragile étrangère va se retrouver broyée dans la grosse machine de Marly. Mais que l’on se rassure, la série saura trouver les ficelles pour passer en coulisses et dévoiler les derrières. Et si les intrigues politiques sont les grandes absentes de cette saison, l’éducation sexuelle de la Dauphine et ses frasques érotiques seront abondamment abordées en un croisement vaguement inspiré d’Eyes Wide Shut et Barry Lindon de Stanley Lubrick pour ses perruques, ses loups vénitiens et ses orgies.
On rembobine la bande-annonce. Presque un clip. Compressé, oppressant, angoissant à souhait. Y compris ce souper (au petit couvert mais le Roi aurait dû manger seul, sinon au Grand couvert, mais là encore la configuration est fautive et ne correspond ni à l’antichambre du Roi, ni à celle de la Reine, point de tréteaux, service à la française absent avec le buffet, les cadenas, etc. Roberto Rosselini avec bien moins de moyens avait réussi une autopsie remarquable de cette mécanique, qu’on retrouve aussi excellement illustrée dans l’Allée du Roi de Nina Companeez), façon film d’horreur, en clair-obscur très obscur, avec les têtes de cerfs empaillées, un lustre hollandais en laiton dont on s’attend à ce qu’il se détache du plafond, une sorte de dais surplombant une cheminée (mais où vont-ils chercher tout ça ???), et où tout le monde assis en U regarde sa fourchette tandis qu’un domestique sert le vin (ce qui est tout à fait contraire au cérémonial à la française, où il devrait apporter la carafe mais non pas servir, renvoyons le lecteur curieux à l’excellent catalogue de l’exposition Versailles et les tables royales en Europe, RMN, 1993). Mais redisons-le, ces propos acidulés reposent sur bien peu de choses. Dans tous les sens du terme.
Viet-Linh Nguyen
Étiquettes : Louis XV, Louis XVI, Marie-Antoinette, Versailles Dernière modification: 25 janvier 2023