“Orlando, a melancholic portrait”
Lectio prima, LV 209: Parce mihi domine
Sextus Psalmus poenitentialis, LV 799: De Profundis clamavi
La nuict froide et sombre, LV 578
Sine textu 7 (I)
No giorno t’haggio, LV 32
Dulces exuviae, LV 385
Super flumina Babylonis, LV 325
Luxuriosa res vinum
Prophetiae sibyllarum: Carmina chromatico, LV 1048
Quam pulchra es, LV 838
Susannen frumb, LV 560
Allala pia calia, LV 667
Peccantem me quotidie, LV 43In monte oliveti, LV 334
Memento peccati tui, LV 1038
La cortesia, LV 33
Si du malheur
Si textu 7 (II)
Eripe me, LV 476
Une puce j’ai dedans l’oreille, LV 582
Requiem à 5, LV 963: Introït
La Tempête
Direction Simon-Pierre Bestion
1 CD digipack, Alpha / Outhere, novembre 2024, 71′
D’humeur révolutionnaire, le claveciniste fait omettre sa particule, et ripoline avec voracité les morceaux choisis du divin Orlande. Ce qui était destiné à constituer la bande-son du documentaire RTBF / ARTE audacieux (dont nous n’avons visionné que la bande-annonce) du réalisateur belge Joachim Thôme, avec un Orlando en sweat-shirt avec casquette et lunettes de soleil, aurait dû le demeurer. Ce dernier s’inspire en outre d’un livre délirant d’Annie Coeudevey (Fayard), où Orlando di Lasso devient une femme après une fête à Constantinople et sept jours de sommeil, puis traverse les siècles jusqu’au début du XXème siècle.
Car sans l’objet filmique, la démarche de Simon Bestion et le résultat sonore sont sans appel : « un geste personnel et une oreille contemporaine » comme l’exprime élégamment le chef. Une expérimentation au mieux hasardeuse, au pire un massacre musical.
Là où nous ne comprenons absolument pas la démarche, c’est que plutôt que d’avouer avoir voulu s’amuser à créer un ovni musical pleinement assumé, en une sorte de recréation fantaisiste et délirante « puisant dans des styles et des sons actuels, inspirés du jazz, du funk, de la soul… voire de Radiohead », le musicien tente de justifier cela dans ses notes d’intention par la monochromie qui se dégagerait sinon de ce qui pourtant constituait déjà un florilège bien varié.
Ce voyage intéressant et troublant ne laissera pas l’auditeur indemne : on avoue n’avoir pas été insensibles à l’ajout de la batterie jazzy, du saxophone, d’avoir dû tendre et retendre l’oreille pour être certain qu’un synthétiseur s’était glissé à la place d’un orgue positif, d’avoir souri en entendant l’immixtion d’instruments du monde (duduk), d’avoir songé à Glenn Gould pour la Pavane au piano. Les instruments d’époque sont également convoqués avec abondance et couleurs : cornet, sacqueboutes, flûte ; dulcian, violes, théorbe, harpe triple… Le croisement des influences est permanent : chant oriental, jazz, rock, rap font irruption de manière provocatrice et iconoclaste bouleversent les œuvres comme les certitudes de l’auditeur.
Mais est-ce encore un portrait de l’œuvre d’Orlando di Lasso ? Certainement pas. C’est un hommage, un cameo, un clin d’œil, une référence, une extrapolation, un rêve. Et la beauté vocale de son œuvre, ce contrepoint céleste, les audaces subtiles, en ressortent singulièrement amoindris, à force d’être triturés. Aussi ce portrait mélancolique manque tout à fait de spleen, mais on ne saura le blâmer de manquer d’audace.
Pour un portrait alternatif du compositeur, ceux tentés par un survol intimiste et intense iront goûter la « biographie musicale » en 5 volumes parue chez Musique en Wallonie. Pour des œuvres choisies, Les Lagrime di San Pietro sous la baguette de Paul van Nevel dans une version moirée et opulente, avec des doublures instrumentales, demeurent insurpassées (Sony). Pour les messes, nous avouerons un faible pour l’interprétation pâteuse et datée de Pro Cantione Antica d’une sincérité confondante, ou l’épure chic du Hilliard Ensemble (Archiv). Ici, c’est à la fois une BO de documentaire, une curiosité inclassable, un concentré hallucinogène et psychédélique. A consommer avec – grande – modération.
Viet-Linh Nguyen
Étiquettes : Alpha, Bestion de Camboulas Louis, La Tempête, Lassus, Outhere Dernière modification: 10 juillet 2025