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6 janvier 2014

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Opera

[II, 327]

Drame dont l'action se chante & réunit le pathétique de la Tragédie & le merveilleux de l'Epopée. Le pathétique, que l'Opéra imite de la Tragédie, consiste dans les sentimens, les situations touchantes, le noeud, les incidens frappans, l'intérêt, le dénouement. Le merveilleux, qu'il imite de l'Epopée, consiste à réaliser aux yeux

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tout ce qu'elle ne fait que peindre à l'imagination. S'il est question d'une Divinité du Ciel, de l'Enfer, d'un naufrage, des êtres même moraux et inanimés, il les représente au naturel par la magie des décorations. Le caratère de l'Epopée est de transporter la Scène de la Tragédie dans l'imagination du Lecteur. Là, profitant de l'étendue de son Théâtre, elle aggrandit & varie ses tableaux, se répand dans la fiction, & manie à son gré tous les ressorts du merveilleux. Dans l'Opera, la Muse Tragique à son tour, jalouse des avantages que la Muse Epique a sur elle, essaye de marcher son égale, ou plutôt de la surpasser, en réalisant, du moins pour les sens, ce que l'autre ne peint qu'en idée. Pour bien concevoir ces deux révolutions, supposé qu'on eût vu sur le Théâtre une Reine de Phénicie, qui, par ses graces & sa beauté, eût attendri, intéressé pour elle les Chefs les plus vaillans de l'armée de Godefroi, en eût même attiré quelques uns dans sa Cour, y eût donné asyle au fier Renaud dans sa disgrace, l'eût aimé, eût tout fait pour lui; & l'eût vu s'arracher aux plaisirs, pour suivre les pas de la gloire ; voilà le sujet d'Armide en Tragédie. Le Poëte Epique s'en empare ; & au lieu d'une Reine tout narurellement belle, sensible, il en fait une enchanteresse : dès lors, dans une action simple, tout devient magique & surnaturel. Dans Armide, le don de plaire est un prestige ; dans Renaud, l'amour est un enchantement : les plaisirs qui les environnent, les lieux même qu'ils habitent, ce qu'on y voit, ce qu'on y entend, la volupté qu'on y respire, tout n'est qu'illusion ; & c'est le plus charmant des songes

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Telle est Armide embellie des mains de la Muse Héroïque. La Muse du Théâtre la reclame & la reproduit sur la Scène, avec toute la pompe du merveilleux. Elle demande, pour varier & pour embellir ce brillant Spectacle, les mêmes licences que la Muse Epique s'est données ; & appellant à son secous la Musique, la Danse, la Peinture, elle nous fait voir, par une magie nouvelle, les prodiges que sa rivale ne nous a fait qu'imaginer. Voilà Armide sur le Théâtre Lyrique ; & voilà l'idée qu'on peut se former d'un Spectacle qui réunit le prestige de tous les Arts :

Où les beaux Vers, la Danse, la Musique,
L'art de tromper les yeux par les couleurs,
L'art plus heureux de séduire les coeurs,
De cent plaisirs font un plaisir unique. Voltaire

Dans ce composé, tout est mensonge ; mais tout est d'accord ; & cet accord en fait une vérité ; la Musique y fait le charme du merveilleux ; le merveilleux y fait la vraisemblance de la Musique : on est dans un monde nouveau : c'est la nature dans l'enchantement, & visiblement animée par une foule d'intelligences, dont les volontés sont ses loix.

Une intrigue nette & facile à nouer & à dénouer ; des caractères simples ; des incidens qui naissent d'eux-mêmes ; des tableaux sans cesse variés par le moyen du clair obscur, des passions douces quelquefois violentes, mais dont l'accès est passager ; un intérêt vif & touchant, mais qui par intervalles, laisse respirer l'ame : voilà les sujets que chérit la Poësie Lyrique, & dont Quinault a fait un si beau choix. La passion qu'il a

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préférée, est de toutes la plus féconde en images & en sentimens ; celle où se succedent avec le plus naturel, toutes les nuances de la Poësie, & qui réunit le plus de tableaux rians & sombres tour-à-tour. Les sujets de Quinault sont simples, faciles à exposer, noués & dénoués sans peine. Voyez celui de Roland : ce Héros a tout quitté pour Angélique ; Angélique le trahit & l'abandonne pour Médor. Voilà l'intrigue de son Poëme : un anneau magique en fait le merveilleux ; une fête de Village en amene le dénouement. Il n'y a pas dix Vers qui ne soient en sentimens ou en images. Le sujet d'Armide est encore plus simple.

