Rédigé par 8 h 31 min CDs & DVDs, Critiques

Badineries (Bach-Abel Society, Blanchard, Sartre, Les Ombres – Mirare)

Bach-Abel Society

Johann Christian Bach, 6 quartets, op.8, Quartet n°2 in D major
Carl Friedrich Abel, 27 pièces for Bass Viol, Prélude en D major
Franz Josef Haydn, A selection of Original Scots Songs in Three Parts, the Harmony by Haydn, Volume 2, « Mary’s Dream »
Carl Friedrich Abel, Zehn Sonaten für Viola da Gamba und Basso continuo (Maltzan collection), Sonata in C minor
Franz Josef Haydn, A selection of Originals Scots Songs in Three Parts, the Harmony by Haydn, Volume 2, « John Anderson, My Jo »
Johann Samuel Schröter, Two harpsichord Quintets, Op. 1.
Carl Friedrich Abel, 27 Pieces for Bass Viol, Prélude in D minor
Johann Samuel Schröter, Six sonates d’airs choisis, op. 7, Sonate VI
Carl Friedrich Abel, Quartet in G major
Johann Christian Bach, Six violin sonatas, op. 16, Sonata n°3 in C major
Franz Josef Haydn, A selection of Originals Scots Songs in Three parts, the Harmony by Haydn, Volume 2, « I love My love in Secret »

Fiona McGown, Mezzo-Soprano

Les Ombres :
Margaux Blanchard, viole de gambe
Sylvain Sartre, flûte traversière
Théotime Langlois de Swarte, violon
Justin Taylor, pianoforte
Hanna Salzenstein, violoncelle

 1 CD digipack, Mirare, 2022, 69′

En musique, comme dans d’autres disciplines, l’art se doit d’être soluble avec quelques considérations plus matérielles, une carrière à mener et quelques mécènes à contenter. On ne vit de sa lyre au milieu d’une Arcadie fantasmée que dans les mythes et sur quelques toiles, et souvent la vie du compositeur se doit de faire face à quelques contingences. La musique baroque fut aussi, sinon une industrie, du moins une économie et si on ne compte plus les œuvres qu’un insuccès criant à leur sortie a précipité dans les limbes, la production musicale a aussi connu de très réelles réussites.

C’est ce que vient nous rappeler cet enregistrement, tout entier consacré à une indéniable réussite du paysage musical londonien de la fin du dix-huitième siècle, à savoir l’association musicale tout autant qu’amicale de Carl Friedrich Abel (1723-1787) et Johann Christian Bach (1735-1782) qui enchantèrent la (bonne) société de Londres par l’organisation de leurs concerts où se jouaient tout autant leurs œuvres que celles de quelques-uns de leurs contemporains. Le principe en était simple, souscription au tarif à même d’écarter les moins fortunés et cooptation de rigueur, au cas où un parvenu à l’image douteuse tenterait de faire valoir sa présence sur le seul régime de sa fortune. Bref, le parfait fonctionnement du club à l’anglaise appliqué à la musique, et qui contribua à la diffusion d’un style galant et chambriste inspiré des goûts continentaux dans la haute société londonienne.

Thomas Gainsborough (1727-1788). Portrait de Carl Friedrich Abel.
126.7 X 101.0. vers 1765. National Portrait Gallery, Londres

A l’initiative de la réappropriation de quelques œuvres caractéristiques des concerts Bach-Abel, on trouve un commando de choc : le duo fondateur des Ombres, Margaux Blanchard à la viole de gambe et Sylvain Sartre à la flûte traversière, auxquels s’ajoutent quelques complices, Théotime Langlois de Swarte au violon et Justin Taylor au pianoforte et Hanna Salzenstein au violoncelle, tous trois échappés du Consort, ainsi que la mezzo-soprano Fiona McGown, notamment associée aux Musiciens de Saint-Julien et François Lazarevitch pour leur exploration récente des chants anglais des dix-septième et dix-huitième siècles (The Queen’s delight, Alpha Classic).

Concerts de la haute société, élitaires et donnant l’occasion de rencontres dans un entre-soi certain, les concerts Bach-Abel, dans les annonces qui nous parvenues ne donnent malheureusement que très peu de renseignements sur les œuvres jouées, de même que sur les interprètes. D’où une impossibilité d’être formellement assurés que les œuvres présentées firent partie des concerts originaux. Il n’est pas exclu en effet que certaines de ces pièces, le plus souvent pour ensembles de musique de chambre, aient été composés pour des commanditaires privés sans être mis au programme des concerts londoniens. Finalement qu’importe, les œuvres composant cet enregistrement représentant un bel éventail de la musique chambriste de l’époque.

