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Définitions musicales tirées du Dictionnaire Dramatique de La Porte & Chamfort Lacombe, Paris, 1776

L’œuvre de La Porte et Chamfort se veut à la fois un ouvrage de référence et une véhémente défense du théâtre français, incluant la tragédie lyrique. Aussi, à côté d’articles relativement neutres tels récitatif, on trouve des développements remarquablement polémiques à opéra, par exemple où l’auteur déprécie Lully et l’opéra italien.

Vue du Parterre de l'Orangerie  © Muse Baroque / Château de Versailles, 2009

Vue du Parterre de l’Orangerie © Muse Baroque / Château de Versailles, 2009

L’œuvre de La Porte et Chamfort se veut à la fois un ouvrage de référence et une véhémente défense du théâtre français, incluant la tragédie lyrique. Aussi, à côté d’articles relativement neutres tels “récitatif”, on trouve des développements remarquablement polémiques à “opéra”, par exemple où l’auteur déprécie Lully et l’opéra italien.

Plusieurs entrées consacrées à la musique sont des reprises partielles ou intégrales de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ou Dictionnaire de la musique de Rousseau, telles  “Acteur de l’Opéra de Paris”, “Air”,  “Orchestre”, etc…

Les extraits sont reproduits dans l’orthographe de l’époque (figurans, refrein) ; les chiffres romains et numéros entre crochets se rapportent à la tomaison et pagination de l’édition originale. Tous les articles musicaux ont été rassemblés ici.

Une version électronique du Dictionnaire peut être consultée sur : http://www.cesar.org.uk/cesar2/books/laporte/preface.php.

M.B.

Acteur de l’Opéra de Paris  [I, 18]

Chanteur qui fait un rôle dans la Représentation d’un Opéra. Outre toutes les qualités qui doivent lui être communes avec l’Acteur Dramatique, il doit en avoir beaucoup de particulières, pour réussir dans son art. Ainsi, il ne suffit pas qu’il ait un bel organe pour la parole, s’il ne l’a tout aussi beau pour le chant ; car il n’y a pas une telle liaison entre la voix parlante & la voix chantante, que la beauté de l’une suppose toujours celle de l’autre. Si l’on pardonne à un Acteur le défaut de quelques qualités qu’il a pu se flatter d’acquérir, on ne peut lui pardonner d’oser se destiner au Théâtre, destitué des qualités naturelles qui y sont nécessaires, telles, entr’autres, que la voix dans un Chanteur. Mais par ce mot voix, j’entends moins la force du timbre, que l’étendue, la justesse & la flexibilité. Je pense qu’un Théâtre, dont l’objet est d’émouvoir le coeur par les chants, doit être interdit à ces voix dures & bruyantes, qui ne font qu’étourdir les oreilles ; & que, quelque peu de voix que puisse avoir un Acteur, s’il l’a juste, touchante, facile & suffisamment étendue, il en a tout autant qu’il faut : il saura toujours bien se faire entendre, s’il sait se faire écouter. Avec une voix convenable, l’Acteur doit l’avoir cultivée par l’art ; & quand sa voix n’en auroit pas besoin, il en auroit besoin lui-même pour saisir et rendre avec intelligence la partie musicale de ses rôles. Rien n’est plus insupportable & plus dégoûtant, que de voir un Héros, dans les transports des passions les plus vives, contraint & gêné dans son rôle, peiner & s’assujettir en écolier qui répete mal sa le-

[19]çon ; montrer, au lieu des combats de l’amour & et de la vertu, ceux d’un mauvais Chanteur avec la mesure & l’Orchestre, & plus incertain sur le ton que sur le parti qu’il doit prendre. Il n’y a ni chaleur, ni grace sans facilité, & l’Acteur dont le rôle lui coûte, ne le rendra jamais bien. Il ne suffit pas à l’acteur d’Opéra d’être un excellent Chanteur, s’il n’est encore un excellent Pantomime ; car il ne doit pas seulement faire sentir ce qu’il dit lui-même, mais aussi ce qu’il laisse dire à la Symphonie. L’Orchestre ne rend pas un sentiment qui ne doive sortir de son ame : ses pas, ses regards, son geste, tout doit s’accorder sans cesse avec la musique, sans pourtant qu’il paroisse y songer : il doit intéresser toujours, même en gardant le silence ; & quoiqu’occupé d’un rôle difficile, s’il laisse un instant oublier le personnage, pour s’occuper du Chanteur, ce n’est qu’un Musicien sur la Scène ; il n’est plus Acteur. Tel excella dans les autres parties, qui s’est fait siffler pour avoir négligé celle-ci. ROUSSEAU.

 

Air  [I, 32]

Chant qu’on adapte aux paroles d’une chanson, ou d’une petite Piéce de Poésie propre à être chantée ; & par extension l’on appelle air la chanson même. Dans les Opéra l’on donne le nom d’Airs à tous les chants mesurés, pour les distinguer du récitatif, & généralement on appelle Air tout morceau complet de musique vocale ou instrumentale formant un chant, soit que ce morceau fasse lui seul une Piéce entriere, soit qu’on puisse le détacher du tout dont il fait partie, & l’exécuter séparément.
Si le sujet ou le chant est partagé entre deux parties, l’Air s’appelle duo ; si c’est en trois, trio, &c.
Saumaise croit que ce mot vient du latin aera. Les Romains avoient leurs signes pour le Rythme, ainsi que les Gecs avoient les leurs ; & ces signes, tirés aussi de leur caractère numérique, se nommoient non-seulement numerus, mais encore aera, c’est-à-dire nombre, ou la marque du nombre.Numeri, nota, dit Nonius Marcellus.
Or, quoique ce mot aera ne se prît ordinaire-
[33]ment par les Musiciens que pour le nombre ou la mesure du chant, du mot numerus, l’on se servoit d’aera, pour désigner le chant même, d’où est venu le mot François Air, & l’Italien aria pris dans le même sens.

 

Ballet [I, 160]

Danse figurée, exécutée par plusieurs personnes qui représentent par leurs pas & par leurs gestes, une action naturelle ou merveilleuse, au son des instrumens & de la voix. Nous ne le considérons ici que relativement à la partie dramatique.
Les Egyptiens firent les premiers, de leur Danses, des hiéroglyphes d’action pour exprimer les Mystères de leur Culte, le mouvement réglé des Astres,
[161]l’ordre immuable & l’hamonie constante de l’Univers. Les Grecs les imiterent en ceci ; Voyez CHOEUR : & chez eux le Ballet renferma souvent des Allégories ingénieuses, qui lui firent donner le nom de Danse Philosophique. Ce fut vers le quatorzieme siecle, qu’il fut en Europe une Composition Théâtrale, & servit à célébrer les Mariages des Rois, les Naissances des Princes & les grands événemens.
Les grands Ballets se diviserent en plusieurs espèces.
Les Ballets historiques sont les actions connues dans l’Histoire, comme le Siége de Troyes, les Victoires d’Alexandre, &c.
Les Ballets fabuleux sont pris de la Fable, comme le Jugement de Pâris, la Naissance de Vénus. Les Poëtiques, qui sont les plus ingénieux, étoient de plusieurs espéces, & tenoient pour la plûpart de l’Histoire & de la Fable. Ce Spectacle avoit des régles particulieres, comme le Poëme Epique, la Tragédie & la Comédie.
L’unité de dessein étoit seule nécessaire, & l’on n’exigeoit ni l’unité de tems ni celle de lieu.
La division ordinaire des Ballets étoit en cinq Actes, & chaque Acte étoit divisé en trois, six, neuf, & quelquefois douze Entrées. Voyez ENTRÉE.
On a conservé l’idée de quelques-uns de ces Ballets. En voici un de ceux qu’on appeloit Allégoriques. Il fut donné au Mariage d’une Princesse de France & du Duc de Savoye. Le gris de lin en fut le sujet ; parce qu’il étoit la couleur favorite de la Princesse.
Au lever de la toile, L’Amour paroît & déchire
[162] son bandeau : il appelle la lumière, & l’engage par ses chants à se répandre sur l’Univers, afin que dans la variété des couleurs, il pût choisir la plus agréable. Iris étale dans les airs les couleurs les plus vives. L’Amour se décide pour le gris de lin. Il veut qu’à l’avenir il soit le symbole des amour sans fin.
Quelques uns de ces Ballets portoient le titre de Ballets moraux, comme celui qui étoit intitulé : La Vérité ennemie des Apparences, & soutenue par le Tems. On voyoit d’abord l’Apparence portée sur un grand nuage, & vêtue de couleurs changeantes, & avec différens attrubuts, environnée des Fraudes, de Mensonges. Le Tems paroissoit avec une horloge de sable, de laquelle sortoient les heures & la Vérité.
Dans le temps de l’établissement de l’Opéra en France, on conserva le fond du grand Ballet ; mais on en changea la forme. Quinault imagina un genre où les récits firent la plus grande partie de l’action; & où la Danse ne fut plus qu’un accessoire. Ses successeurs l’imiterent dans ses Ballets, & resterent fort au-dessous de lui.
La Mothe, en 1697, créa un genre nouveau qui fut adopté. L’Europe Galante a servi de modele à tous les Ballets qu’on a donné depuis. On se plaint que dans la plûpart de ces Ballets les Actes forment autant de sujets différens, liés seulement entr’eux par quelques rapports généraux, étrangers à l’action, & que le Spectateur n’appercevroit jamais, si l’Auteur n’avoit soin de l’en avertir dans le Prologue. Malgré cet inconvénient, il paroît qu’on ne se détachera pas facilement d’un genre qui produit une grande variété

[163] sans exiger du Poëte de grands efforts de génie. Le Ballet de cette nouvelle forme consiste en trois ou quatre Entrées, précédées d’un Prologue.
Le Prologue, & chacune des Entrées, forment des actions séparées, avec un ou deux Divertissemens mêlés de Chants & de Danses. Le fond du Ballet & des Danses qu’il amene, doit être galant, noble, intéressant ou badin, suivant la nature des sujets. Telle est au moins la forme de tous ceux qui sont restés au Théatre.