L'Opera peut embrasser des sujets de trois genres différens ; du genre Tragique, du genre Comique & du genre Pastoral. Nous allons faire, d'après le Spectacle des Beaux-Arts, quelques observations sur chacun de ces genres.

Le Poëte qui fait une Tragédie Lyrique, s'attache plus à faire illusion aux sens qu'à l'esprit ; il cherche plutôt à produire un spectacle enchanteur, qu'une action où la vraisemblance soit exactement observée. Il s'affranchit des loix rigoureuses de la Tragédie ; & s'il a quelque égard à l'unité d'intérêt et d'action, il viole sans scrupule les unités de tems et de lieu, les sacrifiant aux charmes de la variété & du merveilleux. Ses Héros sont plus grands que nature ; ce sont des Dieux, ou des hommes en commerce avec eux, & qui participent de leur puissance. Ils franchissent les barrieres de l'Olympe ; ils pénetrent les abîmes de l'Enfer. A leur voix, la Nature s'ébranle, les Elémens obéissent, l'Univers leur est soumis. Le Poëte tend à retracer des sujets vastes & sublimes ;

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le Musicien se joint à lui pour les rendre encore plus sublimes. L'un & l'autre réunissent les efforts de leurs art & de leur génie pour enlever & enchanter le Spectateur étonné, pour le transporter tantôt dans les Palais Enchantés d'Armide, tantôt dans l'Olympe, tantôt dans les Enfers, ou parmi les Ombres fortunées de l'Elysée. Mais quelque effet que produisent sur les sens l'appareil pompeux, & la diversité des décorations, le Poëte doit encore plus s'attacher à produire, dans les Spectateurs, l'intérêt du sentiment. Voyez au mot POEME LYRIQUE tout ce que doivent observer à cet égard le Poëte & le Musicien.

Les Sujets Tragiques ne sont pas les seuls qui soient du ressort du Théâtre Lyrique : il peut s'approprier aussi le genre Comique ; c'est-à-dire, les Piéces de caractère, d'intrigue, de sentiment. Le Comique de caratère peut être d'une ressource infinie pour ce Théâtre. Il fourniroit au Poëte & au Musicien un moyen de sortir de la Monotonie éternelle d'expressions miellées, de sentimens doucereux, qui caractérisent nos Operas Lyriques. Cependant ce genre est entierement négligé à notre grand Opera. On l'a abandonné au Théâtre des Italiens, avec les Piéces d'intrigue & de sentimens. Voyez ci-après OPERA-COMIQUE

Le génie Pastoral trouve aussi sa place au Théâtre Lyrique. Plusieurs de nos Poëtes s'y sont exercés avec succès. Les sujets champêtres font plaisir par les tableaux naïfs qu'ils présentent, & sont très-susceptibles d'une Musique gracieuse, par les images riantes dont ils sont ornés. L'Amour Pastoral a une candeur, une aménité, un charme ravissant. Il rappelle l'âge d'or,

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où le goût seul faisoit le choix des Amans, & le sentiment leurs liens & leurs délices. C'est, parmi nos Bergers, que l'Amour est vraiment un enfant, simple comme la Nature qui le produit ; il plaît sans fard & sans déguisement ; il blesse sans cruauté ; il attache sans violence. De telles peintures demandent une Musique naïve, des airs simples, un chant uni, une symphonie douce & tendre. Mais ce genre semble épuisé parmi nous, & n'avoir plus rien que de fade & de monotone.

OPERA FRANCOIS, (l'Histoire de l')

Les Italiens sont les inventeurs de l'Opera. Ce brillant Spectacle fut introduit en France par le Cardinal Mazarin en [1]645. Le succès qu'eut parmi nous la Piéce Italienne, intitulée Orphée et Euridice, fit souhaiter qu'on donnât de pareils Ouvrages dans notre Langue. L'Abbé Perrin fut le premier qui hasarda des paroles Françoises, à la vérité fort mauvaises, mais qui réussirent pourtant assez bien, lorsqu'elles eurent été mises en Musique par l'Organiste Cambert. Cette Piéce est une Pastorale en cinq Actes, qu'on représenta pour la premiere fois à Issy, sans employer les danses ni les machines. Elle fut si généralement applaudie, que le Cardinal en fit donner plusieurs représentations devant le Roi & toute la Cour.

