Noëlle Spieth (Solstice, enr. 1990-2003) : la référence incontournable, avec
des enregistrements qui ont mûri sur 13 ans, grâce à un courageux label
indépendant. Sous les doigts agiles de Noëlle Spieth se déroule un incessant
kaléidoscope d'images multicolores, car l'artiste aborde Couperin comme une
peintre. Jamais les titres énigmatiques de chacune des pièces n'auront aussi
bien porté leurs noms, véritables croquis sur le vifs, affectueux ou ironiques,
sans jamais de méchanceté. Le maître mot de Noëlle Spieth est le mouvement et le
contraste. Tour à tour capable de brosser de grouillantes tempêtes, d'aborder
les mouvements en style luthé avec émotion et pudeur, la claveciniste émeut et
surprend à chaque note. "La Convalescente" dégage une intense souffrance
contenue, "L'Epineuse" suspend son vol, "La Pantomine" claudique de façon
comique... Et même dans les mouvements les plus légers et rapides transparaît
toujours une pensée réfléchie, posée, généreuse ; une volonté d'interpeller
l'auditeur, de dialoguer avec lui, d'attendre en retour un regard soit amusé,
soit compatissant. Ajoutons que les conseils et la partition de Couperin sont
scrupuleusement et magnifiquement respectés. Une intégrale à posséder
absolument, et qui a détrône Scott Ross dans notre cœur, c'est dire !
Scott Ross
(Stil, enr. étés 1977 et 1978) : avec l'intégrale des sonates de Scarlatti,
voilà le grand leg de ce claveciniste qui nous a quitté trop tôt. Une version
très intérieure, reflet de la maladie de Scott, et un face à face impressionnant
entre deux personnalités somme toute très proches. Deux mélancolies qui se sont rejointes le temps de deux
étés. Nostalgique, rêveur, poète, Ross sculpte chaque note avec humilité. Ni
vif, ni hésitant, son interprétation s'avère d'un naturel inimitable, que
certains cependant déclineront pour moins de retenue et des contrastes plus
marqués. Une version intimiste, presque murmurante, émouvante pour ceux qui
prendront le temps de s'y plonger.
Christophe
Rousset (Harmonia Mundi, enr. 1993-1995) : le son du clavecin est très clair
et cristallin dans cette lecture spontanée et parfois violente, plus à l'aise
dans la conversation que dans le non-dit. Ce Couperin-ci est libre, fougueux et
malcommode ; séduit par sa franchise, son expressivité, sa force. Certes, ce
n'est pas le toucher le plus suggestif qui soit, mais l'enregistrement de
Rousset est assurément à connaître. Tout le contraire de Ross, sans atteindre la
brusquerie de Borgstede (cf. infra).
Olivier
Baumont (Erato, enr. 1992-1995) : avec Olivier Baumont, le suicide n'est pas
loin dans les grandes pages nostalgiques de Couperin. Triste et
introspectif, l'artiste soupire et languit à n'en plus finir, transformant les
pièces de clavecin en poignantes Leçons de Ténèbres. En revanche, Beaumont
s'avère un peu brouillon dans les passages plus emportés qu'il interprète avec
malice, et manque
malheureusement de clarté dans les passages écrits en style luthé. En outre, il
dévie des ornements strictement notés par Couperin. Une version inégale,
belle et très sombre.
Blandine
Verlet (Astrée, enr. 1976-1980) : exit Olivier Baumont et son spleen
lugubre, voici Blandine Verlet, virtuose, gracieuse, élégante. Infiniment
virtuose, gracieuse et élégante... Seulement virtuose, gracieuse et élégante.
Les "Barricades Mystérieuses" sont magnifiques de couleur mais plates de
mystère, et Blandine semble poursuivie par un lion et pressée d'attraper son
train. Pourquoi tant de hâte et de bousculade dans "La Convalescente" ou "Les
Lys naissants" ? Avec Verlet, Couperin peine à se différencier de ces
successeurs galants, les "petits maîtres" Dandrieu, Balbastre ou Duphly. Une
légèreté pardonnable devant tant de charmes, pour un Couperin de cour proche de
ses Concerts royaux.
Michael
Borgstede (Brilliant Classics, enr. 2004-2005) : L'un des deux clavecins
utilisés, copie d'un Rückers 1638 est dur pour les arabesques du
maître et traduit bien le côté brut de cet enregistrement. Le style est assuré,
un peu trop appuyé, refusant délibérément tout doute, avec des ornements d'une
virtuosité mécanique. Une vision lourde et carrée qui ne correspond guère à
notre attente d'un Couperin timide, attentif aux autres et plein d'humour. Borgstede, c'est un peu le Lully interprété par Rheinhardt Goebel dans
Le Roi
danse... Et la tendresse, bordel ! Petit prix qui en tentera certains
cependant, adeptes d'un clavecin mitrailleur.
Kenneth
Gilbert (Harmonia Mundi, enr. 1970-1971) : la première intégrale, que l'on
saluera pour son côté pionner. Hélas, ce Couperin-ci est rude, professoral et
austère. Pour tout dire, ennuyeux et froid. C'est la Cour de Marbre, Mme de
Maintenon, et l'Allemagne calviniste. Les sanguines de Watteau se transforment
en gravures de Dürer...