 

Choeur [I, 241]

Morceau d’harmonie complette à quatre Parties ou plus, chanté à la fois par toutes les voix, & joué par tout l’Orchestre. On cherche dans les Choeurs un bruit agréable & harmonieux, qui charme & remplisse l’oreille. Les François passent, en France, pour réussir mieux dans cette partie, qu’aucune autre Nation de l’Europe. Le Choeur, dans la Musique Françoise, s’appelle quelquefois grand Choeur, par opposition au petit Choeur, qui est seulement composé de trois
[242]Parties, sçavoir, deux-Dessus & la Haute-Contre qui leur sert de Basse. On fait, de tems en tems, entendre séparément ce petit Choeur, dont la douceur contraste agréablement avec la bruyante harmonie du grand. On appelle encore petit Choeur, à l’Opéra, un certain nombre de meilleurs instruments de chaque genre, qui forment comme un petit Orchestre particulier autour du Clavecin & de celui qui bat la mesure. Ce petit Choeur est destiné pour les Accompagnemens, qui demandent le plus de délicatesse & de précision. Il y a des Musiques à deux ou plusieurs Choeurs, qui se répondent & chantent quelquefois tous ensemble. On en peut voir un exemple dans l’Opéra de Jephté. Mais cette pluralité de Choeur simultanée, qui se pratique assez souvent en Italie, est peu utilisée en France : on trouve qu’elle ne fait pas un bien grand effet ; que la composition n’en est pas fort facile, & qu’il faut un grand nombre de Musiciens pour l’exécuter.

CHOEUR, signifie un ou plusieurs Acteurs qui sont supposés Spectateurs de la Piéce, mais qui témoignent de tems en tems la part qu’ils prennent à l’action, par des discours qui y sont liés, sans pourtant en faire une partie essentielle. Le Choeur, chez les Grecs, étoit une des parties de quantité de la Tragédie. Il se partageoit en trois parties, qu’on appelloit ParodosStasimon & Commoi. Voyez ces mots.

La Tragédie n’étoit, dans son origine, qu’un Choeur qui chantoit des Dithyrambes en l’honneur de Bacchus, sans autres Acteurs qui décla-
[243]massent. Thespeis, pour soulager le Choeur, ajouta un Acteur qui récitoit les aventures de quelque Héros. A ce Personnage unique, Eschyle en ajouta un second, & diminua les Chants pour donner plus d’étendue au Dialogue. On nomma Episode ce que nous appellons aujourd’hui Actes, & qui se trouvoit renferné entre les Chants du Choeur. Voyez ÉPISODE & ACTE.

Mais quand la Tragédie eut commencé à prendre une meilleure forme, ces Récits ou Episodes, qui n’avoient été imaginés que comme un accessoire pour laisser reposer le Choeur, devinrent eux-même la partie principale du Ppëme Dramatique, dont, à son tour, le Choeur ne fut plus que l’accessoire. Les Poëtes eurent seulement l’attention de ramener au sujet ces Chants qui, auparavant, étoient pris de sujets tout différens. Il y eut dès-lors unité dans le Spectacle. Le Choeur devint partie intéressée dans l’action, quoique d’une maniere plus éloignée que les Personnages qui y concouroient. Ils rendoient la Tragédie plus réguliere & plus variée ; plus réguliere, en ce que, chez les Anciens, le lieu de la Scène étoit toujours le devant d’un Temple, d’un Palais, ou quelqu’autre endroit public ; & l’action se passant entre les premieres personnes de l’Etat, la vraisemblance exigeoit qu’elle eût beaucoup de témoins, qu’elle intéressât tout un peuple ; & ces témoins formoient le Choeur.

De plus, il n’est pas naturel que des gens intéressés à l’action, & qui en attendent l’issue avec impatience, restent toujours sans rien dire. La raison veut, au contraire, qu’ils s’entretiennent de
[244]ce qui vient de se passer, de ce qu’ils ont à craindre ou à espérer, lorsque les principaux Personnages, en cessant d’agir, leur en donnent le tems ; & c’est aussi ce qui faisoit la matiere des chants du Choeur. Ils contribuoient encore à la variété du Spectacle par la Musique & l’Harmonie, par les Danses, &c. Ils en augmentoient la pompe par le nombre des Acteurs, la magnificence & la diversité de leurs habits ; & l’utilité, par les instructions qu’ils donnoient aux Spectateurs. Voilà quels étoient les aventages des Choeurs dans l’ancienne Tragédie ; avantages que les Partisans de l’antiquité ont fait valoir en supprimant les inconvéniens qui en pouvoient naître. En effet, ou le Choeur parloit, dans les entr’Actes, de ce qui s’étoit passé dans les Actes précédens, & c’étoit une répétition fatiguante ; ou il prévenoit ce qui devoit arriver dans les Actes suivans, & c’étoit une annonce qui pouvoit dérober le plaisir de la surprise ; ou enfin il étoit étranger au sujet, & par conséquent il devoit ennuyer. La présence continuelle du Choeur, dans la Tragédie, paroït encore plus impraticable. L’intrigue d’une Piéce intéressante, exige d’ordinaire que les principaux Acteurs ayent des secrets à confier ; & le moyen de dire son secret à tout un peuple ? Comment Phédre, dans Euripide, peut-elle avouer à une troupe de femmes un amour incestueux, qu’elle doit craindre s’avouer à elle même ? Comment les Anciens conservoient ils si scrupuleusement un usage si sujet au ridicule ? C’est que le Choeur étant l’origine de la Tragédie, ils étoient persuadés qu’il devoit en être la base.

[245]Le Choeur, ainsi incorporé à l’action, parloit quelquefois dans les Scènes par la bouche de son Chef appellé Choryphée. Dans les Intermèdes, il donnoit le ton au reste du Choeur, qui remplissoit par ses chants tout le tems que les Acteurs n’étoient point sur la Scène ; ce qui augmentoit la vraisemblance & la continuité de l’action.

Outre ces Chants qui marquoient la division des Actes, les Personnages du Choeur accompagnoient quelquefois les plaintes & les regrets des Acteurs sur des accidens funestes arrivés dans le cours d’un Acte ; rapport fondé sur l’intérêt qu’un peuple prend ou doit prendre aux malheurs de son Prince.

Dans la Tragédie moderne, on a supprimé les Choeurs, si nous en exceptons l’Athalie & l’Esther de Racine, & l’OEdipe de M. de Voltaire. Les violons y suppléent. On a blâmé ce dernier usage qui ôte à la Tragédie une partie de son lustre. On trouve ridicule que l’action tragique soit coupée & suspendue par des Sonates de Musique instrumentale. Le grand Corneille répond à ces objections, que cet usage a été établi pour donner du repos à l’esprit, dont l’attention ne pourroit se soutenir pendant cinq Actes, & n’est point assez relâchée par les Chants du Choeur, dont le Spectateur est obligé d’entendre les moralités ; que de plus, il est bien plus facile à l’imagination de se figurer un long terme écoulé dans nos entr’Actes, que dans les entr’Actes des Grecs, dont la mesure étoit plus présente à l’esprit ; qu’enfin la constitution de la Tragédie moderne est de ne point avoir de Choeurs sur le Théâtre, au moins pendant toute la Piéce.

[246] Voyez avec quel art Racine & M. de Voltaire les ont introduits ! Il n’y paroît qu’à son tour, & seulement lorsqu’il est nécessaire à l’action, ou qu’il peut contribuer à l’ornement de la Scène. Le Choeur seroit absolument déplacé dans Bajazet, dans Mithridate, dans Britannicus, & généralement dans toutes les Piéces dont l’intrigue n’est fondée que sur les intérêts de quelques Particuliers.

Quand le Choeur ne faisoit que parler, un seul parloit pour toute la troupe ; Voyez CHORIPHEE : mais quand il chantoit, on entendoit chanter ensemble tous ceux qui composoient le Choeur. Le nombre de Personnages monta jusqu’à cinquante personnes : mais Eschyle ayant fait paroître dans un de ces Choeurs une troupe de Furies qui parcouroient la Scène avec des flambeaux allumés, ce spectacle fit tant d’impression, que des enfans en moururent de frayeur, & que des femmes grosses accouchèrent avant terme. Les Magistrats réduisirent alors le Choeur à quinze personnes.

Dans la Comédie ancienne, il y avoit un Choeur que l’on nommoit Grex. Ce n’étoit d’abord qu’un Personnage qui parloit dans les entr’Actes. On en ajouta successivement deux, puis trois, & enfin tant, que ces Comédies anciennes n’étoient presque qu’un Choeur perpétuel, qui faisoit aux Spectateur des leçons de vertu. Mais les Poëtes ne se continrent pas toujours dans ces bornes. Les Choeurs furent composés ou de Personnages satyriques, ou de Personnages qui recevoient des traits de satyre, qui rejaillissoient indirectement sur les principaux Citoyens. L’abus fut porté si

[247] loin en ce genre, que les Magistrats supprimerent les Choeurs dans la Comédie ; & on n’en trouve point dans la Comédie nouvelle.

 

Coupe d’Opera [I, 323]

C’est la maniere dont un Opéra est arrangé pour être favorable au Musicien, au Décorateur, pour amener les fêtes, les divertissements, pour introduire la variété dans le genre d’ouvrage qui en a le plus besoin.

COUPE DE VERS. La différence dans la Coupe des Vers sert non-seulement à rompre la monotonie de la versification & de la rime, mais à exprimer une passion ou un mouvement de l’ame avec plus de force. Dans la Tragédie d’Ariane, cette Princesse vient d’ordonner à Thésée de la quitter ; Thésée sort & Ariane dit à sa Confidente :

As-tu vu quelle joie a paru dans ses yeux ?
Combien il a paru satisfait de ma haine ?
 Que de mépris !

