Jean-Sébastien BACH (1685-1750)
L’Art de la Fugue (Die Kunst der Fuge) BWV 180
André Isoir
à l’orgue G. Grenzing de Saint-Cyprien-en-Périgord et avec Pierre Farago pour le contrapunctus 12 (1 & 2)
78’41, Calliope, enr. 1999.
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L’Art de la fugue passe pour une œuvre difficile, réservée aux spécialistes, et même ennuyeuse, voire rébarbative. « Encore, aux instruments, pourquoi pas ? cela introduira du moins quelque variation, mais au seul clavier, Seigneur non ! » Moi-même, quand j’ai ouvert le paquet-surprise contenant ce disque, j’ai eu comme un mouvement de recul… et pourtant…
André Isoir réalise ici un coup de maître. Son Art de la fugue – car il s’agit bien autant du sien que de celui du vieux Cantor de Leipzig : l’Art de la fugue est des œuvres qu’on s’approprie totalement – est idéal. Le premier élément qu’il faut y pointer du doigt, c’est justement la variété : avec son seul orgue, il égale tous les instruments de Jean-Claude Malgoire aussi bien que l’ensemble chambriste de Reinhardt Goebel. Son Art de la fugue est aussi un « art de la registration », mais subtil, sans effets surfaits, tout en délicatesse, en nuances et contrastes, non en violentes oppositions. En passant d’un contrapunctus à un autre, il change tantôt quelques registres, tantôt un peu plus, et c’est un délice pour les oreilles autant que pour l’esprit. Et cela sonne naturel : aux instruments, la lecture se fait souvent trop faite, surfaite, alors qu’ici, tout est à sa place.
L’Art de la fugue devient aussi sous les doigts de notre Maître une œuvre vivante : majestueuse (contrapunctus 2, piste 3), émouvante (contrapunctus 12 inversus, piste 13), dramatique (contrapunctus 6 in Stylo Francese, piste 7), frustrante (la magnifique fugue inachevée du contrapunctus 19, piste 16, ne l’a sans doute jamais autant été), et il faudrait encore détailler chaque numéro à part… Et Isoir ne cède pas à la facilité du systématique. Notes pointés ne signifie pas nécessairement « majestueux » : le contrapunctus 3 (piste 2) l’est, mais pas le 7 (per Augmentationem et Diminutionem, piste 5). Que dire de son Style Francese ? Quand un Malgoire essaie d’en faire une ouverture à la française (en vain, puisqu’il n’y a pas de partie rapide), Isoir lui donne ce qui caractérise la musique française : le drame.
Jamais l’ennui ne peut s’installer. Notons aussi qu’André Isoir a chamboulé l’ordre traditionnel – vous l’aurez remarqué, puisque le n°7 tombe à la piste 5, le 19 à la 16, etc. – afin de (r)établir une architecture d’ensemble, ce que le livret explique dans une courte note accompagnée d’un tableau synoptique, magistrale démonstration. À propos du livret, il faut saluer Calliope d’avoir bien voulu faire figurer les débuts de chaque contrapunctus dans la liste des pistes : quel outil précieux pour s’y retrouver et apprécier la spécificité de chaque pièce sans avoir nécessairement recours à la partition !
Ceux qui connaissent déjà l’Art de la fugue doivent en passer par cette version, ceux qui veulent découvrir peuvent commencer par là – sauf à détester particulièrement l’orgue.
Et les défauts ? Il n’y en a pas.
Loïc Chahine
Technique : belle prise de son aérée et précise