Antonio VIVALDI (1678-1741)
Armida al Campo d’Egitto (Venezia – Teatro San Moisè, Carnevale 1718)
Dramma per Musica in tre atti.
Libretto di Giovanni Palazzi
(Acte II reconstitué par Rinaldo Alessandrini et Frédéric Délaméa)
[TG name= »Liste des interprètes »]
Furio Zanasi (baritono) – Califfo
Marina Comparato (Mezzo-soprano) – Emireno
Romina Basso (Mezzo-soprano) – Adrasto
Martin Oro (Contre-ténor) – Tisaferno
Sara Mingardo (Contralto) – Armida
Monica Bacelli (Mezzo-soprano) – Osmira
Raffaella Milanesi (Soprano) – Erminia
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Concerto Italiano
Direction Rinaldo Alessandrini
3 CDs avec livret sous fourreau, 2h50min, Naïve, 2010.
[clear]“Armide enfin lève les yeux; son front
Retrouve un peu sa sérénité;
Et, tout soudain, par les nuées des pleurs,
Elle sourit comme un suave éclair.
“Seigneur, me remembrant vos vanteries,
Mon âme un peu s’apaise”, lui dit-elle.
“D’être vengée bientôt j’ai l’assurance,
Et douce est l’ire attendant la vengeance.”
Torquato Tasso – Jérusalem Libérée – Chant XIX
[clear]Il est intéressant parfois, quand on aime le répertoire baroque, de s’arrêter un peu sur le merveilleux et la magie dans cet art qui nous passionne. Si la présence des scènes de démons, des destructions massives de cités entières, les tempêtes et la magie sont des poncifs de l’opéra de l’âge moderne, le personnage de l’enchanteresse plus que sorcière est essentiel au monde musical baroque. On compte parmi les personnages les plus troublants et sans doute les plus humains ceux d’Alcina, Armida, Médée et autres Circé, êtres fragiles malgré leur pouvoir terrible. Puisque les redoutables magiciennes offrent le contraste avec les sentiments nobles des jeunes premiers, la passion les meut, les alimente et provoque leur irrémédiable chute, inspirant aux compositeurs une profusion merveilleuse d’airs et une musique étonnante et diverse pour évoquer leurs leurs transports.
Quand la magicienne est le rôle-titre d’un opéra baroque, l’œuvre est imbibée de magie et, étonnamment, le merveilleux se teinte du réalisme frappant des sensations. La magicienne n’est plus l’ennemie honnie des messes et des rites religieux, mais devient le miroir spectaculaire de la profondeur sentimentale et l’oratrice de la souffrance.
Comme bien de compositeurs baroques, Antonio Vivaldi a fait son « Armide ». Cette Armida al campo d’Egitto constitue l’un des premiers opéras du Prete Rosso, et s’inspire d’un épisode plutôt obscur de la Jérusalem Délivrée du Tasse, dans lequel Armide délaissée par Renaud prépare sa vengeance dans le camp du roi d’Egypte qui s’étale à Gaza. On pourrait être surpris car la plupart des adaptations de l’œuvre poétique du cygne ferrarrais concerne l’épisode des amours de Renaud et d’Armide. L’originalité de la thématique permet à Vivaldi le déploiement de couleurs belliqueuses et un personnage d’Armide d’une richesse émotionnelle évocatrice. Cette Armida al campo d’Egitto, propulsa la popularité du maître vénitien et éveilla même l’intérêt d’un de ses plus grands soutiens, le prince Philippe de Darmstadt, gouverneur de Mantoue. Notons aussi que le rôle d’Armide a été écrit pour une des plus grandes contralti de tous les temps, Antonia Merighi qui ne tardera pas à chanter sur les scènes londoniennes pour Händel, Hasse et Porpora.