Le Marquis de Sourdeac fit alors connoître son génie pour les machines. Il s'associa avec le Poëte Perrin & le Musicien Cambert pour donner des Opera : & ces trois Fondateurs du Théâtre Lyrique firent représenter, dans un Jeu de Paume de la rue Mazarine, quelques Piéces, dont la Poësie

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seule fut trouvée mauvaise. Quelques tems après, Jean-Baptiste Lully obtint des Lettres-patentes en forme d'Edit, portant permission de tenir Académie Royale de Musique, & il y fit construire un nouveau Théâtre près du Luxembourg, dans la rue de Vaugirard. Ce célèbre Musicien donna au Public le 15 Novembre 1672 Les Fêtes de l'Amour & de Bacchus, Pastorale composée de différens Ballets.

Après la mort de Moliere, le Roi donna à Lully la Salle du Palais Royal, où, depuis le mois de Juillet 1673, tous les Opera ont été représentés jusqu'à présent.

Lully avoit un talent supérieur pour la Musique : il s'associa avec Quinault, qui avoit lui-même un géni éminent pour la Poësie. Celui-ci, en s'écartant du goût, de la forme & de la coupe ordinaire des Opera Italiens, en créa un d'un nouveau genre, conforme à l'esprit & au goût de la Nation. Il imagina des actions tragiques, liées à des danses, au mouvement des machines, & aux changemens de décorations.

Tout ce que la passion de l'amour peut fournir de vivacité, de tendresse & d'expressions fortes de sentimens, ce que la magie ou la puissance des Dieux peut produire de merveilleux, fut mis en oeuvre par ce Poëte dans les différens Ouvrages dont il a enrichi ce Spectacle.

Lully composa la Musique de tous ces Opera. Son principal mérite est d'avoir trouvé des chants tout-à-fait analogues à la Langue Françoise ; la partie du récitatif sur-tout est celle où il a excellé. C'est presque toujours une déclamation naturelle, simple, remplie de graces & d'expressions ;

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presque toujours noble, quelquefois grande & sublime, mais souvent aussi monotone. Il s'en faut beaucoup que ses symphonies ayent la même beauté ; tous ses grands airs, ainsi que ses ouvertures, semblent être jettés dans le même moule ; & à le bien prendre, il n'a proprement fait qu'un seul de chacun de ces airs dans chaque genre. Sa réputation cependant étoit extrême ; tous les Musiciens le regardoient comme leur Maître ; & le Public ne voyoit que lui dans les Opera que l'on donnoit de son tems : le chant faisoit disparoître les paroles ; le Poëte étoit éclipsé par le Musicien ; & ce n'est guère que depuis environ quarante ans, qu'on s'est apperçu en France, que Quinault étoit un Poëte au-dessus du commun.

Après la mort de Lully, l'Opera passa à deux de ses fils, qui n'eurent point les talens de leur pere. Depuis, regardé comme une espéce de Ferme, il fut livré à des Directeurs avides, qui s'enrichirent en l'appauvrissant. Pendant toute leur administration, ce Spectacle fut mal entretenu, les Acteurs mal choisis, les créanciers mal payés, & le Public mal servi.

Parmi ceux qui, depuis Quinault et Lully, ont travaillé pour ce Théâtre, nous n'avons guère eu que MM. de la Mothe, Dancher, Roi, Duché, Fontenelle, Lafont, Moncrif, l'Abbé Pellegrin, Cahusac, Bernard & Rousseau de Genève, qui méritent quelque considération parmi les Poëtes ; & Campra, Destouches, Mouret, Rameau, Mondonville, Rebel, Francoeur, Royer, Dauvergne, Rousseau, Monsigny, Philidor, Gluck & Grétry parmi les Musiciens. Lamothe a créé deux genres nouveaux, qui ont enrichi ce Spectacle, le Ballet, &

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la Pastorale. Son Europe Galante est un Ouvrage enchanteur pour les paroles & pour la Musique. La Pastorale d'Issé est admirable ; son succès a toujours été brillant ; & elle le mérite par toutes les graces de sentiment qui y sont répandues. Campra a fait la Musique du Ballet, & Destouches celle de la Pastorale.