Cette réserve, dit M. de Voltaire, interrompue au second pied, c’est-à-dire au bout de quatre syllabes, fait un effet charmant sur l’oreille & sur le coeur. Ces finesses de l’Art furent introduites par Racine, & ne sont senties que des connoisseurs.

Lorsqu’Agrippine, dans Britannicus, rappelle à Néron tous ses bienfaits, tous les soins qu’elle s’est donnés pour lui, le choix qu’elle a fait de ses Gouverneurs :
J’appellai de l’exil, je tirai de l’Armée
Et même Séneque & ce même Burrhus,
Qui depuis … Rome alors admiroit leurs vertus.

[324] Cette césure, au milieu du second pied, peint mieux l’indignation d’Agrippine contre Burrhus & Séneque, que si elle ne se fût interrompue qu’à l’hémistiche.

De même dans Zaîre, lorsqu’Orosmane refuse Zaïre à Nérestan & le congédie, il lui dit :
Pour Zaïre, crois-moi, sans que ton coeur s’offense,
Elle n’est pas d’un prix qui soit en ta puissance ;
Tes Chevaliers François & tous leurs Souverains
S’uniroient vainement pour l’ôter de mes mains.
Tu peux partir.

Cette coupe de Vers peint mieux que toute autre, la fierté & l’impatience d’Orosmane. Aussi l’Acteur jette-t-il toujours ces mots rapidement. Ce sont ces attentions qui donnent la vie au style. Voyez STYLEVERSVERSIFICATION.

 

Duo [I, 408]

Ce nom se donne en général à toute Musique à deux Parties récitantes, vocales ou instrumentales, à l’exclusion des simples accompagnemens, qui ne sont comptés pour rien. Ainsi
[409] l’on appelle Duo une Musique à deux voix, quoiqu’il y ait une troisieme Partie pour la Basse Continue, & d’autres pour la symphonie. En un mot, pour constituer un Duo, il faut deux Parties principales, entre lesquelles le Chant soit également distribué.

 

Entrée [I, 438]

Air de violon sur lequel les divertissemens d’un Acte d’Opéra entrent sur le Théâtre.On donne aussi ce nom à la Danse qu’on exécute. Ce sont ordinairement les Choeurs de Danse qui paroissent sur cet air ; c’est pour cette raison qu’on le nomme corps d’Entrée. Ils en dansent un commencement & une fin ; & les Choeurs reprennent la derniere fin. Chaque Danse, qu’un Danseur ou une Danseuse exécute, s’appelle aussi Entrée ; on lui donne encore le nom de Pas.

Chaque partie séparée des Ballets anciens étoit nommée Entrée. Dans les Modernes, on a conservé ce nom à chacune des actions séparées de ces Poëmes. Ainsi l’on dit : l’Entrée de Tibulle dans les Fêtes Grecques & Romaines, ou l’Entrée

[439] des Incas dans les Indes Galantes. Il seroit ridicule que l’on fît commencer l’action dans un lieu, & qu’on la dénouât dans un autre. Le tems d’une Entrée de Ballet doit être celui de l’action même : on ne suppose point des intervalles : il faut que l’action qu’on veut représenter se passe aux yeux du Spectateur, comme si elle étoit véritable. Quand à sa durée, on juge bien que puisque le Ballet exige ces deux unités, il exige à plus forte raison, l’unité d’action : c’est la seule qu’on regarde comme indispensable dans le grand Opéra ; on le dispense des deux autres : l’entrée de Ballet, au contraire, est astreinte à toutes les trois.

A l’Opéra, on donne aussi ce nom à l’air de symphonie par lequel débute un Ballet. Enfin Entrée se dit du moment, où chaque partie qui en suit une autre, commence à se faire entendre.

 

Fête [I, 495]

C’est le nom que l’on donne à presque tous les Divertissements de Chants & de Danse qu’on introduit dans un Acte d’Opéra. La différence qu’on y assigne entre les mots de Fêtes & de Divertissement, est que le premier s’applique plus particuliérement aux Tragédies, & le second aux Ballets.

Une des plus grandes difficultés d’un Opéra, est d’y bien amener des Fêtes. Elles doivent servir à l’action principale. Elles doivent y tenir comme incidens au moins vraisemblables ; & il est égal qu’elles viennent au commencement, au milieu ou à la fin de l’Acte, pourvu que ce soit à propos. Il est convenable que les Plasirs, les Amours et les Graces présentent, en dansant, à Enée les armes dont Vénus lui fait don. Il est naturel que les Démons, formant un complot funeste au repos du Monde, expriment leur joie par des danses. Un grand défaut dans un Opéra, est d’avoir deux Actes de suite sans Fêtes. Ce défaut devient plus sensible, depuis que le goût du Public est déclaré pour les Divertissemens.

Le Poëte doit jetter de la variété dans ses Fêtes. Ce seroit un défaut insupportable dans un Poëme, que de voir deux Fêtes de même caratère.

Quinault coupe ses Opéra de maniere que les Fêtes y viennent comme d’elles-même, & se succedent avec la plus grande variété. Souvent même elles forment un contraste touchant avec la situation. Dans l’Opéra de Roland, Angélique, aimée de ce Héros, déclare à sa Confidente son amour pour Médor. Dans l’instant même, une
[496] troupe d’Insulaires, délivrés par Roland, viennent lui présenter un bracelet de la part de leur Libérateur, & forment des danses à la maniere de leur pays. Au second Acte, Angélique trouve Médor au milieu d’une Forêt, auprès de la Forêt Enchantée de l’Amour. Elle a vainement combattu sa passion. Une troupe d’Amours, de Syrènes, de Nymphes, de Sylvains, d’Amans et d’Amantes Enchantés, invitent Angélique & Medor aux plaisirs de l’Amour. Au troisieme Acte, Angélique ayant préféré Médor & lui ayant donné l’Empire du Caraï, les Sujets d’Angélique viennent rendre homage à leur nouveau Maître ; ce qui forme une Fête majestueuse. Au quatrieme Acte, Roland trahi, & plus amoureux que jamais, trouve une troupe de Bergers & de Bergeres célébrant l’hymenée d’un Berger du lieu. Il apprend d’eux l’infidélité d’Angélique. Dans sa fureur, il brise les rochers, renverse les arbres, & fait fuir les Bergers épouvantés. Logistille, environnée de Fées, & évoquant les Ombes des anciens Héros pour l’aider à rendre la raison à Roland, forme la Fête du cinquieme Acte.

FÊTES DE COUR. C’est le nom que les Espagnols donnent à certaines Piéces qu’on représente pour solemniser des événemens heureux, tel que la Naissance d’un Prince, une Victoire, un Mariage d’où dépendroit la tranquilité de l’Etat. Le Spectacle est alors entremêlé de machines, de décorations; de chant & de danse. Les danses sont tantôt dans le goût grotesque, tantôt dans le grave, & souvent caractérisées. Leur chant n’est
[497] qu’une lamentation éternelle, une expression de tristesse, qui dégenere en langueur : aussi y a-t-il chez eux un proverbe qui dit que les Espagnols gémissent en chantant.

 

Figurans [I, 504]

On appelle ainsi à l’Opéra les Chanteurs & les Chanteuses, les Danseurs & les Danseuses en sous-ordre, employés dans les Choeurs & dans les Danses, où ils paroissent sous les divers habillemens que le sujet exige.

 

Fragments [I, 522]

On a donné, en différens tems, plusieurs Opéra sous ce titre général. C’est ce qu’il faut expliquer ici, pour éviter la confusion. On appella les premiers, les Fragmens de Lully. C’est l’extrait de plusieurs morceaux de ce Musicien, mis au Théâtre le 16 Septembre 1702, par Campra, & par Danchet qui en fit les paroles. Ces Fragmens furent repris six ans après, avec des changemens considérables, faits par les mêmes Auteurs.

On appella les seconds, les Fragmens des Modernes, ou Télémaque. C’est une Piéce extraite des Opéras modernes, dont les morceaux détachés forment avec art une Tragédie en cinq Actes, qui peut être comparée à un cabinet garni de tableaux choisis de différens Maîtres. Danchet, pour la Poësie, & Campra, pour la Musique, se chargerent de l’arrangement de cette Piéce, qui fut représentée le 11 Novembre 1704.

Les troisiemes, qui sont de Mouret, continnent le Temple de Gnide, Pastorale, la Fête de Diane, & le Mariage ou les Amours de Ragonde,

[523] Comédie en trois Actes, dont les paroles sont de Destouches. Ils ont été donnés le 30 Janvier 1742, & repris deux fois.

Les quatriemes sont composés des Actes d’Almafis, d’Ismene & de Linus, dont la Musique est de MM. Royer, de Brassac, Rebel & Francoeur. Les paroles sont de Moncrif. Ils ont paru pour la premiere fois le 28 Aoüt 1750, & ont été repris plusieurs fois.

Les cinquiemes, donnés en 1751, le 18 Février, sont composés de l’Acte d’Ismene, dont on vient de parler, de celui de Titon & l’Aurore de MM. Roy & Cury ; & d’Eglé, de MM. Laugeon & de Lagarde.

On a donné depuis, sous ce même nom de Fragmens, & l’on donne encore fort souvent, des Actes de Ballets, soit anciens, soit nouveaux, qui n’ont aucun rapport entr’eux, & dont la réunion forme un Spectacle, au gré des Directeurs de l’Opéra.

