Rédigé par 8 h 43 min Histoire, Regards

La France sauvée (la Bataille de Denain, 24 juillet 1712)

 

Jean Alaux (1786–1864), le Maréchal de Villars à la Bataille de Denain, huile sur toile (1839), 4,65m sur 5,43m, Galerie des Batailles du Château de Versailles – Source : Wikimedia Commons

On l’oublie trop souvent pour ne retenir que la glorieuse défaite de Malpaquet (1709), défaite tactique, où l’armée française abandonna à l’ennemi la possession du champ de bataille, mais victoire stratégique immense qui saigna tant les Austro-hollandais qu’elle sauva le royaume de l’invasion. Mais ce long crépuscule des Dieux de la fin du Règne de celui qui fut Louis le Victorieux ne cesse réellement qu’après les Traités d’Utrecht de 1713, qui met fin à la terrible Guerre de Succession d’Espagne. Dans une sorte d’accalmie armée faites de sièges et de grignotages plus que de grande campagne, les armées alliées sont toujours installées au Nord et attendent de mollement de reprendre l’offensive, forte de leur supériorité. Car malgré Malpaquet, les Français sont en fâcheuse posture sur le front Nord. Les positions françaises aux Pays-Bas espagnols ont été abandonnées depuis la défaite de Ramillies (1706), malgré une résistance glorieuse Lille est perdue (1708), Douai, Béthune et Aire sur la Lys tombent également dans l’escarcelle de l’ennemi (1710), Bouchain en 1711. Au printemps 1712, la Lys, la Scarpe, la Deûle sont sous contrôle des Alliés.

Heureusement il y a des verrous. La citadelle de Cambrai, au sud, protège Saint Quentin et la vallée de la Somme. Le Quesnoy et Landrecies aux Impériaux la vallée de la Sambre et le val de l’Oise. Hélas Le Quesnoy capitule le 5 juillet 1712. Dès le 17 juillet, l’ennemi ouvre le siège de Landrecies. L’heure est sombre.

Les Anglo-austro-hollandais sont commandées par le Duc de Marlborough, et le Prince Eugène de Savoie. Leurs 120.000 hommes font face au Maréchal de Villars et à ses 100.000 soldats. Mais grâce à de subtiles tractations diplomatiques, profitant de la semi-disgrâce de Marlborough et de l’égoïsme britannique, la France négocie avec la reine Anne une trêve bienvenue. Le contingent anglais du Duc d’Ormond (12 000 hommes) rejoint Avesnes le Sec puis se repliera sur Gand. Les forces sont donc assez équilibrée entre les Français et les Impériaux.

Versailles s’inquiète et pousse Villars à tenter une action. Daniel François Voysin de La Noiraye (1654-1717), Secrétaire d’État de la Guerre oublié dans l’ombre du grand Louvois, écrit au maréchal Villars qu’il « vaut bien mieux risquer l’évènement d’un combat plutôt que de souffrir que les ennemis se rendent maîtres de cette place, après laquelle il n’en resterait plus d’autres sur cette frontière que le château de Guise qui n’empêcherait pas que les ennemis n’eussent une entrée libre dans les provinces de Soissonais et de Champagne ». 

Ainsi les Impériaux assiègent Landrecies. Leurs ravitaillement en vivres et munitions provient de Marchiennes et la ligne de communication est protégée par la camp retranché de Denain (capturé par l’ennemi en 1711). 

C’est alors que survient la célèbre manœuvre de Denain, si magistralement étudiée par Maurice Sautai, historien militaire du début du siècle qui se plongea dans les correspondances d’époque. Même si l’historien était avant tout soucieux de rétablir pour la postérité le rôle-clé de Jean-Robert Lebfebvre d’Orval, conseiller au Parlement de Flandres, agent de renseignement pro-français qui conseilla à Voysin cette manœuvre hardie (il envoya nombre de mémoires à Versailles entre 178 et 1712), il décompose pas à pas le mouvement proposant « de couper la communication de Bouchain et même de Denain et de Marchiennes, si on voulait donner la main à la garnison de Valenciennes pour barrer aux ennemis la communication qu’ils ont par Denain et par Lourches avec la Scarpe et Douai », et d’éviter ainsi un assaut sur Landrecies ou sur le gros de l’armée ennemie.

Car Denain, c’est avant tout une attaque surprise, et avant laquelle Villars hésita beaucoup en raison des risques de l’opération. 

