Rédigé par 20 h 40 min CDs & DVDs, Critiques

Au plaisir des amateurs… (I Dilettanti, Sabata, Latinitas Nostra – Aparté)

Nous avions apprécié le timbre et l’expressivité de Xavier Sabata dans le récital Bad Guys, donnant vie et relief aux anti-héros, aux méchants des opéras, avec une grande sensibilité humaine. Dans un entretien recueilli en début d’année, le contre-ténor nous avait confié la sortie prochaine d’un enregistrement d’airs écrits par des amateurs, des hommes qui aimaient la musique sans en faire nécessairement leur profession. L’album I Dilettanti nous livre une série de cantates ou d’airs de concert, dont certains pourraient sans peine s’insérer dans un opéra.

I Dilettanti 

Ensemble Latinitas Nostra

Giacomo MACCARI (1700- 1744)
Non mi si dica più (cantate pour alto et basse continue, transcription de Flavio Ferri-Benedetti) : “Non mi si dica più”, aria ; “Speranza, unico e solo”, recit. ; “Ti sovveniste almeno”, aria

Emanuele d’ASTORGA (1680 – 1757 ?)
In queste amene seve (cantate pour alto et basse continue, transcription de Flavio Ferri-Benedetti) : “In queste amene selve”, recit. ; “Da voi lungi, pupille serene”, aria ; “Senza di te, mio bene”, recit. ; “Quando a te tornar dovro”, aria

Vincenzo BENEDETTII (1683 – ?)
La Gelosia (cantate pour contralto avec basse continue – collection privée de Xavier Sabata Corominas) : “Son reo non mi difendo”, recit. ; “Giura il nocchier, che al mare”, aria

Giovanni Maria RUGGIERI (1665 – 1725)
Armida abbandonata : “Deh, m’adita, o bella dea”, aria ; “Vinto son dalla mea fede”, aria

Diogenio BIGAGLIA (1676 – 1745)
Piu ch’io cerco del mio bene (cantate pour alto et basse continue, transcription de Flavio Ferri-Benedetti) : “Piu ch’io cerco del mio bene”, aria ; “Ma, che sordi a miei pianti”, recit. ; “Son come tortorella”, aria

Giovanni Maria RUGGIERI (1665 – 1725)
Vinto son della mia fede

Benedetto MARCELLO (1686 – 1739)
Lucrezia (cantate pour alto et basse continue, transcription de Flavio Ferri-Benedetti)

 

sabata_dilettanti_aparteXavier SABATA, contre-ténor
Ensemble Latinitas Nostra :
Luth, théorbe, guitare : Theodoros Kitsos
Violoncelle : Iason Ioannou
Clavecin et direction : Markellos Chryssicos 

Temps total : 59′. Enregistré du 12 au 15 août 2013 à l’Ateneu d’Avia (Espagne).
Aparté, 2014.

 

Nous avions apprécié le timbre et l’expressivité de Xavier Sabata dans le récital “Bad Guys”, donnant vie et relief aux “anti-héros”, aux “méchants” des opéras, avec une grande sensibilité humaine. Dans un entretien recueilli en début d’année, le contre-ténor nous avait confié la sortie prochaine d’un enregistrement d’airs écrits par des “amateurs”, des hommes qui aimaient la musique sans en faire nécessairement leur profession. L’album “I Dilettanti” nous livre une série de cantates ou d’airs de concert, dont certains pourraient sans peine s’insérer dans un opéra. Mais le choix délibéré d’une orchestration réduite permet d’y savourer pleinement la pureté de la ligne de chant, tandis que l’expressivité du chanteur est essentielle pour donner vie au texte. Conjuguant son sens inné du phrasé à son talent d’acteur, Xavier Sabata nous livre une interprétation humaine et sensible de ces œuvres inédites, écrites par des amateurs pour d’autres amateurs.

La cantate Non mi si dica più ouvre l’enregistrement, avec un premier air lent aux beaux aigus filés, suivi d’un récitatif émouvant, au phrasé fluide, qui débouche sur l’entraînant “Ti sovenisse almeno” aux mélismes assurés. Elle a été composée par un ténor de la Cappella Marziana de Venise, dont l’existence nous est mal connue, Giacomo Maccari. La seconde a été écrite par le baron d’Astorga, noble sicilien et compositeur assez prolifique, même si la plupart de ses pièces sont aujourd’hui oubliées. Elle suit un schéma assez classique, chaque aria étant précédée d’un récitatif. On pourra noter le caractère très dépouillé du premier (“In queste amene selve”), et les belles attaques qui animent le désespoir alangui de l’air “Da voi lungi”. Dans une progression habile, le second récitatif s’achève sur de riches ornements, livrant place à l’air “Senza di te, mio bene” relevé du ryhtme ponctué de la guitare baroque qui s’imprime sur un chant abondamment orné.

Si Vincenzo Bendetti nous est très mal connu (un chanteur alto ?), sa Gelosia constitue assurément une petite perle. Le long récitatif “Son reo non mi difendo” est particulièrement animé, et l’air qui suit (“Giura il nocchier”) comporte de belles roulades virtuoses, dont Sabata s’acquitte avec bonheur. On comprend aisément qu’il en ait acquis la partition pour sa collection personnelle !

Les deux airs de Giovanni Maria Ruggieri ménagent une place prépondérante à la voix, presque dépourvue d’accompagnement. Le contre-ténor fait preuve d’une grande délicatesse du phrasé dans le “Deh, m’adita, o bella dea”. Et le court “Vinto son della mia fede” scintille d’une diction parfaitement scandée sur une ligne de chant admirablement tenue.

Diogeno Bigaglia était prieur à l’église San Giorgio Maggiore de Venise : bienheureux occupant d’une église construite par Palladio… L’air “Piu ch’io cerco del mio bene”, aux notes patiemment égrenées, souligne sa douceur par de longs ornements filés, et semble se prolonger dans le récitatif qui suit. Par contraste, les vigoureuses attaques du “Son come tortorella” qui s’épanouissent en mélismes évoquent plutôt la virtuosité inhérente à ce thème, largement exploité dans la production italienne (et en particulier napolitaine) du XVIIIème siècle.

Le Lucrezia de Benedetto Marcello nous offre dans son originalité une dimension moderne et novatrice. Ce savant arioso utilise largement les silences pour ponctuer le récit et marquer les évolutions d’humeur de Lucrèce après sa terrible épreuve. Le récitatif initial s’anime peu à peu, nous emmenant vers de furieux ornements (“Barbaro, hai vinto !”), un instant suspendus par la scansion de l’imprécation “Ma crudel, dove n’andrai” puis repris dans l’imprécation finale (Voi, genitor, consorte”).

De manière générale, on retiendra l’harmonie d’une ligne de chant toujours fluide, ponctuée à propos par un accompagnement discret mais animé, et le soin apporté à traduire vocalement les sentiments exprimés par les paroles du texte. Les ornements demeurent très naturels, ils ne bousculent jamais le timbre. Sans surprise Xavier Sabata est totalement à son aise dans ce registre, s’appuyant efficacement sur l’étendue de ses moyens vocaux pour traduire efficacement l’atmosphère de chaque cantate. Soulignons aussi la qualité du travail de transcription de Flavio Ferri-Benedetti, et le choix judicieux des instruments d’accompagnement, appropriés à chacune des œuvres. Avis aux amateurs…

Bruno Maury

Technique : prise de son claire, bon relief sonore.

Étiquettes : , , , Dernière modification: 11 février 2022
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