On saluera vivement le retour de Rinaldo Alessandrini et de son énergique Concerto Italiano dans l’intégrale d’opéra vivaldien de chez Naïve. La somptueuse Olimpiade qu’il avait enregistré avait montré la très riche et intense palette de son orchestre et la vive intelligence qu’il cultivait dans son approche à Vivaldi. Ici les couleurs ne se démentent pas, et les merveilles de la partition ressortent avec éclat : on citera notamment l’air Il mio fedele amor du premier acte aux accents quelque peu albinoniens ; le superbe Chi alla colpa fa tragitto qui clôt l’acte II et qui a été retrouvé dans la Bibliothèque Royale du Danemark aux soli de fagotto magnifiques; et le coercitif Tender lacci tù volesti où Sara Mingardo éveille les furieuses Erynnies avec conviction et virtuosité. Ces quelques exemples ne traduisent que fort peu la qualité et l’entrain du Concerto Italiano, respectueux de la partition et dont la cohérence, l’investissement et l’élégance rendent honneur avec panache à cette partition de presque trois heures. De plus, avec un respect du style presque mimétique et un souci de reconstitution quasi archéologique, Rinaldo Alessandrini nous rend l’Armida al campo d’Egitto dans son intégralité malgré les lacunes du deuxième acte, qu’il a fallu reconstituer.
Copyright Naïve
La distribution s’avère de très haute tenue, et les timbres bien caractérisés par rapport au livret. Comme nous le mentionnions précédemment, Sara Mingardo campe une Armida idéale avec sa tessiture chaude et expressive, ses graves enveloppants et soyeux suggérant une enchanteresse à la fois furieuse et sensuelle. Son engagement dramatique se confirme tout le long de l’œuvre, malgré la brièveté de certains airs, et le charme de la magicienne opère nous entraînant à déjà partir en guerre avec elle dans Tender lacci tu volesti !
Dans le rôle d’Emireno, Marina Comparato confirme son talent dans la verve vivaldienne, où elle déploie une voix agile, belle et maitrisée, un brin androgyne pour ce rôle masculin. La mezzo délivre une très belle prestation notamment dans le touchant Il mio fedele amor et le poétique Lascia di sospirar. Autre mezzo, Romina Basso nous ravit encore avec sa voix puissante et son engagement théâtral, On louera la spontanéité du chant, ses prises de risque et la palette de ses nuances : tour à tour amoureux transi dans Pensa che quel bel seno, tendre oison comptant fleurette dans le gazouillant Tal’or il gelsomin piange nel prato, et furieux guerrier dédaigné dans l’air de tempête Agitata de’venti dal onde.
Dans le rôle d’un des guerriers séduits et éconduits par Armida, Martin Oro en Tisaferno déploie une voix plus engagée et moins dans la monstration malgré une fragilité dans le registre grave. Les deux airs amoureux D’un bel volto arde alla face et Quando in seno alla tua bella se révèlent charmants, mais c’est dans le descriptif Quel torrente, ch’alza l’onde que l’artiste réussit à insuffler une véritable profondeur sentimentale au guerrier dépité.
L’amoureuse de Tancrède échoit à la voix délicate et profonde de Raffaella Milanesi, digne et fidèle Erminia prisonnière d’Emireno follement épris d’elle. La soprano ne bénéficie que de deux interventions, d’une douceur sage et qui surprennent par la retenue qui caractérise ce personnage constant.
Monica Bacelli en Osmira, l’amoureuse éconduite du fier Adrasto, nous montre ses capacités dans un rôle plus aigu que ceux qui l’ont rendu célèbre. Dès son premier air Nasce dal tuoi diletti Bacelli démontre des très belles nuances dans le registre sopranistique avant de dévaler fièrement les vocalises de l’Augeletti garruletti et nous intimer le désarroi intime de Se correndo in seno al Mare, air poignant et éperdu dont la mélodie sera reprise dans un air du personnage d’Antiope pour l’Ercole sul Termodonte.
Enfin, Furio Zanasi incarne un merveilleux Califfo, avec sa voix veloutée et ses aigus dorés, transfiguré en chef d’armée et monarque empanaché. L’air qui clôt l’acte II, Chi alla colpa fa tragitto, où le Califfo découvre la trahison d’Emireno, permet au chanteur de sculpter avec subtilité l’intimité de la fureur contenue tandis que Furio Zanasi épouse, en ciselant les accords, la ligne mélodique marquée par les bassons.
En définitive chaque intégrale de la série Vivaldi est une nouvelle surprise qui confirme de plus en plus le génie captivant du Prêtre Roux. Nonobstant les préjugés d’autres Stravinsky sur l’invariabilité et la platitude de l’œuvre du vénitien, grâce à des arguments tels cette Armida al campo d’Egitto et l’équipe qui la sublime, la magie séductrice de Vivaldi continue de faire des adeptes et des amoureux comme les yeux irrésistibles de la belle Armide.
Pedro-Octavo Diaz
Technique : prise de son équilibrée et fine.
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