 

Intermède [II, 83]

Ce qu’on donne en spectacle entre les Actes d’une Piéce de Théâtre, pour amuser le peuple, tandis que les Acteurs reprennent haleine, ou changent d’habits, ou pour donner le loisir de changer de décorations. Dans l’ancienne Tragédie, le Choeur chantoit dans les Intermèdes, pour marquer les intervalles entre les Actes. Les Intermèdes consistent, pour l’ordinaire chez nous, en Chansons, Danses, Ballets, Choeurs de Musique, &c. Aristote & Horace donnent, pour régle, de chanter pendant ces Intermèdes, des Chansons qui soient tirées du sujet principal ; mais dès qu’on eût ôté les Choeurs, on introduisit les Mimes, les Danseurs, &c. pour amuser les Spec-
[84]tateurs. En France, on y a substitué une symphonie de violons, & d’autres instrumens.

L’Auteur du Spectacle des Beaux-Arts (M. Lacombe) fait une observation bien judicieuse au sujet des Intermèdes qui coupent les Actes de nos Tragédies. Hé ! n’est-il pas ridicule, dit-il, que nos tragédies, comme cela a été déjà observé, soient coupées & suspendues par des Sonates de Musique intrumentale, & que le Spectateur, qui est supposé occupé par les plus grands Intérêts, ou ému par les plus vives passions; tombe dans un calme soudain, & fasse ainsi diversion avec le pathétique de la Scène, pour s’amuser d’un menuet ou d’une gavotte ? Rien de plus prope en effet à faire revenir l’esprit du trouble où il étoit. Ces sortes d’Intermèdes nuisent, peut-être plus qu’on ne pense, aux succès de nos Tragédies. A chaque Acte l’Auteur est, pour ainsi dire, obligé de retravailler sur de nouveau frais, pour faire illusion & pour toucher.

 

Musique [II, 280]

Musique ; harmonie qui résulte de l’accord des instrumens & du chant des voix. C’est une des parties essentielles du Drame Lyrique, ou Opéra. L’objet de la Musique est de peindre & d’exprimer, avec des sons modulés, ce que le Poëte ne peut rendre qu’avec des paroles. Il est peu d’objets dans la nature que le génie du Musicien ne puisse peindre à l’imagination : mais il en est dont l’imitation lui est plus difficile. C’est au Poëte à les éviter dans son Drame. Les objets qui tombent sous les sens, qui ont un mouvement, ou qui sont accompagnés de quelque bruit, ne sont pas au dessus de l’imitation musicale. Tels sont un naufrage, le tonerre, la fuite d’un ruisseau, un combat, le chant des oiseaux, la marche d’une armée, &c. La Musique n’ayant que le son & le mouvement pour exprimer, ne peut guère peindre par elle-même, que les objets qui forment un bruit qui leur est propre ; ou lorsqu’ils ont un mouvement, un accroissement ou une diminution sensibles ; mais les peintures qu’elle trace avec ces moyens si simples, n’en sont pas moins vives, ni moins fideles.

[281] L’immortel Rameau ne nous a-t-il pas fait entendre le bruit d’un atelier de Sculpteur dans l’ouverture de Pygmalion ? L’effet bruyant de l’artillerie, de l’artifice, les cris de vive le Roi, & les éclats du peuple transporté de joie dans une autre de ses ouvertures ? Il a composé un Choeur très-harmonique qui peint le croassement des grenouilles ; & dans son même Opéra de Platée, n’a-t-il pas une très-belle imitation des différens cris des oiseaux à l’aspect de l’oiseau de proie ? Mondonville a peint admirablement, dans son Opéra de Titon, l’arrivée de l’Aurore. Il a figuré la mêlée d’un combat, & d’autres effets de guerre dans un air de son Intermède d’Alcimadure. Qu’y a-t-il de plus pittoresque que la Plûpart de ses Motets, où l’on entend si bien le soulevement des flots, la chûte d’un torrent, où l’on voit la Mer qui se retire devant les Israëlites,
&c. Nous avons les plus belles imitations de tempêtes, de vents, de tonerre, &c. Tous les mouvemens de l’ame sont aussi du ressort de la Musique ; la gaieté, la tristesse, la colere, le desespoir, &c. Quand même elle ne peut rendre les objets par eux-même, il est rare qu’elle ne trouve pas quelques accessoires, auxquels elle puisse s’attacher, pour les rendre sensibles & les faire reconnoître. Ainsi elle pendra le Printems par le chant diversifié des oiseaux, le murmure des ondes, le siflement léger des zéphirs. Elle peut même, jusqu’à un certain point, rendre sensibles certains caractères, comme le Grondeur, l’Impatient, &c.Le Poëte qui compose un Drame Lyrique, doit donc s’attacher à ne donner que des images & des sentimens

à peindre au Musicien qui doit le se-
[282]conder, ou des objets tels que nous avons dit. Il doit éviter les dissertations, les raisonnemens, en un mot, tout ce que la Musique ne pourroit rendre qu’imparfaitement. Quant à la coupe de ses Vers, s’il n’est pas Musicien lui-même, il aura peine à réussir, sans en consulter d’habiles & d’intelligens. Une autre attention qu’il doit avoir, c’est de s’attacher à ce que ses Vers soient sonores, & susceptibles de chant. Tous les mots de notre Langue n’ont pas cet avantage. Il y a un choix à faire ; c’est ce qui a fait dire, sans doute, qu’il ne falloit que vingt mots François pour faire un Opéra.

 

Opera [II, 327]

Drame dont l’action se chante & réunit le pathétique de la Tragédie & le merveilleux de l’Epopée. Le pathétique, que l’Opéra imite de la Tragédie, consiste dans les sentimens, les situations touchantes, le noeud, les incidens frappans, l’intérêt, le dénouement. Le merveilleux, qu’il imite de l’Epopée, consiste à réaliser aux yeux

[328] tout ce qu’elle ne fait que peindre à l’imagination. S’il est question d’une Divinité du Ciel, de l’Enfer, d’un naufrage, des êtres même moraux et inanimés, il les représente au naturel par la magie des décorations. Le caratère de l’Epopée est de transporter la Scène de la Tragédie dans l’imagination du Lecteur. Là, profitant de l’étendue de son Théâtre, elle aggrandit & varie ses tableaux, se répand dans la fiction, & manie à son gré tous les ressorts du merveilleux. Dans l’Opera, la Muse Tragique à son tour, jalouse des avantages que la Muse Epique a sur elle, essaye de marcher son égale, ou plutôt de la surpasser, en réalisant, du moins pour les sens, ce que l’autre ne peint qu’en idée. Pour bien concevoir ces deux révolutions, supposé qu’on eût vu sur le Théâtre une Reine de Phénicie, qui, par ses graces & sa beauté, eût attendri, intéressé pour elle les Chefs les plus vaillans de l’armée de Godefroi, en eût même attiré quelques uns dans sa Cour, y eût donné asyle au fier Renaud dans sa disgrace, l’eût aimé, eût tout fait pour lui; & l’eût vu s’arracher aux plaisirs, pour suivre les pas de la gloire ; voilà le sujet d’Armide en Tragédie. Le Poëte Epique s’en empare ; & au lieu d’une Reine tout narurellement belle, sensible, il en fait une enchanteresse : dès lors, dans une action simple, tout devient magique & surnaturel. Dans Armide, le don de plaire est un prestige ; dans Renaud, l’amour est un enchantement : les plaisirs qui les environnent, les lieux même qu’ils habitent, ce qu’on y voit, ce qu’on y entend, la volupté qu’on y respire, tout n’est qu’illusion ; & c’est le plus charmant des songes

[329] Telle est Armide embellie des mains de la Muse Héroïque. La Muse du Théâtre la reclame & la reproduit sur la Scène, avec toute la pompe du merveilleux. Elle demande, pour varier & pour embellir ce brillant Spectacle, les mêmes licences que la Muse Epique s’est données ; & appellant à son secous la Musique, la Danse, la Peinture, elle nous fait voir, par une magie nouvelle, les prodiges que sa rivale ne nous a fait qu’imaginer. Voilà Armide sur le Théâtre Lyrique ; & voilà l’idée qu’on peut se former d’un Spectacle qui réunit le prestige de tous les Arts :

Où les beaux Vers, la Danse, la Musique,
L’art de tromper les yeux par les couleurs,
L’art plus heureux de séduire les coeurs,
De cent plaisirs font un plaisir unique. Voltaire

Dans ce composé, tout est mensonge ; mais tout est d’accord ; & cet accord en fait une vérité ; la Musique y fait le charme du merveilleux ; le merveilleux y fait la vraisemblance de la Musique : on est dans un monde nouveau : c’est la nature dans l’enchantement, & visiblement animée par une foule d’intelligences, dont les volontés sont ses loix.

Une intrigue nette & facile à nouer & à dénouer ; des caractères simples ; des incidens qui naissent d’eux-mêmes ; des tableaux sans cesse variés par le moyen du clair obscur, des passions douces quelquefois violentes, mais dont l’accès est passager ; un intérêt vif & touchant, mais qui par intervalles, laisse respirer l’ame : voilà les sujets que chérit la Poësie Lyrique, & dont Quinault a fait un si beau choix. La passion qu’il a

[330]préférée, est de toutes la plus féconde en images & en sentimens ; celle où se succedent avec le plus naturel, toutes les nuances de la Poësie, & qui réunit le plus de tableaux rians & sombres tour-à-tour. Les sujets de Quinault sont simples, faciles à exposer, noués & dénoués sans peine. Voyez celui de Roland : ce Héros a tout quitté pour Angélique ; Angélique le trahit & l’abandonne pour Médor. Voilà l’intrigue de son Poëme : un anneau magique en fait le merveilleux ; une fête de Village en amene le dénouement. Il n’y a pas dix Vers qui ne soient en sentimens ou en images. Le sujet d’Armide est encore plus simple.

L’Opera peut embrasser des sujets de trois genres différens ; du genre Tragique, du genre Comique & du genre Pastoral. Nous allons faire, d’après le Spectacle des Beaux-Arts, quelques observations sur chacun de ces genres.