L’occasion donc de retrouver des œuvres composées directement par nos deux compositeurs/producteurs à l’exemple du Quartet n°2 in D major de Johann Christian Bach qui ouvre l’enregistrement et dont l’Andante est d’emblée propice à apprécier la caractère badin et léger de la composition, portée par une flûte boisée, ronde et gracieuse et un violon aux attaques franches contribuant à faire de ce morceau une belle entrée en matière confirmée par un Rondeau virevoltant, aux cordes grainées et virtuoses. Une musique légère, que l’on peut trouver un peu futile et aguicheuse par certains aspects, mais ne boudons pas notre plaisir printanier à de si plaisants enchainements. Un Johann Christian Bach que nous retrouvons en fin d’enregistrement avec le Tempo di Minuetto de sa Sonate n°3 in C major, aérienne et gracile, délicatement accompagnée au pianoforte, démontrant le sens affirmé de la composition de celui qui dans la galaxie de la famille Bach fut le dix-huitième des vingt enfants de Jean-Sébastien (et fils de Anna Magdalena), qui reçu également l’enseignement de son demi-frère Carl-Philip Emanuel, de vingt ans son aîné.

De Carl Friedrich Abel, gambiste reconnu, nous retiendrons un Prélude in D major tiré de son recueil de vingt-sept pièces pour viole de gambe pour le coup très « inspiré » de Jean-Sébastien Bach, et plus surement une Sonate in C minor pour viole de gambe et basse continue permettant d’apprécier le très beau grain de l’instrument de Margaux Blanchard, contribuant à faire de cette œuvre, et tout particulièrement de l’Allegro initial un pur moment de plaisir d’écoute. Une maîtrise d’exécution que nous retrouvons de manière plus collective dans le plaisant Quartet in G major de ce même Carl Friedrich Abel au parfait allegro moderato.

Mais nos deux londoniens d’adoption ne se contentaient pas de jouer ou faire jouer leurs propres œuvres lors de concerts qui alliaient musique et mondanités. Débutés réellement en 1765, les concerts Bach-Abel connurent plusieurs lieux de représentations, du bâtiment Almack’s sur King Street aux salles du Hanover Square (à partir de 1775), en passant par la luxueuse résidence de Carlisle House, tenue par la très mondaine Teresa Cornelys, ancienne soprano, figure londonienne incontournable, croquée au figuré par Casanova dans ses mémoires, et au propre également, ce dernier étant le père de sa fille. Ces « concerts du mercredi », jour traditionnel de leur exécution attirent aussi les jeunes compositeurs en quête de notoriété, à l’image de Johann Samuel Schröter (vers 1752-1788), originaire de Saxe et débarquant à Londres âgé de vingt ans dont nous retrouvons ici outre un très enlevé Allegro ma non troppo tiré de sa sixième sonate pour violon, un Quintet in C minor permettant un très joli entremêlement entre un pianoforte au son clair, sec, précis et une flûte fluide et déliée du meilleur effet (Allegro du premier mouvement).

Les exégètes feront remarquer que les trois chants écossais qui sont donnés sur ce programme furent composés par Franz Josef Haydn (1732-1809) après l’extinction des concerts Bach-Abel avec la mort de Johann-Christian Bach en 1782, son recueil étant publié par William Napier en 1792. Pour autant, des adaptations de même genre firent partie des programmes des concerts Bach-Abel et ces adaptations de chants traditionnels écossais sont pour nous l’occasion d’apprécier l’élégiaque timbre de Fiona McGown, belle amplitude, voix souple et dont les accents gaéliques apportent à ces œuvres une tonalité d’authenticité jetant un véritable pont entre ces airs traditionnels et la musique de Haydn, que vient souligner la flûte de Sylvain Sartre, tout particulièrement sur Mary’s dream.

Un enregistrement d’œuvres de style galant de la toute fin du baroque dont la finalité est le pur divertissement, mais dont les Ombres s’emparent avec brio et respect, contribuant à faire de ce disque un constant plaisir d’écoute, plutôt empli d’une lumière sans arrière-pensées que vers les ombres. Comment dit-on “badinerie” en anglais ?

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 31 août 2023
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