Campra étoit véritablement Musicien ; il avoit une portion de génie qui donnoit à sa Musique un caractère qui lui étoit propre. Pour les chants, il est inférieur à Lully ; mais il vaut mieux que lui pour la symphonie.

Destouches n'étoit point Musicien ; il avoit des chants & du goût, mais n'entendoit ni les Choeurs, ni les symphonies. C'étoit Campras & Lalande qui faisoient celles de ses Opera. Homme d'intrigue, insinuant & adroit, il avoit fait entendre à nos Courtisans ; qu'elles ne devoient être que la partie du simple Musicien artisan ; c'est qu'en effet il n'étoit pas capable de les faire.

Roy a travaillé en concurrence avec La Motte & Danchet : il a donné vingt-un Opera ou Ballets. Les Elémens & Callirhoé, sont les deux seuls Ouvrages qui parroissent devoir rester au Théâtre. C'est Destouches qui en a fait la Musique. Roy a travaillé avec tous les différens Musiciens qu'il y a eu en son tems.

En 1733, Rameau donna Hyppolite & Aricie ; bientôt après on représenta ses Indes Galantes ; & voilà l'époque de la révolution de la Musique en France. Musicien de génie, élevé, sublime, toujours varié, toujours fécond, Rameau par ses Ovrages éclaira la Nation. La Musique est depuis entrée dans l'éducation de tous nos jeunes

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gens. Les vieillards, attachés au genre qu'ils connoissent, s'éleverent avec force contre ce nouveau phénomène : ils avoient pour eux tout ce qu'il y avoit alors de Musiciens ignorans, qui trouverent qu'il étoit plus aisé de déclamer contre le goût nouveau, que de le suivre. Les plus habiles furent partagés ; & dès lors on vit en France deux Partis violens & extrêmes, acharnés les uns contre les autres : l'ancienne & la nouvelle Musique fut, pour chacun d'eux, une espece de Religion, pour laquelle ils prirent tous les armes.

Il manquoit un Poëte à Rameau ; ses premiers Opera sont de différens Auteurs, comme les Ballets de Roy avoient été de divers Musiciens. A un second Lully il falloit un autre Quinault ; mais où le trouver ? Cahusac se lia avec lui ; & ils donnerent ensemble plusieurs Opera. L'objet principal de ce Poëte étoit de ramener le merveilleux sur le Théâtre Lyrique & de lier les divertissemens à l'action principale, d'une maniere si intime, que l'un ne puisse pas subsister sans l'autre.

Tel étoit l'Opera, lorsque le Roi, en se déclarant le Protecteur de l'Académie Royale de Musique, l'a mise, pour l'administration, entre les mains de M. le Prévot des Marchands, sous l'autorité de M. le Comte d'Argenton, Ministre & Secrétaire d'Etat.

OPERA ITALIEN. Les moralités qui sont semées dans l'Opéra Italien, ne plairoient pas beaucoup en France, non plus que cette mode monotone, de terminer la Scène la plus passionnée par une Ariette, par une comparaison. Est-

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elle placée dans le Personnage accablé de douleur ? A-t-il bonne grace à se livrer à ce badinage ? N'est ce pas refroidir l'Auditeur ; & détruire l'impression du sentiment ? Cela est aussi disparate, que de mettre en Musique une conspiration, un conseil, d'opiner en chantant. Il est reçu de chanter les plaintes, les joies & la fureur ; mais la Musique, faite pour toucher, ne raisonne pas. Titus fredonne un cours de morale, qui feroit tomber nos jeunes en léthargie.

Je trouve, en général, dans tous les Opera Italiens, des germes de passions, jamais la passion amenée à sa maturité ; des Scènes jamais filées, peu soutenue, souvent étouffées par des sens suspendus, point finis, & qui laissent à l'Auditeur le soin de deviner. Si nos Scènes étoient aussi hachées, occasionneroient-elles des morceaux de musique bien pathétiques, ou bien agréables, des descriptions vives & animées, des images riantes, des tableaux galans ? Notre Opera veut des fêtes liées à l'action, & sorties de son sein ; l'Opera Italien s'en dispense. Des Pantomimes dans les entr'Actes détournent l'attention due au Poëme, & font diversion aux idées Tragiques. Quel assemblage de bouffon & de sérieux ? Nous voulons un tout dont les parties soient plus analogues. L'amour, qui ne devroit être qu'accessoire dans les autres Théâtres, est le principal mobile de la Scène Lyrique. Arys est vraiment Opera, parce que tous les incidens naissent de l'amour, Armide de même ; Phaëton un peu moins ; car l'ambition du Soleil est peu agréable.