Le Poëte qui fait une Tragédie Lyrique, s’attache plus à faire illusion aux sens qu’à l’esprit ; il cherche plutôt à produire un spectacle enchanteur, qu’une action où la vraisemblance soit exactement observée. Il s’affranchit des loix rigoureuses de la Tragédie ; & s’il a quelque égard à l’unité d’intérêt et d’action, il viole sans scrupule les unités de tems et de lieu, les sacrifiant aux charmes de la variété & du merveilleux. Ses Héros sont plus grands que nature ; ce sont des Dieux, ou des hommes en commerce avec eux, & qui participent de leur puissance. Ils franchissent les barrieres de l’Olympe ; ils pénetrent les abîmes de l’Enfer. A leur voix, la Nature s’ébranle, les Elémens obéissent, l’Univers leur est soumis. Le Poëte tend à retracer des sujets vastes & sublimes ;

[331] le Musicien se joint à lui pour les rendre encore plus sublimes. L’un & l’autre réunissent les efforts de leurs art & de leur génie pour enlever & enchanter le Spectateur étonné, pour le transporter tantôt dans les Palais Enchantés d’Armide, tantôt dans l’Olympe, tantôt dans les Enfers, ou parmi les Ombres fortunées de l’Elysée. Mais quelque effet que produisent sur les sens l’appareil pompeux, & la diversité des décorations, le Poëte doit encore plus s’attacher à produire, dans les Spectateurs, l’intérêt du sentiment. Voyez au mot POEME LYRIQUE tout ce que doivent observer à cet égard le Poëte & le Musicien.

Les Sujets Tragiques ne sont pas les seuls qui soient du ressort du Théâtre Lyrique : il peut s’approprier aussi le genre Comique ; c’est-à-dire, les Piéces de caractère, d’intrigue, de sentiment. Le Comique de caratère peut être d’une ressource infinie pour ce Théâtre. Il fourniroit au Poëte & au Musicien un moyen de sortir de la Monotonie éternelle d’expressions miellées, de sentimens doucereux, qui caractérisent nos Operas Lyriques. Cependant ce genre est entierement négligé à notre grand Opera. On l’a abandonné au Théâtre des Italiens, avec les Piéces d’intrigue & de sentimens. Voyez ci-après OPERA-COMIQUE

Le génie Pastoral trouve aussi sa place au Théâtre Lyrique. Plusieurs de nos Poëtes s’y sont exercés avec succès. Les sujets champêtres font plaisir par les tableaux naïfs qu’ils présentent, & sont très-susceptibles d’une Musique gracieuse, par les images riantes dont ils sont ornés. L’Amour Pastoral a une candeur, une aménité, un charme ravissant. Il rappelle l’âge d’or,

[332] où le goût seul faisoit le choix des Amans, & le sentiment leurs liens & leurs délices. C’est, parmi nos Bergers, que l’Amour est vraiment un enfant, simple comme la Nature qui le produit ; il plaît sans fard & sans déguisement ; il blesse sans cruauté ; il attache sans violence. De telles peintures demandent une Musique naïve, des airs simples, un chant uni, une symphonie douce & tendre. Mais ce genre semble épuisé parmi nous, & n’avoir plus rien que de fade & de monotone.

OPERA FRANCOIS, (l’Histoire de l’)

Les Italiens sont les inventeurs de l’Opera. Ce brillant Spectacle fut introduit en France par le Cardinal Mazarin en [1]645. Le succès qu’eut parmi nous la Piéce Italienne, intitulée Orphée et Euridice, fit souhaiter qu’on donnât de pareils Ouvrages dans notre Langue. L’Abbé Perrin fut le premier qui hasarda des paroles Françoises, à la vérité fort mauvaises, mais qui réussirent pourtant assez bien, lorsqu’elles eurent été mises en Musique par l’Organiste Cambert. Cette Piéce est une Pastorale en cinq Actes, qu’on représenta pour la premiere fois à Issy, sans employer les danses ni les machines. Elle fut si généralement applaudie, que le Cardinal en fit donner plusieurs représentations devant le Roi & toute la Cour.

Le Marquis de Sourdeac fit alors connoître son génie pour les machines. Il s’associa avec le Poëte Perrin & le Musicien Cambert pour donner des Opera : & ces trois Fondateurs du Théâtre Lyrique firent représenter, dans un Jeu de Paume de la rue Mazarine, quelques Piéces, dont la Poësie

[333] seule fut trouvée mauvaise. Quelques tems après, Jean-Baptiste Lully obtint des Lettres-patentes en forme d’Edit, portant permission de tenir Académie Royale de Musique, & il y fit construire un nouveau Théâtre près du Luxembourg, dans la rue de Vaugirard. Ce célèbre Musicien donna au Public le 15 Novembre 1672 Les Fêtes de l’Amour & de Bacchus, Pastorale composée de différens Ballets.

Après la mort de Moliere, le Roi donna à Lully la Salle du Palais Royal, où, depuis le mois de Juillet 1673, tous les Opera ont été représentés jusqu’à présent.

Lully avoit un talent supérieur pour la Musique : il s’associa avec Quinault, qui avoit lui-même un géni éminent pour la Poësie. Celui-ci, en s’écartant du goût, de la forme & de la coupe ordinaire des Opera Italiens, en créa un d’un nouveau genre, conforme à l’esprit & au goût de la Nation. Il imagina des actions tragiques, liées à des danses, au mouvement des machines, & aux changemens de décorations.

Tout ce que la passion de l’amour peut fournir de vivacité, de tendresse & d’expressions fortes de sentimens, ce que la magie ou la puissance des Dieux peut produire de merveilleux, fut mis en oeuvre par ce Poëte dans les différens Ouvrages dont il a enrichi ce Spectacle.

Lully composa la Musique de tous ces Opera. Son principal mérite est d’avoir trouvé des chants tout-à-fait analogues à la Langue Françoise ; la partie du récitatif sur-tout est celle où il a excellé. C’est presque toujours une déclamation naturelle, simple, remplie de graces & d’expressions ;

[334] presque toujours noble, quelquefois grande & sublime, mais souvent aussi monotone. Il s’en faut beaucoup que ses symphonies ayent la même beauté ; tous ses grands airs, ainsi que ses ouvertures, semblent être jettés dans le même moule ; & à le bien prendre, il n’a proprement fait qu’un seul de chacun de ces airs dans chaque genre. Sa réputation cependant étoit extrême ; tous les Musiciens le regardoient comme leur Maître ; & le Public ne voyoit que lui dans les Opera que l’on donnoit de son tems : le chant faisoit disparoître les paroles ; le Poëte étoit éclipsé par le Musicien ; & ce n’est guère que depuis environ quarante ans, qu’on s’est apperçu en France, que Quinault étoit un Poëte au-dessus du commun.

Après la mort de Lully, l’Opera passa à deux de ses fils, qui n’eurent point les talens de leur pere. Depuis, regardé comme une espéce de Ferme, il fut livré à des Directeurs avides, qui s’enrichirent en l’appauvrissant. Pendant toute leur administration, ce Spectacle fut mal entretenu, les Acteurs mal choisis, les créanciers mal payés, & le Public mal servi.

Parmi ceux qui, depuis Quinault et Lully, ont travaillé pour ce Théâtre, nous n’avons guère eu que MM. de la Mothe, Dancher, Roi, Duché, Fontenelle, Lafont, Moncrif, l’Abbé Pellegrin, Cahusac, Bernard & Rousseau de Genève, qui méritent quelque considération parmi les Poëtes ; & Campra, Destouches, Mouret, Rameau, Mondonville, Rebel, Francoeur, Royer, Dauvergne, Rousseau, Monsigny, Philidor, Gluck & Grétry parmi les Musiciens. Lamothe a créé deux genres nouveaux, qui ont enrichi ce Spectacle, le Ballet, &

[335] la Pastorale. Son Europe Galante est un Ouvrage enchanteur pour les paroles & pour la Musique. La Pastorale d’Issé est admirable ; son succès a toujours été brillant ; & elle le mérite par toutes les graces de sentiment qui y sont répandues. Campra a fait la Musique du Ballet, & Destouches celle de la Pastorale.

Campra étoit véritablement Musicien ; il avoit une portion de génie qui donnoit à sa Musique un caractère qui lui étoit propre. Pour les chants, il est inférieur à Lully ; mais il vaut mieux que lui pour la symphonie.

Destouches n’étoit point Musicien ; il avoit des chants & du goût, mais n’entendoit ni les Choeurs, ni les symphonies. C’étoit Campras & Lalande qui faisoient celles de ses Opera. Homme d’intrigue, insinuant & adroit, il avoit fait entendre à nos Courtisans ; qu’elles ne devoient être que la partie du simple Musicien artisan ; c’est qu’en effet il n’étoit pas capable de les faire.

Roy a travaillé en concurrence avec La Motte & Danchet : il a donné vingt-un Opera ou Ballets. Les Elémens & Callirhoé, sont les deux seuls Ouvrages qui parroissent devoir rester au Théâtre. C’est Destouches qui en a fait la Musique. Roy a travaillé avec tous les différens Musiciens qu’il y a eu en son tems.

En 1733, Rameau donna Hyppolite & Aricie ; bientôt après on représenta ses Indes Galantes ; & voilà l’époque de la révolution de la Musique en France. Musicien de génie, élevé, sublime, toujours varié, toujours fécond, Rameau par ses Ovrages éclaira la Nation. La Musique est depuis entrée dans l’éducation de tous nos jeunes

[336] gens. Les vieillards, attachés au genre qu’ils connoissent, s’éleverent avec force contre ce nouveau phénomène : ils avoient pour eux tout ce qu’il y avoit alors de Musiciens ignorans, qui trouverent qu’il étoit plus aisé de déclamer contre le goût nouveau, que de le suivre. Les plus habiles furent partagés ; & dès lors on vit en France deux Partis violens & extrêmes, acharnés les uns contre les autres : l’ancienne & la nouvelle Musique fut, pour chacun d’eux, une espece de Religion, pour laquelle ils prirent tous les armes.

