Jean-Philippe RAMEAU (1683-1764)
Anacréon (1757)
Ballet en un acte sur le livret de Gentil-Bernard
René Schirrer (Anacréon) ; Agnès Mellon (Amour) ; Jill Feldman (Prêtresse) ; Dominique Visse (Agathocle) ; Michel Laplénie (Convive)
Les Arts Florissants
Direction William Christie
45’06, Harmonia Mundi, enr. 1982
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Avant de parvenir à cette conclusion bien accommodante, Anacréon – poète de l’Antiquité grecque – se trouve confronté à un terrible dilemme : succomber aux plaisirs bachiques ou bien s’abandonner aux délices qu’offre l’amour. Car tel est l’enjeu de cette petite comédie-ballet que Rameau composa en 1757 (il existe une première version de 1754) afin de suppléer au prologue de ses Surprises de l’Amour (1748) que l’Académie Royale de Musique avait condamné car il traitait des bienfaits de la paix d’Aix-la-Chapelle qui n’était alors plus d’actualité.Mais revenons à notre affaire : alors qu’il festoyait avec faste entouré de convives et de sa maitresse Lycoris, Anacréon voit ses appartements envahis par une horde de Ménades furieuses. La prêtresse refuse toute cohabitation entre son maitre et le fils de Vénus : elle sème le désordre dans l’assemblée et chasse la maitresse de notre pauvre poète. Au cours de cette scène (« Favori de Bacchus, oses-tu faire entendre les chants qui profanent ces lieux ? »), Jill Feldman apparaît comme une véritable harpie, autoritaire et intransigeante ; l’articulation est sèche, les aigus étroits et terriblement acérés. A la violence de ce personnage – chez qui l’on perçoit une pointe d’aigreur – s’oppose à un René Schirrer à la fois tendre et puissant ; sa palette vocale s’adapte imperceptiblement selon la teneur du texte, mêlant harmonieusement le suave et à la virilité.
Séparé de sa maîtresse, Anacréon renonce à Bacchus et se remet entre les bras de Morphée. Une douce Symphonie permet ici d’apprécier le talent de l’ensemble de William Christie qui vit encore ses premières années ; la profondeur des basses, la rondeur des sons laissent déjà présager du devenir prometteur de ces musiciens malgré quelques imperfections de tempo ou de justesse glissées çà et là. Mais un orage éclate, violons et flûtes s’élancent dans de vertigineuses arabesques qui tirent le poète de son sommeil. S’élève alors une voix juvénile mais sûre, celle d’Agnès Mellon et nous répétons après Anacréon « Mon âme est attendrie ». Comment en effet ne pas être sensible à un Amour au chant si simple et ingénu qui se lamente avec tant d’affect du malheur de sa maîtresse (Lycoris) abandonnée par un ingrat amant et qui, lorsque qu’Anacréon avoue son tort, loin de le condamner, l’exhorte à rejoindre au plus vite son amante ? Ses vocalises légères et délicatement ciselées insufflent comme un air d’innocence et de fraîcheur. Ainsi dans « L’Amour est le dieu de la paix » l’on s’abandonne entièrement à la clarté de cette voix androgyne pleine de charmes qui persuade par sa sensualité.
Bien que ce petit opéra – auquel sa fonction imposait une durée limitée – n’ait pas la dimension dramatique de ses grandes tragédies lyriques, Rameau a su y introduire une grande variété de tableaux par de riches discours musicaux qui ne lassent jamais l’auditeur. L’on regrettera simplement la présence plus que furtive de Dominique Visse et de Michel Laplénie en raison de la coupure de certains passages.
Isaure d’Audeville
Technique : bon enregistrement, aucune remarque particulière