Rédigé par 11 h 47 min Concerts

Jubilé mozartien (Mozart, Fagioli, Kammerorchester Basel, Lopez – Théâtre des Champs Elysées, 9 décembre 2023)

Franco Fagioli © Clarissa Lapolla

Anime Immortali

Joseph Martin Kraus (1756-1792),
Ouverture d’Olympie

 Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
« Se l’augellin sen fugge », air extrait de La Finta giardiniera

 Joseph Martin Kraus,
Symphonie en Ut majeur, Violon obligato (Andante)

 Wolfgang Amadeus Mozart
« Ah se a morir mi chiama », air extrait de Lucio Silla

 Joseph Martin Kraus
Entracte instrumental entre les actes IV et V, postlude de l’acte V, extraits de Proserpine

 Wolfgang Amadeus Mozart,
« Parto, parto, ma tu ben mio », air extrait de La Clémence de Titus


Wolfgang Amadeus Mozart,
« Deh, per questo istante », air extrait de La Clémence de Titus

Joseph Martin Kraus,
Ouverture de Proserpine

 Wolfgang Amadeus Mozart
Exsultate, jubilate, Motet pour soprano, orchestre et orgue K.165.

Franco Fagioli, contre-ténor
Kammerorchester Basel
Baptiste Lopez, violon et direction

Récital au Théâtre des Champs-Elysées, samedi 9 décembre 2023

Au commencement était Mozart ! Du moins ce fut le cas dans la discographie du contre-ténor argentin désormais mythique Franco Fagioli, qui bien avant les succès mérités de ses enregistrements de récitals pour la Deutsche Grammophone (Haendel Arias en 2018 et Veni, Vidi, Vinci en 2020, après un album consacré à Rossini) avait débuté sa carrière par un disque consacré à Mozart et Haendel (Handel & Mozart Opera Arias) chez Arte Nova en 2004, à redécouvrir pour les charmes de ses faiblesses et ceux d’un talent en construction.

Retour donc à des amours quasi ancillaires pour Franco Fagioli, qui libéré de son contrat avec la prestigieuse firme berlinoise, auréolé du succès de ses interprétations des maîtres italiens et consacré par la ductilité de son chant haendélien, se replonge dans Mozart, lui consacrant un album entier (Anime Immortali, Pentatone, 2023). Le récital de ce soir, s’inscrivant dans une large tournée d’automne européenne, reprend l’ensemble des arias mozartiens de l’album, agrémenté de morceaux instrumentaux de Joseph Martin Kraus (1756-1792), offrant autant quelques respirations que complétant le programme d’un disque étrangement condensé (47 minutes).

S’aventurant ainsi en Mitteleuropa et en une périodicité musicale plus classique que baroque, nous aurions pu craindre que Franco Fagioli y perde de sa flamboyance, se trouve à l’étroit dans un répertoire trop sage, contraint à la tempérance loin des méandreuses arcanes toutes en virtuosité des maitres du répertoire italien. Ce serait oublier un peu vite que Mozart, surtout dans ses plus jeunes années, succomba lui aussi au charme vocal des castrats, adulés dans l’Europe entière, ou presque, quelques chagrins esprits français rétifs préférant, au contraire de les écouter, les affubler de surnoms dénigrants, empêchés, chapons, castrés…Voltaire ou encore Rousseau sont à citer au titre de ces auteurs indélicats. Le jeune Mozart offre lui le rôle principal à un castrat dans pas moins de sept de ses opéras, notamment Mitridate, Re di Ponto, écrit à Milan en 1770, qui comporte pas moins de neuf airs écrits pour Giuseppe Cicognani (rôle de Farnace), Pietro Benedetti (Siface) et Pietro Muschietti (Arbate), tous trois castrats. Dès la saison 1764-1765 il se lia à Londres avec Giovanni Manzuoli (1720-1782), alors au faîte de sa renommée. Mozart apprend auprès de ce dernier à déceler aussi bien l’étendue des capacités vocales que les attentes du chanteur, se forgeant l’étoffe d’un compositeur à même dans ce domaine de satisfaire aussi bien le public que l’artiste.