Il manquoit un Poëte à Rameau ; ses premiers Opera sont de différens Auteurs, comme les Ballets de Roy avoient été de divers Musiciens. A un second Lully il falloit un autre Quinault ; mais où le trouver ? Cahusac se lia avec lui ; & ils donnerent ensemble plusieurs Opera. L’objet principal de ce Poëte étoit de ramener le merveilleux sur le Théâtre Lyrique & de lier les divertissemens à l’action principale, d’une maniere si intime, que l’un ne puisse pas subsister sans l’autre.

Tel étoit l’Opera, lorsque le Roi, en se déclarant le Protecteur de l’Académie Royale de Musique, l’a mise, pour l’administration, entre les mains de M. le Prévot des Marchands, sous l’autorité de M. le Comte d’Argenton, Ministre & Secrétaire d’Etat.

OPERA ITALIEN. Les moralités qui sont semées dans l’Opéra Italien, ne plairoient pas beaucoup en France, non plus que cette mode monotone, de terminer la Scène la plus passionnée par une Ariette, par une comparaison. Est-

[337] elle placée dans le Personnage accablé de douleur ? A-t-il bonne grace à se livrer à ce badinage ? N’est ce pas refroidir l’Auditeur ; & détruire l’impression du sentiment ? Cela est aussi disparate, que de mettre en Musique une conspiration, un conseil, d’opiner en chantant. Il est reçu de chanter les plaintes, les joies & la fureur ; mais la Musique, faite pour toucher, ne raisonne pas. Titus fredonne un cours de morale, qui feroit tomber nos jeunes en léthargie.

Je trouve, en général, dans tous les Opera Italiens, des germes de passions, jamais la passion amenée à sa maturité ; des Scènes jamais filées, peu soutenue, souvent étouffées par des sens suspendus, point finis, & qui laissent à l’Auditeur le soin de deviner. Si nos Scènes étoient aussi hachées, occasionneroient-elles des morceaux de musique bien pathétiques, ou bien agréables, des descriptions vives & animées, des images riantes, des tableaux galans ? Notre Opera veut des fêtes liées à l’action, & sorties de son sein ; l’Opera Italien s’en dispense. Des Pantomimes dans les entr’Actes détournent l’attention due au Poëme, & font diversion aux idées Tragiques. Quel assemblage de bouffon & de sérieux ? Nous voulons un tout dont les parties soient plus analogues. L’amour, qui ne devroit être qu’accessoire dans les autres Théâtres, est le principal mobile de la Scène Lyrique. Arys est vraiment Opera, parce que tous les incidens naissent de l’amour, Armide de même ; Phaëton un peu moins ; car l’ambition du Soleil est peu agréable.

OPERA-COMIQUE. Ce Spectacle étoit ouvert du-

[338] rant les Foires de S. Laurent & de S. Germain. On peut fixer l’époque de l’Opera-Comique en 1678 ; c’est en effet cette année, que la Troupe d’Alard & de Maurice firent représenter un Divertissement Comique en trois Intermedes, intitulés Les Forces de l’Amour & de la Magie. C’étoit un composé bisarre de plaisanteries grossières, de mauvais Dialogues, de Sauts périlleux, de Machines & de Danses. Ce ne fut qu’en 1715, que les Comédiens Forains, ayant traité avec les Syndics & Directeurs de l’Académie Royale de Musique, donnerent à leur Spectacle le titre d’Opera-Comique. Les Piéces ordinaires étoient des Sujets amusans mis en Vaudevilles, mêlés de Prose & acompagnés de Danses & de Ballets ; on y représentoit aussi les Parodies des Piéces qu’on jouoit sur les Théâtres de la Comédie Françoise & de l’Académie Royale de Musique. M. le Sage est un des Auteurs qui a fourni un plus grand nombre de jolies Piéces à l’Opera-Comique ; & l’on peut dire, en un sens, qu’il fut le fondateur de ce Spectacle par le concours du monde qu’il y attiroit. Cependant les Comédiens François, voyant, avec déplaisir, que le Public abandonnoit souvent leur Théâtre, pour courir à celui de la Foire, firent entendre leurs plaintes & valoir leurs priviléges : ils obtinrent que les Comédiens Forains ne pourroient faire des représentations ordinaires. Ceux ci ayant donc été réduits à ne pouvoir parler, eurent recours à l’usage des cartons, sur lesquels on imprimoit en prose ce que le jeu des Acteurs ne pouvoit rendre. A cet expédient on en substitua un meilleur ; ce fut d’écrire des couplets sur des airs connus, que l’Orchestre

[339] jouoit, que des gens gagés, répandus parmi les Spectateurs, chantoient, & que le Public accompagnoit souvent en chorus ; ce qui donnoit au Spectacle une gaieté qui en fit long-tems le mérite. Enfin l’Opera-Comique, à la sollicitation des Comédiens François, fut tout-à-fait supprimé. Les Comédiens Italiens, qui, depuis leur retour à Paris en 1716, faisoient une recette médiocre, imaginerent en 1721 de quitter, pour quelque tems, leur Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, & d’en ouvrir un nouveau à la Foire : ils y jouerent, trois années consécutives, pendant la Foire seulement. La Fortune ne les favorisa point dans ce nouvel établissement : ils l’abandonnerent. On vit encore reparoître l’Opéra-Comique en 1724 ; mais en 1745 ce Spectacle fut entierement aboli. L’on ne jouoit plus à la Foire que des Scènes muettes & des Pantomimes. Enfin le sieur Monet obtint la permission de rétablir ce Théâtre à la Foire S. Germain en 1752 ; & les soins qu’il se donna ont amené, peu à peu, ce Spectacle au point où il est aujourd’hui.

Le mérite des petits Poëmes Dramatiques qu’on joue sur le Théâtre de l’Opera-Comique, consiste moins dans la régularité & dans la conduite du plan, que dans le choix d’un sujet qui produise des Scènes saillantes, des représentations badines & des Vaudevilles d’une Satyre fine & délicate, avec des airs gais & amusans.

Les morceaux susceptibles de chant y sont mis en Ariettes & chantés. Les autres y sont ordinairement en prose & déclamés. Ce Spectacle semble s’attacher principalement à la représentation fidéle des moeurs naïves & simples des Artisans

[340] et des Villageois, au moyen d’une petite intrigue d’amour ou autre. Telles sont les Piéces du Maréchal, du Bucheron, des Chauffeurs & de la Laitiere, &c. ; ce qui n’empêche pas qu’il ne puisse embrasser d’autres sujets plus relevés ; car il n’en exclut aucun à la rigueur.

L’Opera-Comique est un Drame d’un genre mixte, qui tient de la Comédie par le fond, & qui s’approche de l’Opera par la forme. Il y en a deux espéces ; savoir, l’Opéra-Comique en Vaudevilles, productions légere de la gaieté de notre Nation ; & les Piéces à Ariettes, dont l’invention est due aux Italiens. Comme les principales régles que l’on doit observer pour la composition de ces sortes d’Ouvrages sont générales, & regardent toutes les Piéces de Théâtre, je ne parlerai que des régles qui leur sont partïculieres ; & je commencerai par l’Opéra-Comique en Vaudevilles.

La Satyre des moeurs, des usages ridicules & des modes extravagantes, la parodie, la critique des Ouvrages, les événemens du jour, les intrigues populaires & bourgeoises, l’allégorie, le merveilleux, la Pastorale ; enfin, excepté la Tragédie & le Comique larmoyant, tous les sujets peuvent être de son ressort. Quel que soit celui qu’on adopte, il doit être simple, afin que l’exposition s’en fasse nettement, & avec précision : une longue exposition en Vaudevilles ne seroit pas supportable ; la marche doit être rapide, & les Scènes courtes ; parce que le chant en prolonge la durée : il y a des Scènes qui demandent à être filées ; l’art consiste à leur donner l’extension qui leur convient, sans sortir des bornes qu’on s’est prescrites. On a senti qu’il étoit néces-

[341] saire d’employer le secours de la Prose pour les liaisons & les transitions. C’est encore un avantage pour le Dialogue : il y a des choses communes qui n’auroient aucune grace dans un couplet. Un des principaux agrémens de l’Opera-Comique, est un heureux choix d’airs propres à caracteriser exactement tout ce qu’on veut exprimer. Cette recherche est penible, mais indispensable ; la fabrique du couplet exige encore plus de soin. Tout couplet est mauvais, lorsqu’il ne renferme pas une pensée ; lorsque le tour en est contraint & maniéré ; qu’il y a des rimes négligées, des vers inutiles, & des mots parasites. Il faut encore que la coupe soit réguliere, que la ponctuation des paroles suive toujours la ponctuation de la phrase musicale ; que tous les mots soient arrangés selon le mouvement de l’air ; qu’il n’y ait point d’anjambement, sur-tout au-delà des repos.

Les quatrains ont un repos marqué au deuxieme vers ; les sixains ordinairement au troisieme, quelquefois au second ou au quatrieme ; ce qui suffit pour juger des autres couplets : ceux qui ne sont pas assujettis à un rithme régulier, n’en ont pas moins un repos sensible, qui n’échappe jamais aux oreilles délicates.

Si on recommande aux Versificateurs d’observer exactement les régles de la Prosodie, cette exactitude est beaucoup plus nécessaire au Chansonnier. Lorsque ces régles sont variées, & que l’on met une syllable longue sur une note brève, ou un accent grave sur un son foible & mourant, l’Acteur qui chante ne peut, malgré les efforts de sa prononciation, faire entendre les paroles à une certaine distance. D’ailleurs, ce n’est

[342] plus du François, mais une Langue étrangere & barbare. Voici une régle sûre qui peut servir à ceux qui n’ont pas les connoissances suffisantes pour saisir la dissonance des sons & des mots. Dans une mesure à deux ou à quatre tems, la note qui suit la barre est toujours longue, la seconde brève, la troisieme longue, la quatrieme breve. Dans une mesure à trois tems, la premiere est longue ; les deux autres sont brèves pour l’ordinaire. Il arrive pourtant assez souvent que l’on appuie sur une note, qui doit être foible ; c’est qu’alors elle est précédée par une note de double valeur. Il faut observer néanmoins que ces régles ne doivent point ôter la liberté & l’aisance du couplet ; la gêne se supporte encore moins que le manquement à la régle. Les Vaudevilles de M. Panard peuvent servir d’exemple ; & les airs parodiés par Vadé sont encore des modèles à suivre.

