Rédigé par 11 h 46 min Concerts, Critiques

Funambule jubilatoire (Vivaldi, Concertos fantastiques, Gli Incogniti, Beyer – Festival de Saint-Denis, 16 juin 2024)

Amandine Beyer © Oscar Vazquez

Vivaldi, le monde à l’envers, concertos fantastiques

Antonio VIVALDI (1678-1741)
Concerto en do majeur RV 556
Concerto pour 2 hautbois en la mineur RV 536
Concerto en fa majeur RV 572 “Il Proteo ò sia Il mondo al rovescio”
Concerto pour violon et hautbois RV 576 in sol mineur
Concerto pour violon, 2 hautbois, 2 cors et basson en fa majeur RV 571
Concerto pour flûte RV 432
Concerto en mi majeur RV 562

Gli Incogniti :
Manuel Granatiero, traverso & flûte à bec
Eleonora Biscevic, traverso & flûte à bec
Gabriel Pidoux, hautbois
Neven Lesage, hautbois
Toni Salar, clarinette
Renaud Guy-Rousseau, clarinette
Alejandro Perez-Marin, bassons
Cyril Vittecoq, cor
Théo Suchanek, cor
Noé Ferro, timbales
Helena Zemanova, violon
Flavio Losco, violon
Katia Viel, violon
Yoko Kawakubo, violon
Vadym Makarenko, violon
Corinne Raymond-Jarczyk, violon
Marta Páramo, alto
Ottavia Rausa, alto
Marco Ceccato, violoncelle

Amandine Beyer, violon et direction

Dimanche 16 juin, Maison d’éducation de la Légion d’honneur (Pavillon de Musique), dans le cadre du Festival de Saint-Denis

A l’ombre de la Basilique, au sein de la maison d’éducation de la Légion d’honneur et ses beaux bâtiments classiques, malgré le temps maussade d’Ile-de-France, la Lagune était à l’honneur. C’est dans le Pavillon de Musique, salle de spectacle érigée en 1896 (et qui accueille le concert annuel des pensionnaires en l’honneur du Président de la République), qu’Amandine Beyer a insufflé un parfum enivrant d’Italie. On ne sait si les concerti étaient à l’envers, à l’endroit, de côté, de biais. Faisant fi de toutes lignes droites et de la géométrie la plus élémentaire, Amandine Beyer et Gli Incogniti ont transporté les festivaliers dans un tourbillon d’une boulimie tour à tour ébouriffante, optimiste, onirique, touchante, loin, très loin de ce Vivaldi brillant et léger qu’on nous assène à coup de démarrages en cote et de pédale d’accélération criarde.  

En une journée grise de cette unique saison hivernale, ce concert a scintillé. Gli Incogniti, en terrain connu et favori, ont convoyé un flot d’émotions comme autant de nuages se reflétant sur la surface d’un lac. Face à un public frénétique, Amandine Beyer dut même rappeler, mutine, à l’entracte, sous le déluge d’applaudissements, qu’il y aurait bien une deuxième partie…

L’harmonie naturelle et joyeuse de cet ensemble manifestement soudé et heureux d’être là nous a livré une version proche de la perfection de ces concertos pourtant si bien connus. L’approche très personnelle d’Amandine Beyer est évidente : des tempi vifs mais très variables, et ne versant jamais dans la précipitation ou la brutalité : un orchestre dense extrêmement coloré, aux reliefs et pupitres saillants, une ligne mélodique lumineuse et enthousiaste, qui au violon se traduit par la volonté d’un legato très prononcé, un discours très horizontal même dans les multiples doubles croches, un choix de doigtés poussant l’instrument dans les harmoniques, ce qui confère une double impression de fragilité et d’incroyables nuances, le tout assaisonné d’une spontanéité éclatante. 

Amandine Beyer © Oscar Vazquez

Le concert débutait par le Concerto en do majeur RV 556 : c’est un concerto pour deux clarinettes : Toni Salar & Renaud Guy-Rousseau s’y amusent visiblement, et l’abordent de manière espiègle, laissant ensuite la place à un extraordinaire solo d’Amandine Beyer, très poignant. Le 3e mouvement en particulier permet d’apprécier la virtuosité de la violoniste, en une vision tendue et éloquente.  Le Concerto pour deux hautbois en la mineur permet d’apprécier la très forte cohésion de l’orchestre même si l’on aurait préféré de la part de Gabriel Pidoux & Neven Lesage (que l’on avait vu très impliqué dans le projet de l’Atys du CMBV) des sonorités parfois plus terriennes et plus rugueuses, plus proche d’un Jérémie Papasergio ou d’un Bruce Haynes. Mais l’ensemble est d’une grande expressivité. Le fameux Concerto Il Proteo ò il mondo al roverscio est riche de très nombreuses couleurs, il est joué très aigu avec un tempo absolument impeccable. Le Concerto pour violon et hautbois RV576 voit le basson à côté du 1er violon insuffler une forte dimension dramatique, très présent tandis qu’Amandine Beyer survole les cordes, instillant une atmosphère magnifique, très poétique ; le deuxième mouvement permet d’apprécier un hautbois riche, harmonieux, plein de vie ; le 3e mouvement est particulièrement tendu et intense.

Après l’entracte, le Concerto pour violon et deux hautbois, deux cors et bassons voit encore les cors naturels dialoguer avec le violon d’Amandine Beyer, aigu, rapide, fragile, qui assume ses dissonances et livre un solo tout simplement magique. Le Concerto pour flûte livre un premier mouvement qui met à l’honneur la flûte virtuose et délicate de Manuel  Granatiero. Enfin le rutilant concerto en ré majeur « Per la Solennità di S. Lorenzo » (familier aux auditeurs car utilisé souvent pour compléter la Sinfonia manquante de la Juditha triomphans) introduit la forte présence des cors, avec beaucoup d’énergie et de brillance. Le dernier solo d’Amandine Beyer dans ce concerto est une véritable leçon magistrale à laquelle répond dans l’air du soir le pépiement fragile d’un oiseau dans le jardin de la Maison de la Légion d’honneur. Le bis enfin – l’un des mouvements du Concerto du monde à l’envers – fut merveilleux de légèreté et d’invention avec des choix différents d’instrumentation des parties pour ce fameux morceau en miroir.

 

Elsa Ferracci

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 21 juin 2024
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