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Les magiciennes sont éternelles (disparition de la soprano Rachel Yakar à 87 ans)

Rachel Yakar © Loca partagé par Pinterest

C’était Poppée ou Armide, c’était Circé, c’était Médée ou Clymène. C’était une grande, grande dame.  La soprano française Rachel Yakar est partie, samedi 24 juin, à La Rochelle, à l’âge de 87 ans après avoir courageusement lutté contre la maladie. Elle s’était retiré sur l’Ile de Ré, avec son mari le ténor Michel Lecocq. Qu’est-elle désormais devenue ? On l’imagine arpentant des contrées enchantées, des Enfers antiques, entourée de chœurs d’ombres, de peuples asservis par les charmes de cette voix unique. On ne sait comment la décrire, soprano baroque ? grande montéverdienne ? sensible mozartienne ? Pédagogue infatigable ? Rachel Yakar, c’était un concentré dramatique reconnaissable immédiatement, une voix de Reine ou d’Impératrice, de Sorcière, une voix impérieuse et tragique qui imposait le respect et l’admiration, qui charmait sans séduction, qui impressionnait d’une inflexion, qui faisait trembler les peuples et les princes d’une montée chromatique intense. Ce timbre fier, cette voix d’airain, c’est celle d’une Lyonnaise, née en mars 1936 qui fit ses études au Conservatoire de Paris auprès de Germaine Lubin et fit ses débuts à Strasbourg en 1963. Un peu plus de dix ans plus tard, elle charme le Néron si humain d’Eric Tappy dans la création du couple Ponnelle-Harnoncourt si contraire à son doux caractère en privé, mais cette grande chanteuse sait se faire monstre d’ambition, et sa grandiose Circé du Scylla & Glaucus de Leclair, sous la houlette de Gardiner, ou sa première Armide d’Herreweghe (hélas amputée de l’acte IV) marqueront à jamais les mélomanes par sa capacité à laisser entrevoir la touchante fragilité de l’âme derrière une cuirasse d’airain, d’une pureté droite et tour à tour lunaire ou charmeuse, usant très rarement de vibrato mais juste assez pour en faire le reflet furtif d’un trouble, ou d’une explosion. Ce sera la Magicienne. Avec l’hésitation d’une funambule blessée, avec la rage d’aimer des dames de jadis, Rachel Yakar a aussi été une extraordinaire Elvire à la noblesse désespérée. Et alors que le monde des baroqueux et des mélomanes la pleure, les étudiants du Studio Versailles-Opéra du CMBV qu’elle fonda avec René Jacobs sont orphelins. [V.-L.N.]

Étiquettes : Dernière modification: 13 juillet 2023
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