C’est donc avec un étonnement quelque peu teinté de craintes que nous accueillons un Franco Fagioli très à l’aise mais loin de l’expression de toutes ses capacités vocales dans le très sage Se l’augellin sen fugge (Acte I, Ramiro), tiré de La Finta giardiniera (1775). Vocalisant certes, toujours aussi précis dans ces intonations, capable d’une volupté vocale indéniable, Franco Fagioli apparaît un peu engoncé dans un aria d’une assez mécanique beauté.

Cette crainte initiale est rapidement envolée à l’entame du second aria Ah se a morir mi chiama (Lucio Silla, 1772), tiré de l’Acte II (rôle de Cecilio) qui dans cet air initialement dévolu à Venanzio Rauzzini (1746-1810) déploie toute sa palette vocale, se jouant avec souplesse des alternances de tons, démontrant de belles capacités de projection et une superbe tenue de note, emplissant la salle d’une voix limpide, émouvante et superbe dans la transmission à la salle du Théâtre des Champs Elysées de la fragilité émotionnelle du personnage à cette acmé de l’intrigue.

L’air suivant, le Parto, parto, ma tu ben mio (Acte I, Sesto), extrait de La Clémence de Titus, œuvre plus tardive de Mozart (1791), offre à la voix de Franco Fagioli un superbe lamento soutenu à la clarinette d’amour, riche en nuances vocales, dans lequel ce dernier exprime les multiples variations de son timbre, passant par toutes les émotions, d’intonations sacrificielles à des accents plus colériques, alternant retenue et élans, dans une complicité avec l’instrument donnant à cet aria des tonalités étrangement contemporaines.

Page de titre de la partition manuscrite de la Clemenza di Tito conservée à la Berliner Staatsbibliothek – Source : Wikimedia Commons

Comme pour peut-être nous rappeler que l’Italie méridionale n’est pas tout à fait étrangère à ce concert, le programme est construit à la manière d’une tranche napolitaine (par ailleurs bien peu transalpine), alternant avec une rigueur sans accroc un air chanté de Mozart et un morceau instrumental de Kraus, qui s’avère un compositeur d’un classicisme non déplaisant mais un brin ennuyeux, que le Kammerorchester Basel interprète sans artifices déplacés, avec un son compact, déroulant sa partition avec une agilité sereine mais sans éclat particulier sous la direction souple et équilibrée de Baptiste Lopez. Une musique de Kraus pas désagréable à entendre, mais avouons-le assez rapidement oubliée, à l’exemple de cet exact contemporain de Mozart ayant principalement exercé à Stockholm, et qui souffre de la comparaison avec la variété et la richesse de répertoire de l’illustre viennois. Notons tout de même au passage le bel Andante de sa Symphonie en Ut majeur, où flûte, violons et traverso tantôt s’allient et tantôt se répondent avec une belle harmonie, ainsi qu’une ouverture de Proserpine présentant des hautbois nerveux et structurés, d’une tonalité assez moderne.

Revenons donc à Mozart le temps d’un autre extrait de La Clémence de Titus, le Deh, per questo istante (Acte II, Sesto), léger rondo aux accents champêtres et nouvelle occasion pour Franco Fagioli d’éblouir d’une voix dont la souplesse et la précision sont au firmament, d’une dextérité sans égale.

Exsultate, Jubilate (Exultez, réjouissez-vous), chante Franco Fagioli en final de ce concert, donnant de ce classique de Mozart, initialement composé lui pour Venanzio Rauzzini, une interprétation soyeuse, sobre, sans déferlements instrumentaux, et centrée sur l’extériorisation joyeuse de l’âme, qui semble libérée de tous tourments, comme une promesse de bonheur. Un texte permettant à Franco Fagioli de nous séduire une fois de plus par sa maîtrise assurée des vocalises et de quelques contorsions vocales somptueuses, démontrant que les œuvres de Mozart tiennent toute leur place au panthéon du répertoire pour castrats, et que dans ce programme quelque peu en marge de celui ayant fait sa renommée, son agilité vocale trouve un nouvel essor, moins maniériste et plus propice à exalter des sentiments d’autant plus touchants qu’ils nous sont familiers.

Un concert qui en dépit de son caractère resserré (avouons que nous n’aurions pas été contre un peu plus de sentiments mozartiens et un peu moins de partitions illustratives de Kraus) ravit un public venu pour Franco Fagioli, qui remercia ses admirateurs par deux arias de Mozart en guise de bis.

                                                                                   Pierre-Damien HOUVILLE

 

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 18 décembre 2023
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