Ceux qui se sont le plus distingués dans ce genre de travail, on toujours observé que la plûpart des couplets, quoiqu’essentiellement attachés au fond de la Piéce, pussent néanmoins s’en détacher, & se chanter dans les sociétés. On doit donc regarder ce Spectacle comme un parterre de différentes fleurs, qui peuvent se cueillir chacune séparément, & dont la réunion néanmoins forme un tout agréable.

Nous avons dit qu’il étoit une autre espéce d’Opera-Comique, appellée Piéces à Ariettes. Elle consistoit d’abord à parodier des airs Italiens, en y appliquant des paroles Françoises. Ce travail est encore plus pénible que le précédent, par la difficulté de saisir l’esprit de la Musique dans chaque Ariette, dont le trait principal & caracté-

[343] ristique se trouve moins souvent dans le chant que dans l’accompagnement. Nous en avons un exemple dans la Servante Maîtresse, où le Poëte s’est tellement assujetti à la Musique, qu’on la croiroit faite pour les paroles. Mais, pour réussir parfaitement dans ce travail, il faut reunir la qualité de Poëte à celle de Musicien, & s’être également exercé dans les deux Arts. On a reproché à la Servante Maîtresse la fréquente répétition des mêmes mots, qui souvent ne présentent aucune idée. Les Italiens, qui ne font attention qu’à la Musique, ne sont point choqués de ce retour des mêmes paroles : pour nous qui aimons la variété, & dont l’esprit veut être occupé, tandis que l’oreille est amusée agréablement, nous sommes blessés de toutes ces répétitions vuides de sens. Dans les Piéces qui ont suivi, on a substitué à ces retours fréquens & désagréables, différentes pensées qui rendent la Scène plus piquante. Le succès de ces sortes d’Ouvrages ont introduit insensiblement l’espèce d’Opera Comique qui regne aujourd’hui. On entrevit dès-lors, ce qui est arrivé effectivement, que la Musique pouvoit en être le principal objet ; & MM. d’Auvergne, Duni, Philidor, Monsigni & Grétry, ont enfin fixé ce genre par l’excellente Musique dont ils l’ont enrichi : il s’agit de fournir au Musicien un Poëme qui lui soit convenable, & prete à son génie l’occasion de faire des taleaux qui ne nuisent ni à la chaleur de l’action, ni à l’intrigue, qu’on ne doit jamais perdre de vue ; & c’est-là principalement le mérite de M. Sedaine. Le Musicien doit observer de ne point refroidir le mouvement de la Scène par des annonces d’Ariettes ou des Ritournelles.

[344] Quelques brillantes qu’elles puissent être, elles sont toujours déplacées, lorsqu’elles ne sont point nécessaires. Quoi de plus ridicule, par exemple, que de voir un Acteur transporté de la passion la plus violente, s’arrêter tout à-coup pour entendre froidement un symphonie qui prépare un morceau de Musique, & compter ses mesures pour reprendre sa premiere agitation ! Il faut donc que le Musicien ait encore plus d’égard à l’Acteur qui écoute, qu’à celui qui chante. Dans un Monologue, il est permis de préparer les Ariette par la symphonie, & de les finir de même.

Pour bien couper une Ariette, il faut, autant qu’il est possible, l’assujettir à un rithme ; ensorte que la premiere partie soit égale à la seconde. Ce n’est cependant pas une régle absolue ; & c’est le goût & l’oreille que l’on doit consulter. Les exemples instruiront mieux que les préceptes.

Ce qu’on doit observer encore, c’est de proportionner le Dialogue aux Ariettes, de maniere qu’il n’occupe pas la Scène plus long-tems que la Musique : comme il ne faut pas non-plus que la Musique absorbe entierement le Dialogue. On doit étendre l’un & l’autre, autant que le sujet & la marche de la Piéce peuvent le permettre. Les Vers qui forment le Dialogue étant plus analogues aux Ariettes, il semble qu’on devroit les préférer dans les Ouvrages de ce genre ; mais on a senti que la Prose, comme plus rapide, donne plus de mouvement & de chaleur à l’action.

Dans les Duo, Trio, Quartuor, &c, dont les paroles sont contractées, le Poëte & le Musicien doivent tellement disposer les mots & la Mu-

[345] sique, que chaque Personnage soit entendu distinctement ; & que toutes les voix, réunies, ne forment ni un bruit étourdissant, ni une confusion désagréable. 

 

Orchestre [II, 350]

On prononce Orquestre : c’étoit, chez les Grecs, la partie inférieure du Théâtre : elle étoit faite en demi-cercle, & garnie de siéges tout autour. On l’appelloit Orchestre, parce que c’étoit là que s’exécutoient les Danses. Chez eux, l’Orchestre faisoit une partie du Théâtre ; à Rome, il en étoit séparé & rempli de siéges destinés pour les Sénateurs, les Magistrats, les Vestales, & les autres personnes de distinction. A Paris, l’Orchestre des Comédies Françoise & Italienne, & ce qu’on appelle ailleurs le Parquet, est destiné en parie à un usage semblable. Aujourd’hui ce mot s’applique plus particulierement à la Musique, & s’entend, tantôt du lieu où se tiennent ceux qui jouent des instrumens, comme l’Orchestre de l’Opéra, tantôt du lieu où se tiennent tous les Musiciens en général, comme l’Orchestre du Concert Spirituel au Château des Tuilleries, & tantôt de la Collection de tous les Symphonistes : c’est dans ce dernier sens que l’on dit de l’exécution de Musique, que l’Orchestre étoit bon ou mauvais, pour dire que les instrumens étoient bien ou mal joués.

 

Ouverture [II, 360]

Piéce de symphonie qu’on s’efforce de rendre éclatante, imposante, harmonieuse, & qui sert de début aux Opera & autres Drames Lyriques d’une certaine étendue. Quelques Musiciens se sont imaginés bien saisir ces rapports, en rassemblant d’avance dans l’ouverture tous les caractères exprimés dans la Piéce, comme s’ils vouloient exprimer deux fois la même action, & que ce qui est à venir, fût déjà passé. Ce n’est pas cela : l’Ouverture la mieux entendue, est celle qui dispose tellement les coeurs des Spectateurs, qu’ils s’ouvrent sans effort à l’intérêt qu’on veut leur donner dès le commencement de la Piéce. Voilà le véritable effet que doit produire une bonne Ouverture : voilà le plan sur lequel il la faut traiter.

Les Ouvertures des Opera François sont toutes jettées sur le moule de celles de Lully. Elles sont composées du morceau grave & majestueux, qui forme le début, & qu’on joue deux fois, & d’une reprise gaie, qui est ordinairement fuguée ; plusieurs de ses reprises rentrent encore dans le grave en finissant. Il a été un tems où les Ouvertures Françoises donnoient le ton à toute l’Europe. Il n’y a guère que cinquante ans, qu’on faisoit venir en Italie des Ouvertures de France, pour mettre à la tête des Opera de ce pays-là. J’ai vu même plusieurs anciens Opera notés, avec une Ouverture de Lully à la tête. C’est de quoi les Italiens ne conviennent pas aujourd’hui ; mais le fait ne laisse pas d’être très-certain. La Musique instrumentale ayant fait un chemin prodigieux depuis une trentaine d’années; les vieilles Ouvertures, faites pour des Symphonistes trop bornés, ont

[361] été bientôt laissées aux François. Les Italiens n’ont même pas tardé de secouer le joug de l’Ordonnance Françoise ; & ils distribuent aujourd’hui leurs Ouvertures d’une autre maniere. Ils débutent par un morceau bruyant & vif, à deux ou quatre tems : puis ils donnent un andante à demi-jeu, dans lequel ils tâchent de déployer toutes les graces du beau chant ; & ils finissent par un Allegro très vif, ordinairement à trois tems. La raison qu’ils donnent de cette nouvelle distribution, est que dans un Spectacle nombreux, où l’on fait beaucoup de bruit, il faut d’abord fixer l’attention du Spectateur par un début brillant qui frappe & qui réveille. Ils disent que le grave de nos Ouvertures n’est presque entendu ni écouté de personne, & que notre premier coup d’archet, que nous vantons avec tant d’emphase, est plus propre à préparer l’ennui qu’à l’attention. Cette vieille routine d’Ouvertures a fait naître en France une plaisante idée. Plusieurs se sont imaginés qu’il y avoit une telle convenance entre la forme des Ouvertures de Lully & un Opera quelconque, qu’on ne sauroit changer sans rompre le rapport du tout ; de sorte que d’un début de symphonie qui se voit dans un autre goût, ils disent avec méprise que c’est une Sonate & non pas une Ouverture, comme si toute Ouverture n’étoit pas une Sonate. Je sais bien qu’il seroit fort convenable, qu’il y eût un rapport marqué entre le caractère de l’Ouverture & celui de l’Ouvrage entrier ; mais au lieu de dire que toutes les Ouvertures doivent être jettéees au même moule, cela dit précisément le contraire. D’ailleurs, si nos Musiciens ne sont pas capables de sentir ni d’exprimer les rapports les plus im-

[362]médiats entre les paroles & la musique dans chaque morceau, comment pourroit-on se flatter qu’ils saisiroient un rapport plus fin & plus éloigné entre l’ordonnance d’une Ouverture & celle du corps entier de l’Ouvrage ?

