« Dans l’antre d’un collectionneur » : Dessins français de la collection Mariette au Louvre
du 10 Novembre 2011 au 6 Février 2012
[clear]C’est une exposition à la fois intime et discrète que le Louvre convie le visiteur qui ne s’est pas égaré dans le dédale du palais-musée avant d’arriver dans ces petites pièces du département des Arts Graphiques, où quelques curieux et amateurs s’attardent autour de quelques beaux dessins à l’encre brune et au lavis, à la mine de plomb, pierre noire ou sanguine. Ces quelques dessins, souvent magnifiquement encadrés, superbement montés (le fameux montage dit Mariette dont nous vous reparlerons plus loin) ne constituent qu’une infime partie de la collection initiale de Pierre Jean Mariette (1694-1774), dont le Louvre détient environ 1/9e, suite à la malheureuse dispersion aux enchères par ses héritiers de ce fond exceptionnel de quelques 9000 dessins, alors même que le souhait de Mariette comme du Roi était que ces œuvres rejoignent le Cabinet du Roi qui fit une offre généreuse de 300 000 livres. Hélas, la cupidité – vaine puisque le produit de la vente fut décevant – des héritiers écartela cette collection hétéroclite, où les grands artistes tels Poussin, Callot ou Watteau, côtoient les petits maîtres.
Héritier d’une dynastie d’éditeurs-graveurs, libraires et marchands d’estampes, érudit à la vaste culture qui se lia avec le Comte de Caylus féru d’archéologie ou croisa le chemin de Watteau, dessinateur et graveur occasionnel, historien de l’art avant l’heure, Mariette fut dès 1733 membre de l’Académie du Dessin de Florence grâce à ses relations avec les collectionneurs et historiens de la péninsule dont son ami Gaburri, alors Président de l’Académie, et En France, « associé libre » à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture de Paris puis membre honoraire en 1767, ce qui était rare pour un non aristocrate.
On n’avait pas revu depuis 1967 d’exposition consacrée à Mariette au Louvre. Et l’on retrouve avec joie cette impression de désordre raffiné, de juxtaposition personnelle entre scènes bibliques (une dramatique Madeleine évanouie de Vouet par exemple), naturalistes (une Grande Aigrette d’Oudry), vues architecturales (une minutieuse vue de Fontainebleau par Silvestre), paysages (un Poussin désormais attribué à Gaspard Dughet), personnages allégoriques, &c. On avouera un faible pour les figures féminines et sensuelles de Fleuves d’Edme Bouchardon, études destinées aux allégories sculptée de la Fontaine des Quatre Saisons de la Rue de Grenelle, découvrant ainsi que le sculpteur renommé, élève de Nicolas Coustou, fut aussi un excellent dessinateur.
En outre, l’exposition permet d’admirer le montage que Mariette utilisait pour mettre en valeur ses dessins, n’hésitant pas à les couper, les recadrer, les compléter, mettre en regard des artistes divers, fabriquer des pendants. Le montage Mariette typique aux harmonies bleu-blanc-noir-or est ainsi le suivant, ce que l’exposition autopsie avec un soin passionnant. Le dessin est collé sur plusieurs feuilles : une fine blanche, un papier blanc de bonne qualité, lui-même collé sur plusieurs autres feuilles de qualité moyenne dites « gros-bon », souvent des gravures réutilisées. Autour du dessin, quatre bandes de papier vergé bleu obtenu à partir d’indigo sont collées, un ruban de papier doré à la feuille de 3-4 mm est ajouté, des réserves de blanc parfois conservées, des lavis beige parfois présents. Des lisérés à l’encre noire complètent le montage et dessinent un cadre avec des ombres portées, ce qui évite le recours aux biseaux. Enfin, un cartouche, est la plupart du temps présent en bas du montage, avec le nom en latin de l’artiste et l’historique du dessin. N’oublions pas enfin la marque de la collection Mariette, un P et M majuscule dans un cercle.
On regrettera l’absence de légendes détaillées auprès de chaque dessin, alors même que Pierre Rosenberg vient de publier les 2 – couteux – premiers volumes de la vaste enquête du Catalogue Mariette, et le côté agaçant et charmeur d’un alignement pêle-mêle des œuvres, qui laisse une impression de sélection très subjective manquant de thématique ou de fil directeur. De surcroît les appellations des œuvres ne correspondent pas à celles de l’inventaire en ligne du département des arts graphiques du Louvre, ce qui rend les recherches fastidieuses. Le fameux « Groupe d’arbres inclinés vers la droite par le vent » attribué par Mariette à Poussin mais rendu à Gaspard Dughet est ainsi encore catalogué en tant que « Paysage avec des arbres inclinés vers la droite par le vent » de… Poussin.
Mais cette plongée dans les fontes du grand Mariette demeure inestimable… et éphémère puisque l’exposition prend fin dès le 6 février.
Viet-Linh Nguyen
Lire aussi :
Site de l’Association Mariette : www.associationmariette.com
Site officiel du Musée du Louvre : www.louvre.fr et dossier de presse
Dumesnil, Jules, Histoire des plus célèbres amateurs français : Pierre-Jean Mariette : 1694-1774 , Paris : Vve J. Renouard, 1858 :http://visualiseur.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k257026
Catalogue : Pierre Rosenberg, avec la collaboration de Laure Barthélemy-Labeeuw. Les Dessins de la collection Mariette. Ecole française, 2 tomes. Electa. Environ 1 500 p. et 2 000 ill., 600 €. 6 volumes prévus, nécessitant de reconstituer à travers le monde la collection disparue grâce au catalogue de sa vente de 1775-1776