Nicolas de Fer (1647?-1720), gravure, Plan des retranchemens et du camp de Denain, ou est marqué le passage de l’armée du Roy a Neuville sur l’Escaut : Avec la disposition des troupes françoises a l’attaque de ses retranchemens qui furent forcez le 24 juillet 1712 (1715) – Source : BnF / Gallica

Touchemolin, Alfred (1829-1907), Croquis simplifié de l’Attaque du camp de Denain (1897) à partir de la même source, BNU de Strasbourg – Source : BnF / Gallica

Lefebvre d’Orval propose donc d’attaquer les lignes de ravitaillement des Coalisés, leur dénommé “chemin de Paris”, un chemin doté de retranchements contre les éventuelles sorties de la garnison française de Valenciennes. Deux ponts permettent de franchir l’Escaut à Denain et donc de rejoindre la vallée de l’Ecaillon qui conduit vers la vallée de la Sambre. La faiblesse, c’est que cette ligne de communication s’étire sur 60 km, de Marchiennes à Landrecies et que les troupes sont dispersées tout au long : 6 bataillons à Marchiennes, 13 à Denain, 7 à proximité, 30 bataillons et 40 escadrons assiègent Landrecies. Le corps principal (environ 60 000 hommes) stationne au centre du dispositif, dans la vallée de l’Ecaillon.

Les Impériaux s’attendent que le Français viennent secourir Landrecies par le Sud. Du 19 au 23, Villars tente, tâtonne, hésite. Les 19 et 20, il sonde une attaque vers le gros de l’armée de siège de Landrecies. Le 21 il pense attaquer le camp de Denain, soutenu par une sortie de la garnison de Valenciennes, mais le Prince Eugène sentant venir le coup par ses espions redéploye son dispositif pour contrer une telle sortie. Villars s’en retourne vers Landrecies mais inspectant les lignes coalisées se convainc que l’action est impossible. Le Prince Eugène pense au contraire que le Maréchal va l’attaquer. Vers midi le 23, Villars consulte son second, le Maréchal de Montesquiou, oncle de d’Artagnan. Ce dernier l’assure de la réussite de l’entreprise dont il sera chargé de l’exécution tactique, Villars franchit le Rubicon.

Dans la nuit du 23 au 24 juillet, ses troupes franchissent la Sambre, remontent vers le nord-ouest, passent l’Escaut, tournent à droite et bousculent l’ennemi au camp de Denain. Décrite comme cela la manœuvre semble simple et hardie. En réalité, la bataille ne débute que vers 13 heures le lendemain, et la partie de cache-cache fut éprouvante. La marche française en partie nocturne représente un trajet de plus de 40 km, les Français froment trois colonnes. Mais vers la Selle, les armées sont proches de quelques km, et le pot aux roses peut être éventé.  Dans un silence absolu, les sabots et roues emballées de tissu, les Français avancent péniblement, prennent deux heures de retard sur le plan. Villars continue d’hésiter, car les troupes franchiront l’Escaut de jour. Au moulin d’Avesnes le Sec (dont il subsiste des ruines et une pierre datée de 1690), Villars confère de nouveau avec Montesquiou qui est convaincu du succès de la manœuvre et le remotive.

Moulin d’Avesnes-le-Sec – D.R. carte postale du début du siècle

Le comte d’Albermarle, en charge du camp de Denain, se voit rapporter des mouvements de troupes vers Avesnes-le-Sec. Il dépêche sa cavalerie qui arrive trop tard et ne peut empêcher le passage de l’Escaut. Le Prince Eugène est averti mais le grand capitaine se fourvoie et juge qu’il s’agit “d’une gasconnade de Villars, lequel n’attaquerait point et faisait cette marche tout simplement pour l’obliger à dégarnir la gauche de la grande armée” et part déjeuner !!!

L’armée française cerne le camp. A l’intérieur, 20.000 Hollandais, commandés par Albermarle surveillent le chemin de Paris. Ce n’est pas une place forte, mais il y a tout de même un fossé, un parapet de pierres, et une palissade. Vers midi, de retour de déjeuner, le Prince Eugène se rend compte de sa méprise mais il est trop tard pour concentrer ses troupes. A une heure, les Français attaquent en masse, avec une énorme supériorité numérique. En vingt minutes, l’infanterie précédée par les sapeurs, atteint la palissade, baïonnette au canon.

Les alliés, pris de panique, s’enfuient et encombrent le pont du moulin, qui s’écroule sous leur poids, entraînant ainsi la noyade de centaines de fantassins. Les Hollandais, débordés et en déroute, retraitent précipitamment et le pont du Moulin s’écroule sous leur poids. Albermarle se rend. Le prince Eugène, tente de franchir  l’Escaut avec ses troupes par le second pont de Prouvy. Mais le Prince de Tingry est sorti de Valenciennes avec 15 bataillons et fait barrage, puis finit par faire sauter le pont en fin de journée… On estime à environ 880 morts et 1200 blessés les pertes françaises contre 6 500 morts, blessés ou prisonniers du côté des Coalisés.

Cette victoire majeure ouvre la voie à la paix, dans des conditions favorables pour la France. 

 

 

Philippe Barin

 

En savoir plus :

  • Gérard Lesage, Denain (1712), Louis XIV sauve sa mise, Economica, 1992 dont on peut trouver la synthèse ici.  
  • Sous Lieutenant Maurice Sautai, La Manœuvre de Denain (publiée sous la direction de la section historique de l’état-major de l’armée), Lefebvre-Ducrocq, 1902.
Étiquettes : , Dernière modification: 28 septembre 2021
Fermer