Rechercher
- Newsletter
-
Qui sommes-nous ?
-
Espace Presse - FAQ
-
Contacts -
Liens
- |
mise à jour 6 janvier 2014
|
Chronique Festival
Bach, Passion selon Saint Matthieu Arsys Bourgogne, Les Talens Lyriques, dir. Pierre Cao
Pierre Cao © Sébastien Boulard
Jean Sébastien Bach
La Passion selon Saint-Matthieu
Lothar Odinius, évangéliste et ténor Christoph Pohl, Christ Sabine Goetz, soprano Marianne Beate Kielland, alto Markus Flaig, basse
Arsys Bourgogne Les Talens Lyriques dir. Pierre Cao
25 août, Basilique Sainte-Marie-Madeleine, Vézelay
"O Mensch, bewein’ dein Sünde gross"
Après la destruction de Jérusalem, nous nous retrouvons à la Basilique pour une Passion. Les musiciens sont disposés devant le portail, les spectateurs alignés à l’envers dans la nef, légèrement sonorisée à l’occasion. Au risque d’asséner une évidence, la Saint-Matthieu n’est pas n’importe quelle passion. Bien qu’appartenant au genre de la Passion-oratorio, celle-ci se révèle bien moins théâtralisée que la Saint-Jean plus concentrée et plus dramatique, et se concentre volontairement sur la description des affects. Introspective et complexe, cette Passion allégorique, malgré l’opulence de ses effectifs (double chœur), forme un ensemble incroyablement complexe, dont la symétrie a été magistralement analysée par Nikolaus Harnoncourt, enchaînant 63 numéros, entre les quelques airs da capo, les chœurs omniprésents, les ariosos madrigalesques. Seuls Jésus et l’Evangéliste tiennent une place prépondérante en tant que personnages incarnés, les autres protagonistes intervenant de manière très succincte (Pilate, Pierre…), Bach ayant volontairement dépersonnifié l’œuvre, désamorçant les passages qui auraient pu être spectaculaires (arrestation, jugement de Pilate, tremblement de terre) pour livrer un sublime message de foi.
Basilique de Vezelay © Muse Baroque, 2012 Et cette Passion si particulière au message de tolérance et d’espoir l’est encore plus en ce lieu qui vit l’appel à la 2de croisade et le passage des têtes couronnées de la 3e. Pierre Cao l’a approchée en grand chef de chœur, se servant de la forte réverbération de la voûte, pour dessiner une fresque solennelle, aux rythmes lents, tantôt hiératique, toujours impressionnante. Le chef met en avant les vents et les bois des Talens Lyriques, moins "galants" qu’à l’accoutumée, détachant leurs timbres de la masse – malheureusement un peu brouillée – des cordes. Surtout, il met l’accent sur le livret, dépeignant avec conviction et équilibre ce calvaire, et son inéluctable conclusion. Le superbe chœur monumental "Kommt, ihr Töchter" s’élance, profond et grave, Arsys Bourgogne dénotant une belle pulsation, un souci didactique constant, une dynamique naturelle en cloche où la phrase s’épanouit et se meure comme une vaguelette qui touche le rivage (ce que les anglo-saxons appellent de l’intraduisible "bell-tone"). Du côté des réserves, il faut bien avouer que la première partie a ça et là souffert de baisses de tension ("Aber am langsten Tage der süssen") évanouies dans la seconde, à l’urgence plus affirmée, et que la diction allemande d’Arsys est quelquefois bien hexagonale, contrairement à celle, excellente, des solistes, tous germanophones.
© François Zuidberg, 2012 Du plateau vocal, homogène et impliqué se détachent l’Evangéliste de Lothar Odinius, au médian au départ un peu instable ("Da nun Jesus war zu Bethanien"), mais à la déclamation sensible et humble, le soprano velouté, légèrement trop opératique et legato de Sabine Goetz (qui remplaçait Dorothee Mields), et la basse grainée et impériale de Markus Craig. Le Christ de Christoph Pohl, appliqué et à la projection moyenne, a semblé plus en retrait. Ainsi Lothar Odinius a choisi d’opter pour un évangéliste conteur intimiste, présent mais sans virtuosité oratoire, au ténor équilibré sachant prendre plus de liberté dans les arias comme le "Geduld, geduld" avec violoncelle obligé. Certains préfèreront un diseur plus dramatique et contrasté, à la manière superlative de Kurt Equiluz, mais la performance du ténor est tout à fait louable, et s’insère dans la vision ronde et profondément lumineuse du chef. Sabine Goetz, quant à elle, a été plus inégale, d’un "In blute nur" à la projection trop discrète mais aux accents presques ramistes à un très expressif "So ist mein Jesus nun gefangen" en duo avec l’alto remaquable de Marianne Beate Kielland qui délivre un très attendu "Erbarme dich" plein de contrition et un "Können Tränen meiner Wangen" d’une nostalgie amère. Enfin, Markus Craig, à l’émission stable et altière, sait de son timbre d’airain imposer sa puissance communicative, ce qui rend d’autant plus touchant son "Komm, süsses Kreuz". Et alors que retentissent les derniers accords du chœur final, et que le cycle se boucle avec la mise au tombeau du Christ, les applaudissements nourris des auditeurs, saluent cette interprétation sincère et exigeante d’une Passion au langage toujours aussi universel, avant que les ombres des festivaliers ne soient englouties par la fraîcheur de la nuit.
Croix dite de Saint-Bernard © Muse Baroque, 2012 Pour cette dernière matinée aux Rencontres musicales, décidément ancrée dans la musique sacrée, nous sommes d’abord partis vers la Croix de Saint-Bernard. Pour cela, il faut remonter vers la Basilique, puis sortir des remparts de la Cité et emprunter un chemin caillouteux, où quelques pelerins à la coquille se risquent. La pente est douce, et mène jusqu’à une clairière, sur laquelle une large croix de bois est plantée. ce serait là, dans ce cercle de verdure, que Saint Bernard aurait prêché… Mais déjà l’heure de la messe approche, et nous repartons vers l’Abbatiale, pour un office particulier, accompagné par le Concert Lorrain et Pierre Cao chaleureusement remerciés par Monseigneur Tricard, recteur, qui rappelle à quel point ces musiques sacrées sont porteuses de sens. Les motets de Praetorius, de Schütz, de Johann Bach et la Messe de Scarlatti retrouvent ainsi leur rôle liturgique, scandant le déroulement de l’office, s’immisçant dans le rituel sans pour autant le dénaturer, apportant de la couleur à la cérémonie. Est-ce la musique ? Le lieu ? L’homélie inspirée de Monseigneur Tricard qui appela à la croisade pour la paix et à l’humaine humanité de l’homme sous les étoiles ? Il nous a semblé que l’assistance radieuse, où se croisaient les fidèles et festivaliers de toutes nations a franchi avec regret le double portail la bénédiction achevée.
Vers les autres chroniques de concerts
|
Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
|