Antonio VIVALDI (1678-1741)
Concertos pour 2 violons RV 509, 511, 514, 516, 523 ·et 524
Viktoria Mullova, Giuliano Carmignola (violons)
Venice Baroque Orchestra, dir. Andrea Marcon
60’10, Archiv, 2009 [clear]
D’abord, pour amener un sourire appréciateur sur les lèvres du Très Haut et Très Puissant Messire le Rédacteur en chef qui supervise ces lignes, un bon point : l’ensemble de ces six concertos est bien exécuté sur des instruments d’époque, aussi bien chez les deux solistes que pour le reste du Venice Baroque Orchertra. En effet, même Viktoria Mullova joue sur un Guadagnini de 1750, qui répond au noble Stradivarius « Baillot » de 1732 de Giuliano Carmignola. L’instrumentarium posé et soupesé, il convient d’apprécier la production musicale de ces deux interprètes si bien équipés… Nos consœurs avaient pu apprécier le feu et la glace de leurs archets au théâtre des Champs-Elysées en février dernier, dans une série de concertos vivaldiens, dont quatre d’entre eux figurent sur le présent enregistrement.
Hélas, c’est ici le feu qui fait justement le plus défaut. Certes, la performance en studio semble mieux réussir à Viktoria Mullova. A l’archet un peu essoufflé du concert répond au disque un dialogue concentré et rigoureux qui ne se laisse toutefois jamais véritablement aller. Le langoureux Largo du RV 511 ou du RV 523 souffrent ainsi de la belle venue du froid au discours trop grave, refusant l’éclosion mélodique et l’abandon élégiaque. Cela est d’autant plus regrettable que les concertos présentés illustrent bien l’écriture de Vivaldi pour deux solistes sur des instruments similaires, faite de rapides échanges de phrases et de fragments mélodiques qui se font écho, se recouvrent et se substituent l’un à l’autre. Las, Giuliano Carmignola semble bien solitaire dans ces duels, et plus lisse qu’à l’accoutumée au niveau des articulations, peut-être pour s’harmoniser avec le langage de sa partenaire. Alors, oui, les Allegros défilent avec optimisme et précision, lumineux et paisibles, d’une vivacité bien tempérée. Oui, le Venice Baroque Orchestra élégamment épuré sous-tend les solistes avec grâce et panache, sans brutalité aucune. Luth, clavecin ou orgue colorent la basse continue, tandis que les cordes font preuve d’une grande cohésion, de précision dans les départs, d’une remarquable justesse qui gomme le côté grainé et pittoresque des cordes en boyau. Car Andrea Marcon paraît étrangement et sciemment refuser les ruptures, les clairs-obscurs violents, le déchaînement passionné et fougueux de la péninsule au profit d’une perfection glacée des magazines de mode. On aurait voulu plus de noirceur dans l’Allegro du RV 509 et l’Adagio du RV 114, plus de gros bouillons dans les 2 Allegro du 524… On aurait voulu plus d’humanité et de spontanéité.
Car, en définitive, c’est un Vivaldi classicisant d’équilibre et de netteté que l’on entend ici. Un Prêtre Roux joyeux, raffiné, enlevé, ondoyant… terriblement aseptisé, immaculé comme une dalle de marbre de la Salute, repassé comme un plastron amidonné. Nous aurions préféré l’humidité des ruelles, les effluves des marchés, le frottement sensuel et insolent des danseurs. Ici, entre Mullova et Carmignola, l’alchimie n’a pas pris, et les adversaires ont débattu avec une prudence classieuse. Cette réalisation louable et millimétrée ne parvient donc malheureusement pas à imposer une vision suffisamment personnelle de l’essence chatoyante vivaldienne, telle que nous l’avions par exemple découverte avec enchantement chez Amandine Beyer (Zig Zag Territoires) dans des Quatre Saisons autrement plus rebattues que ces concertos du Manuscrit de Turin.
Hélène Toulhoat
Technique : Prise de son neutre, claire et précise mais manquant de liant