OPERA-COMIQUE. Ce Spectacle étoit ouvert du-

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rant les Foires de S. Laurent & de S. Germain. On peut fixer l'époque de l'Opera-Comique en 1678 ; c'est en effet cette année, que la Troupe d'Alard & de Maurice firent représenter un Divertissement Comique en trois Intermedes, intitulés Les Forces de l'Amour & de la Magie. C'étoit un composé bisarre de plaisanteries grossières, de mauvais Dialogues, de Sauts périlleux, de Machines & de Danses. Ce ne fut qu'en 1715, que les Comédiens Forains, ayant traité avec les Syndics & Directeurs de l'Académie Royale de Musique, donnerent à leur Spectacle le titre d'Opera-Comique. Les Piéces ordinaires étoient des Sujets amusans mis en Vaudevilles, mêlés de Prose & acompagnés de Danses & de Ballets ; on y représentoit aussi les Parodies des Piéces qu'on jouoit sur les Théâtres de la Comédie Françoise & de l'Académie Royale de Musique. M. le Sage est un des Auteurs qui a fourni un plus grand nombre de jolies Piéces à l'Opera-Comique ; & l'on peut dire, en un sens, qu'il fut le fondateur de ce Spectacle par le concours du monde qu'il y attiroit. Cependant les Comédiens François, voyant, avec déplaisir, que le Public abandonnoit souvent leur Théâtre, pour courir à celui de la Foire, firent entendre leurs plaintes & valoir leurs priviléges : ils obtinrent que les Comédiens Forains ne pourroient faire des représentations ordinaires. Ceux ci ayant donc été réduits à ne pouvoir parler, eurent recours à l'usage des cartons, sur lesquels on imprimoit en prose ce que le jeu des Acteurs ne pouvoit rendre. A cet expédient on en substitua un meilleur ; ce fut d'écrire des couplets sur des airs connus, que l'Orchestre

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jouoit, que des gens gagés, répandus parmi les Spectateurs, chantoient, & que le Public accompagnoit souvent en chorus ; ce qui donnoit au Spectacle une gaieté qui en fit long-tems le mérite. Enfin l'Opera-Comique, à la sollicitation des Comédiens François, fut tout-à-fait supprimé. Les Comédiens Italiens, qui, depuis leur retour à Paris en 1716, faisoient une recette médiocre, imaginerent en 1721 de quitter, pour quelque tems, leur Théâtre de l'Hôtel de Bourgogne, & d'en ouvrir un nouveau à la Foire : ils y jouerent, trois années consécutives, pendant la Foire seulement. La Fortune ne les favorisa point dans ce nouvel établissement : ils l'abandonnerent. On vit encore reparoître l'Opéra-Comique en 1724 ; mais en 1745 ce Spectacle fut entierement aboli. L'on ne jouoit plus à la Foire que des Scènes muettes & des Pantomimes. Enfin le sieur Monet obtint la permission de rétablir ce Théâtre à la Foire S. Germain en 1752 ; & les soins qu'il se donna ont amené, peu à peu, ce Spectacle au point où il est aujourd'hui.

Le mérite des petits Poëmes Dramatiques qu'on joue sur le Théâtre de l'Opera-Comique, consiste moins dans la régularité & dans la conduite du plan, que dans le choix d'un sujet qui produise des Scènes saillantes, des représentations badines & des Vaudevilles d'une Satyre fine & délicate, avec des airs gais & amusans.

Les morceaux susceptibles de chant y sont mis en Ariettes & chantés. Les autres y sont ordinairement en prose & déclamés. Ce Spectacle semble s'attacher principalement à la représentation fidéle des moeurs naïves & simples des Artisans

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et des Villageois, au moyen d'une petite intrigue d'amour ou autre. Telles sont les Piéces du Maréchal, du Bucheron, des Chauffeurs & de la Laitiere, &c. ; ce qui n'empêche pas qu'il ne puisse embrasser d'autres sujets plus relevés ; car il n'en exclut aucun à la rigueur.