 

Pastorale [II, 390]

Pastorale ; Opera Champêtre dont les Person-

[391] nages sont des Bergers, & dont la Musique doit être assortie à la simplicité du goût & des moeurs qu’on leur suppose. Une Pastorale est aussi une Piéce de Musique faite sur des paroles relatives à l’état Pastoral, ou un chant qui imite celui des Bergers, qui en a la douceur, la tendresse, & le naturel. L’air d’une Danse composée dans le même caractère, s’appelle aussi Pastorale.

 

Quatuor [II, 505]

C’est le nom qu’on donne aux morceaux de Musique vocale ou instrumentale qui sont à quatre parties récitantes. Il n’y a point de vrais Quatuor, ou ils ne valent rien. Il faut que dans un bon Quatuor, les parties soient presque toujours alternatives ; parce que dans tout accord, il n’y a que deux parties, tout au plus, qui fassent chant, & que l’oreille puisse distinguer à la fois : les deux autres ne sont qu’un pur remplissage : & l’on ne doit point mettre le remplissage dans un Quatuor.

 

Récitatif [III, 14]

Récitatif ; est une maniere de chant qui approche beaucoup de la parole ; c’est proprement une déclamation en musique, dans laquelle le Musicien doit imiter, autant qu’il est possible, les inflexions de la voix du Déclamateur. Ce chant est ainsi nommé récitatif, parce qu’il s’applique au récit ou à la narration, & qu’on s’en sert dans le dialogue. On ne mesure point le récitatif au chant ; car cette cadence, qui mesure le chant, gâteroit la déclamation : c’est la passion seule qui doit diriger la lenteur ou la rapidité des sons. Le Compositeur, en notant le récitatif sur quelque mesure déterminée, n’a en vue que d’indiquer,

[15] à-peu-près, comment on doit passer ou appuyer les vers & les syllabes, & de marquer le rapport exact de la basse continue & du chant. Les Italiens ne se servent pour cela que de la mesure à quatre tems ; mais les François entremêlent leur récitatif de toutes sortes de mesures. Le récitatif n’est pas moins différent chez ces deux Nations, que du reste de la musique. La langue Italienne, douce, fléxible & composée de mots faciles à prononcer, permet au récitatif toute la rapidité de la déclamation : ils veulent, d’ailleurs, que rien d’étranger ne se mêle à la simplicité du récitatif ; & croiroient le gâter, en y mêlant aucun des ornemens du chant. Les François, au contraire, en remplissent le leur autant qu’ils peuvent. Leur langue, plus chargée de consonnes, plus âpre, plus difficile à prononcer, demande plus de lenteur ; & c’est sur ces sons rallentis, qu’ils épuisent les cadences, les accens, les ports-de-voix, même les roulades, sans trop s’embarrasser si tous ces agrémens conviennent au personnage qu’ils font parler, & au choses qu’ils lui font dire. Aussi, dans nos Opera, les Etrangers ne peuvent-ils distinguer ce qui est récitatif, & ce qui est air. Avec tout cela, on prétent, en France, que le récitatif François l’emporte infiniment sur l’Italien ; on y prétend même que les Italiens en conviennent ; & l’on va jusqu’à dire, qu’ils font peu de cas de leur propre récitatif. Ce n’est pourtant que par cette partie, que le fameux Porpora s’immortalise aujourd’hui en Italie, comme Lully s’est immortalisé en France. Quoi qu’il en soit, il est certain que, d’un commun aveu, le

[16] François approche plus du chant, & l’Italien de la déclamation. Que faut-il de plus pour décider la question sur ce point ?

 

Refrein [III, 21]

Refrein ; terminaison de tous les couplets d’une Chanson, par les mêmes paroles & par le même chant, qui se dit ordinairement deux fois.

 

Tragédie-Ballet [III, 303][bis]

On appelle ainsi une Tragédie, qui doit être accompagnée de Chants & de Danses.

 

Tragédie-Lyrique [III, 304][bis]

Voyez OPERA. On ne sera pas fâché de trouver ici ce que M. de Votaire dit de ce Spectacle, & de ses observations qu’il y fait. L’Opera, dit-il, est un Spectacle aussi bizarre que magnifique ; où les yeux & les oreilles sont plus satisraites que l’esprit ; où l’asservissement à la Musique rend nécessaire les fautes les plus ridicules ; où il faut chanter des Ariettes dans la destruction d’une Ville, & danser autour d’un tombeau ; où l’on voit le Palais de Pluton, & celui du Soleil, des Dieux, des Démons, des Ma-

[305]giciens, des prestiges, des Monstres, des Palais formés & détruits en un clin-d’oeil. On tolere ces extravagances ; on les aime même, parce qu’on est là dans un pays de Fées ; & pourvu qu’il y ait du Spectacle, de belles danses, une belle Musique, & quelques Scènes intéressantes, on est content. Il seroit aussi ridicule d’exiger dans Alceste, l’unité de lieu, de tems, & d’action, que de vouloir introduire des danses, des Démons dans Cinna, ou dans Rodogune. Le vice de notre Opera, dit-il encore, c’est qu’une Tragédie ne peut être par-tout passionnée ; qu’il faut du raisonnement, du détail, des événemens préparés, & que la Musique ne peut rendre heureusement ce qui n’est pas animé, & ce qui ne va pas au coeur.

L’art du Musicien n’est pas moins nécessaire pour la composition d’une Tragédie-Lyrique, que le génie du Poëte. Ils doivent concourir l’un & l’autre à faire un même tableau, & à rendre, par les moyens propres à leur art, les mêmes idées & les mêmes sentimens. Le Poëte trace le plan, & donne l’ordonnance. C’est au Musicien à mettre le coloris, & à faire paroître les objets sous les traits qui leur sont propres. Selon la judicieuse remarque de l’Auteur du Spectacle des beaux Arts, le Musicien est soumis pour la composition de son récitatif & de son chant, aux même régles que l’est le Poëte lui-même pour la composition de son Poëme. Il ne doit pas se contenter de donner une expression vague aux paroles du Poëte. Il doit mettre de l’unité, de la marche, de la progression ; en-

[306] fin un ensemble, un tout dans sa composition, de maniere qu’il y ait une gradation sensible d’intérêt dans le plan Musical, ainsi que dans le Poëme. Pour cela il faudroit, selon le même Auteur, éteindre & supprimer l’Harmonie & le chant du récitatif, & donner plus d’éclat & de saillie aux airs. Les Vers devroient être rendus plutôt d’un ton de déclamation, que d’un chant soutenu & travaillé. Les morceaux destinés à former les airs, en sortiroient mieux, au lieu qu’ils sont, pour l’ordinaire, ensevelis & noyés dans le récitatif. Une régle excellente pour le Musicien, c’est de ne donner un mouvement marqué, un chant vif & saillant, en un mot, un caractère, qu’aux traits principaux du Poëme, & de chercher seulement un ton de déclamation analogue & propre à l’accent & au génie de la langue, pour tout ce qui n’est que de récit. Il doit se conformer à la nature ; être simple dans son récit ; énergique dans les morceaux de passion & de sentiment. Ainsi dans le langage ordinaire, & dans la bonne déclamation Théâtrale, la voix a peu d’inflexion, lorsqu’elle rend des choses indifférentes ; mais elle s’éleve & devient forte dans les mouvemens de passion.

 

Trio [III, 321]

Trio, en Italien terzetto, Musique à trois parties principales ou récitantes. Cette espèce de composition passe pour la plus excellente, & doit être aussi la plus réguliere de toutes. Outre les régles générales du contre-point, il y en a pour le Trio de plus rigoureuses, dont la parfaite observation tend à produire la plus agréable de toutes les Harmonies. Ces régles découlent toutes de ce principe, que l’accord parfait étant composé de trois sons différens, il faut, dans chaque accord, pour remplir l’Harmonie, distribuer ces trois sons, autant qu’il se peut, aux trois parties du Trio. A l’égard des dissonances, comme on ne les doit jamais doubler, & que leur accord est composé de plus de trois sons, c’est encore une plus grande nécessité de les diversifier, & de bien choisir, outre la dissonance, les sons qui doivent par préférence l’accompagner. De là, ces diverses régles, de ne passer aucun accord sans y faire entendre la tierce ou la sixte ; par conséquent d’éviter de frapper à la fois la quinte ; de ne pratiquer l’octave qu’avec beaucoup de précaution, & de n’en jamais sonner deux de suite, même entre différentes parties ; d’éviter la quarte autant qu’il se peut ; car toutes les parties d’un Trio, prises deux à deux, doivent former des duo parfaits.

[322] De là, en un mot, toutes ces petites règles de détail, qu’on pratique même sans les avoir apprises, quand on en sait bien le principe. Comme toutes ces règles sont incompatibles avec l’unité de mélodie , & qu’on n’entendit jamais Trio régulier & harmonieux avoir un chant déterminé & sensible dans l’éxécution, il s’ensuit que le Trio rigoureux est un mauvais genre de musique. Aussi ces règles si sévères sont-elles depuis long-tems abolies en Italie, où l’on ne reconnoit jamais pour bonne une musique qui ne chante point, quelque harmonieuse d’ailleurs qu’elle puisse être, & quelque peine qu’elle ait couté à composer. On doit se rappeller ici ce que j’ai dit au mot de Duo. Ces termes Duo & Trio s’entendent seulement des parties principales & obligées ; & l’on n’y comprend ni les accompagnemens, ni les remplissages. De sorte qu’une Musique à quatre ou cinq parties, peut n’être pourtant qu’un Trio. Les François, qui aiment beaucoup la multiplication des parties, attendu qu’ils trouvent plus aisément des accords que des chants, non contents des difficultés du Trio ordinaire, ont encore imaginé ce qu’ils appellent Double-Trio, dont les partie sont doublées & toutes obligées ; ils ont un double Trio du sieur Duché, qui passe pour un chef-d’oeuvre d’harmonie.

Étiquettes : Dernière modification: 3 août 2014
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