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Galant, virtuose mais peu inspiré

Jean-Pierre Duport fut un grand violoncelliste. Frère aîné de Jean-Louis Duport, l’auteur de l’Essai sur le doigté du violoncelle et la conduite de l’archet, il s’en fut à Berlin où, comme son frère, il fut musicien de Frédéric Guillaume II, lui-même violoncelliste. Il fut signalé dès ses débuts au Concert spirituel comme un virtuose exceptionnel…

Jean-Pierre DUPORT (1741–1818)

Six sonates pour violoncelle et basse dédiées au Roi de Prusse, op. 4
Sonate I en ré majeur, II en mi mineur, III en do majeur, IV en fa majeur, V en la majeur, VI en ré majeur.

 

Raphaël Pidoux, violoncelle
Kay Ueyama, clavecin
Pascale Jaupart, violoncelle 

Integral Classic, 2012, 80’42.

[clear]Jean-Pierre Duport fut un grand violoncelliste. Frère aîné de Jean-Louis Duport, l’auteur de l’Essai sur le doigté du violoncelle et la conduite de l’archet, il s’en fut à Berlin où, comme son frère, il fut musicien de Frédéric Guillaume II, lui-même violoncelliste. Il fut signalé dès ses débuts au Concert spirituel comme un virtuose exceptionnel, et ce n’est sans doute pas les sonates proposées dans cet enregistrement qui le nieront. Jean-Pierre Duport eu par ailleurs le privilège de créer les deux sonates pour violoncelle et piano opus 5 de Beethoven, devant leur dédicataire — Frédéric Guillaume II — et avec le compositeur lui-même au piano.

Parut tardivement (entre 1808 et 1814), le quatrième recueil de sonates de Jean-Pierre Duport a dû être composé bien plus tôt ; en effet, Mozart composa ses variations KV 573 sur le menuet de la sixième sonate du recueil. Leur composition doit donc dater d’avant 1789.

Les deux Duport avaient été mis à l’honneur dans un disque d’Anner Bylsma intitulé “Le violoncelle et le roi de Prusse” (The Cello and the King of Prussia, Sony Vivarte, 1998) : de Jean-Louis, il proposait deux “Exercices”, de Jean-Pierre, une sonate de l’opus 2 en ré majeur. (Le programme était complété par une sonate de Romberg, une autre de Boccherini, et deux séries de variations de Beethoven.) Le divin Anner nous laissait déjà entendre un tourbillon de virtuosité parfaitement maîtrisé — aigus précis et brillants, triples croches du finale ébouriffantes —, emprunt aussi d’une certaine galanterie classique, dans laquelle les deux violoncelles entraient en interaction l’un avec l’autre, et le pianoforte égrenait avec délicatesse un accompagnement inspiré.

C’est le même esprit de galanterie et de virtuosité que l’on retrouve ici sous l’archet de Raphaël Pidoux. Cependant, le tout semble moins maîtrisé. Un peu plus poussif, un peu moins juste aussi (par exemple les aigus de l’Allegro initial de la sonate VI). Le violoncelliste semble se perdre dans les cascades de notes et peiner à en tirer la délicatesse qui émanait de l’enregistrement de Bylsma. Il faut dire que ses partenaires ne semblent guère plus inspirés : la ligne de basse de Pascale Jaupart, deuxième violoncelle, est peu inventive, et il faut bien avouer qu’on ne peut demander aux interprètes de réécrire la musique. On notera cependant que sa voix sait se mêler, quand l’écriture l’y invite, à celle du premier violoncelle (par exemple dans l’adagio de la sonate II). Une question cependant nous brûle les oreilles : pourquoi avoir choisi de confier la basse continue non au pianoforte mais au clavecin ? Ces sonates datent, paraît-il, des années 1785–89, et ont été publiées vingt ans après : la suprématie du piano était déjà assez bien installée. De plus, le pianoforte aurait apporté du moelleux à cet accompagnement fade. Kay Ueyama le joue sans trop se le reapproprier, sans l’inventer, faisant de ce clavecin un soutien attentif mais assez squelettique.

Marc Vignal, dans le petit livret d’accompagnement du présent disque, signale que les sonates du livre IV “ne diffèrent pas fondamentalement de celles des livres I à III. (…) Dans le livre IV, la basse et les ornements sont plus simples que dans les trois précédents, mais les lignes de l’instrument restent assez compliquées”. Oui, il y a çà et là d’assez jolies mélodies (adagio de la sonate I, par exemple), mais l’écriture, en effet, demeure assez peu intéressante. On se demande pourquoi les interprètes n’ont pas choisi plutôt de mélanger des sonates du dernier livre à celles des livres précédents, dont l’écriture était, paraît-il, plus riche. Au-delà de la grande virtuosité des pièces, que reste-t-il ? Il aurait sans doute fallu un miracle pour rendre tout cela attrayant pendant une heure vingt, et ce miracle ne se produit pas. Duport fut un grand violoncelliste, mais pas un grand compositeur.

Loïc Chahine

Technique : prise de son équilibrée et claire.

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 23 novembre 2020
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