L'Opera-Comique est un Drame d'un genre mixte, qui tient de la Comédie par le fond, & qui s'approche de l'Opera par la forme. Il y en a deux espéces ; savoir, l'Opéra-Comique en Vaudevilles, productions légere de la gaieté de notre Nation ; & les Piéces à Ariettes, dont l'invention est due aux Italiens. Comme les principales régles que l'on doit observer pour la composition de ces sortes d'Ouvrages sont générales, & regardent toutes les Piéces de Théâtre, je ne parlerai que des régles qui leur sont partïculieres ; & je commencerai par l'Opéra-Comique en Vaudevilles.

La Satyre des moeurs, des usages ridicules & des modes extravagantes, la parodie, la critique des Ouvrages, les événemens du jour, les intrigues populaires & bourgeoises, l'allégorie, le merveilleux, la Pastorale ; enfin, excepté la Tragédie & le Comique larmoyant, tous les sujets peuvent être de son ressort. Quel que soit celui qu'on adopte, il doit être simple, afin que l'exposition s'en fasse nettement, & avec précision : une longue exposition en Vaudevilles ne seroit pas supportable ; la marche doit être rapide, & les Scènes courtes ; parce que le chant en prolonge la durée : il y a des Scènes qui demandent à être filées ; l'art consiste à leur donner l'extension qui leur convient, sans sortir des bornes qu'on s'est prescrites. On a senti qu'il étoit néces-

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saire d'employer le secours de la Prose pour les liaisons & les transitions. C'est encore un avantage pour le Dialogue : il y a des choses communes qui n'auroient aucune grace dans un couplet. Un des principaux agrémens de l'Opera-Comique, est un heureux choix d'airs propres à caracteriser exactement tout ce qu'on veut exprimer. Cette recherche est penible, mais indispensable ; la fabrique du couplet exige encore plus de soin. Tout couplet est mauvais, lorsqu'il ne renferme pas une pensée ; lorsque le tour en est contraint & maniéré ; qu'il y a des rimes négligées, des vers inutiles, & des mots parasites. Il faut encore que la coupe soit réguliere, que la ponctuation des paroles suive toujours la ponctuation de la phrase musicale ; que tous les mots soient arrangés selon le mouvement de l'air ; qu'il n'y ait point d'anjambement, sur-tout au-delà des repos.

Les quatrains ont un repos marqué au deuxieme vers ; les sixains ordinairement au troisieme, quelquefois au second ou au quatrieme ; ce qui suffit pour juger des autres couplets : ceux qui ne sont pas assujettis à un rithme régulier, n'en ont pas moins un repos sensible, qui n'échappe jamais aux oreilles délicates.

Si on recommande aux Versificateurs d'observer exactement les régles de la Prosodie, cette exactitude est beaucoup plus nécessaire au Chansonnier. Lorsque ces régles sont variées, & que l'on met une syllable longue sur une note brève, ou un accent grave sur un son foible & mourant, l'Acteur qui chante ne peut, malgré les efforts de sa prononciation, faire entendre les paroles à une certaine distance. D'ailleurs, ce n'est

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plus du François, mais une Langue étrangere & barbare. Voici une régle sûre qui peut servir à ceux qui n'ont pas les connoissances suffisantes pour saisir la dissonance des sons & des mots. Dans une mesure à deux ou à quatre tems, la note qui suit la barre est toujours longue, la seconde brève, la troisieme longue, la quatrieme breve. Dans une mesure à trois tems, la premiere est longue ; les deux autres sont brèves pour l'ordinaire. Il arrive pourtant assez souvent que l'on appuie sur une note, qui doit être foible ; c'est qu'alors elle est précédée par une note de double valeur. Il faut observer néanmoins que ces régles ne doivent point ôter la liberté & l'aisance du couplet ; la gêne se supporte encore moins que le manquement à la régle. Les Vaudevilles de M. Panard peuvent servir d'exemple ; & les airs parodiés par Vadé sont encore des modèles à suivre.

