« Sfumato » :
Arcangelo Corelli (1653-1713),
Sonate op.5
Antonio Vivaldi (1678-1741),
Sonate pour Violoncelle RV 47 (preludio)
Giacobbe Cervetto (1680-1783)
Sonate en trio op.1 n°3
Marin Marais (1656-1728),
Suite en sol mineur du Troisième Livre (prélude)
Benedetto Marcello (1686-1739),
Sonate à deux basses op.6 n°2
Jean-Baptiste Barrière (1707-1747),
Sonate pour clavecin n°4 (adagio)
Sonate pour violoncelle n°6
Antonio Vivaldi (1678-1741),
Sonate pour violoncelle RV 47 (largo)
Jean-Baptiste Barrière (1707-1747),
Sonate n°2 du Troisième livre pour violoncelle.
Ensemble Cet étrange éclat
Chloé Lucas, violone
Agnès Boissonnot-Guilbault, viole
Gautier Broutin, violoncelle
Nora Dargazanli, clavecin
Initiale, Label du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, enr. 2022, 67′.
Voici un disque si discret que nous l’avions un peu injustement délaissé. Le jeune ensemble Cet Etrange Eclat, dont le nom est une révérence avouée à quelques magnifiques vers de Louis Aragon (Dans la vie ou dans le songe / tout à cet étrange éclat / du parfum qui se prolonge / Et d’un chant qui s’envola. Les Lilas) pousse la modestie jusqu’à faire quasi mystère des musiciens qui le compose, tous quatre issus du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et dont nous empressons de mentionner les noms, Gauthier Broutin, Agnès Boissonot-Guilbault, Chloé Lucas, Nora Dargazanli.
Tout aussi sobrement intitulé Sfumato, en référence à cet effet, principalement connu dans la peinture italienne, de superposition de fines couches de peintures translucides, créant l’évanescence et accentuant quasi imperceptiblement la profondeur de champ, suggérant une atmosphère de mystère, voici un enregistrement d’un quatuor qui sait s’enrichir de la porosité entre les disciplines et chercher son inspiration dans d’autres arts. Si à cela vous ajoutez en fin de livret la citation d’un très introspectif fragment d’Héraclite (Le contraire est utile. Des opposés sort le plus beau concert. De la discorde tout est né) vous conviendrez qu’il y a là assez de jolies références pour piquer notre curiosité et nous donner envie d’en découvrir plus.
Cet Etrange Eclat transpose fort judicieusement le principe du Sfumato à l’interprétation musicale, où chaque strate mélodique doit s’entendre en cohérence avec celles des autres instruments, insuffler une vibration palpable et harmonieuse, renforçant l’unité et la densité de l’ensemble. Une ambition qui se fait jour dès la première œuvre présentée, la Sonate op. 5 d’Arcangelo Corelli (1653-1713) transcrite pour viole de gambe par un contemporain du compositeur et qui dès le premier de ses cinq mouvements, offre un bel exemple de l’ambition interprétative du quatuor, cet adagio se révélant d’une captivante ampleur solennelle, les musiciens s’accordant dans une exécution présentant un beau relief et d’où émerge, outre un clavecin dont la présence ajustée ne nuit pas à l’ensemble, un beau grain des cordes. Un premier mouvement aux allures un peu épaisses d’un velours d’hiver auquel succède un allegro plus enlevé, plus aérien, soulignant la variété des sentiments exprimés par Corelli, qui dans la gigue finale de sa sonate fait œuvre divertissante, nos quatre musiciens s’entendant à respecter la structure rythmique du morceau, sans tomber dans les facilités du débordement festif.
Nous restons en Italie avec le Preludio de la Sonate pour Violoncelle (RV 47) d’Antonio Vivaldi (1678-1741), plus grave et langoureux, sur lequel le quatuor appose une voix intermédiaire de viole, développant le relief de la pièce et en rendant l’atmosphère plus intime, les spécificités acoustiques des instruments, proches sans se confondre, participant à une sensation de dense chute de neige, quand les flocons enveloppent notre perception des reliefs. En écho sera joué en fin de programme le très introspectif Largo de cette même sonate, comme un rappel, une résonnance.
Mais après Corelli et Vivaldi, compositeurs un peu attendus dans ce type de répertoire, et cela bien que la musique soliste pour viole de gambe ne sout pas si courante chez les compositeurs italiens du début du dix-huitième siècle, Cet Etrange Eclat nous invite à quelques chemins de traverse vers des compositeurs moins connus, à l’exemple de Giacobbe Cervetto (né selon les sources en 1680 ou 1682, il est certain néanmoins qu’il mourut centenaire, en 1783) probable vénitien qui fut la plus grande partie de sa carrière à Londres, contribuant au déclin de la viole de gambe au profit du violoncelle dont il se montrait virtuose. Sa Sonate en trio op.1 n°3 s’avère assez classique sur la forme, mais fort agréable, délivrant une humeur mélancolique et dans laquelle la viole puis le violoncelle prennent harmonieusement la suite du clavecin et du violone, comme une appropriation de l’espace sonore. Le Minuetto final, très enlevé, offre un contrepoint divertissant bienvenu au début de la pièce.
Benedetto Marcello (1686-1739), parfois confondu avec son frère Alessandro, auteur d’un célèbre concerto pour hautbois, est présent dans cet enregistrement avec une Sonate à deux basses op.6 n°2 d’où émerge un Largo initial à la très belle montée en tension dramatique et auquel succède un Presto ébouriffant, aux riches couleurs éclatantes et se terminant en quasi duo.
Autre nom quelque peu délaissé que ce disque remet en oreille, celui de Jean-Baptiste Barrière (1707-1747), bien connu des violoncellistes et auquel Bruno Cocset a dédié deux enregistrements de référence (Alpha), compositeur représentatif du passage en France de la viole au violoncelle et qui sut se former auprès des maîtres italiens de l’instrument, notamment Francesco Alborea (1691-1739, dit Il Franciscello). Trois pièces de Barrière sont présentées, à commencer par cette intéressante transcription pour clavecin de l’adagio d’une sonate de jeunesse pour pardessus de viole, toute en arpèges très structurés, démontrant la belle maîtrise technique de composition de son auteur. Suivent deux sonates pour violoncelle très agréables où perce la maîtrise de Barrière, mettant à l’honneur un instrument avant lui surtout cantonné au rôle d’accompagnant et où l’on se plaira à retrouver quelques audibles influences italiennes, mémoire des apprentissages féconds du compositeur par-delà les Alpes.
Au final un disque qui se révèle plus qu’une curiosité, un véritable petit traité d’érudition dans lequel les membres du quatuor explorent avec respect le répertoire de basses du début du dix-huitième siècle, offrant un son nappé caractéristique et envoutant. Un disque tout en délicatesse, dont nous pourrions dire, pour nous aussi citer Héraclite que « Il ne dit ni ne cache, il fait allusion ».
Pierre-Damien HOUVILLE
Relevons également que la photo de pochette du quatuor est signée Ferrante Ferranti, photographe et compagnon de nombreux voyages de Dominique Fernandez.
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