Ceux qui se sont le plus distingués dans ce genre de travail, on toujours observé que la plûpart des couplets, quoiqu'essentiellement attachés au fond de la Piéce, pussent néanmoins s'en détacher, & se chanter dans les sociétés. On doit donc regarder ce Spectacle comme un parterre de différentes fleurs, qui peuvent se cueillir chacune séparément, & dont la réunion néanmoins forme un tout agréable.

Nous avons dit qu'il étoit une autre espéce d'Opera-Comique, appellée Piéces à Ariettes. Elle consistoit d'abord à parodier des airs Italiens, en y appliquant des paroles Françoises. Ce travail est encore plus pénible que le précédent, par la difficulté de saisir l'esprit de la Musique dans chaque Ariette, dont le trait principal & caracté-

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ristique se trouve moins souvent dans le chant que dans l'accompagnement. Nous en avons un exemple dans la Servante Maîtresse, où le Poëte s'est tellement assujetti à la Musique, qu'on la croiroit faite pour les paroles. Mais, pour réussir parfaitement dans ce travail, il faut reunir la qualité de Poëte à celle de Musicien, & s'être également exercé dans les deux Arts. On a reproché à la Servante Maîtresse la fréquente répétition des mêmes mots, qui souvent ne présentent aucune idée. Les Italiens, qui ne font attention qu'à la Musique, ne sont point choqués de ce retour des mêmes paroles : pour nous qui aimons la variété, & dont l'esprit veut être occupé, tandis que l'oreille est amusée agréablement, nous sommes blessés de toutes ces répétitions vuides de sens. Dans les Piéces qui ont suivi, on a substitué à ces retours fréquens & désagréables, différentes pensées qui rendent la Scène plus piquante. Le succès de ces sortes d'Ouvrages ont introduit insensiblement l'espèce d'Opera Comique qui regne aujourd'hui. On entrevit dès-lors, ce qui est arrivé effectivement, que la Musique pouvoit en être le principal objet ; & MM. d'Auvergne, Duni, Philidor, Monsigni & Grétry, ont enfin fixé ce genre par l'excellente Musique dont ils l'ont enrichi : il s'agit de fournir au Musicien un Poëme qui lui soit convenable, & prete à son génie l'occasion de faire des taleaux qui ne nuisent ni à la chaleur de l'action, ni à l'intrigue, qu'on ne doit jamais perdre de vue ; & c'est-là principalement le mérite de M. Sedaine. Le Musicien doit observer de ne point refroidir le mouvement de la Scène par des annonces d'Ariettes ou des Ritournelles.

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Quelques brillantes qu'elles puissent être, elles sont toujours déplacées, lorsqu'elles ne sont point nécessaires. Quoi de plus ridicule, par exemple, que de voir un Acteur transporté de la passion la plus violente, s'arrêter tout à-coup pour entendre froidement un symphonie qui prépare un morceau de Musique, & compter ses mesures pour reprendre sa premiere agitation ! Il faut donc que le Musicien ait encore plus d'égard à l'Acteur qui écoute, qu'à celui qui chante. Dans un Monologue, il est permis de préparer les Ariette par la symphonie, & de les finir de même.

Pour bien couper une Ariette, il faut, autant qu'il est possible, l'assujettir à un rithme ; ensorte que la premiere partie soit égale à la seconde. Ce n'est cependant pas une régle absolue ; & c'est le goût & l'oreille que l'on doit consulter. Les exemples instruiront mieux que les préceptes.

Ce qu'on doit observer encore, c'est de proportionner le Dialogue aux Ariettes, de maniere qu'il n'occupe pas la Scène plus long-tems que la Musique : comme il ne faut pas non-plus que la Musique absorbe entierement le Dialogue. On doit étendre l'un & l'autre, autant que le sujet & la marche de la Piéce peuvent le permettre. Les Vers qui forment le Dialogue étant plus analogues aux Ariettes, il semble qu'on devroit les préférer dans les Ouvrages de ce genre ; mais on a senti que la Prose, comme plus rapide, donne plus de mouvement & de chaleur à l'action.

Dans les Duo, Trio, Quartuor, &c, dont les paroles sont contractées, le Poëte & le Musicien doivent tellement disposer les mots & la Mu-

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sique, que chaque Personnage soit entendu distinctement ; & que toutes les voix, réunies, ne forment ni un bruit étourdissant, ni une confusion désagréable. 

 

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