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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Concert Rameau, Anacréon, Pygmalion, Les Arts Florissants, dir. William Christie
William Christie © Simon Fowler Jean-Philippe Rameau (1683 – 1764)
Anacréon (version de 1757) Livret: Pierre – Joseph Bernard, dit “Gentil-Bernard”
Anacréon – Alain Buet Amour – Hanna Bayodi – Hirt La Prêtresse - Emmanuelle de Negri Agathocle – Ed Lyon
Pygmalion (1748)
Pygmalion – Ed Lyon La Statue – Hanna Bayodi-Hirt L'Amour – Emmanuelle de Negri Céphise – Virginie Thomas
Les Arts Florissants Dir. William Christie
6 mars 2011, Salle Pleyel, Paris Anacréon (v. 1757) “Bernard n'était gentil ni de figure, ni de manière, ni d'esprit mais était un grand, assez gros, beau, brun, aimable, facile, complaisant, homme de bonne compagnie, aimé de tout le monde, ne faisant ni esprit ni compliments, bien gourmand et lisant à merveille son Art d'aimer”. C'est en ces termes que le spirituel Charles-Joseph de Ligne, prince des Lumières, qualifiait le librettiste Pierre-Joseph Bernard que Voltaire surnomma pour la postérité, “Gentil-Bernard”. N'en déplaise au prince belge, Gentil-Bernard fut immensément connu par son poème tardif L'Art d'aimer (1775) et par ses livrets plus ou moins heureux conçus pour Jean-Philippe Rameau dont le meilleur est sans conteste celui de Castor et Pollux de 1737. Si le regard de certains spécialistes sur la production de Rameau jugent avec sévérité les livrets de ses opéras, est-il vraiment possible de juger ces vers fils de leur temps par rapport à une musique au comble de l'avant-garde même, parfois, au XXIème siècle ? Comme nombres de productions de génie, celle de Rameau ne manque pas de soulever des paradoxes empreints de polémiques. C'est le cas de ce deuxième Anacréon qui intégra presque “par hasard” la reprise de l'opéra-ballet composite Les Surprises de l'Amour. Tant le thème que le titre nous suggèrent un rapprochement avec les volutes charnelles de François Boucher, dont la finalité hédoniste est malgré tout assez proche du mythe anacréontique. Ce dimanche 6 mars, c'est sous un ciel de printemps tout près d'un Parc Monceau aux voix joyeuses des premiers jeux d'enfants et les promenades sans fin que la Salle Pleyel ouvrit ses portes Art Déco pour nous transporter dans les transports légers et fébriles de la musique de Rameau. Anacréon, qui ouvrit le diptyque est un vieil ami des Arts Florissants qu'ils aidèrent à faire connaître sous sa forme la plus aboutie. Dès les premières notes nous fûmes transportés dans une guirlande de fleurs musicales, les Arts Florissants et William Christie en grande forme redoublaient de coloris pour saluer la fin de l'hiver. Dans le rôle titre, le chantre des plaisirs Anacréon, l'affable et généreuse basse d'Alain Buet servit avec candeur et humour la partition de Rameau sans toutefois surjouer son rôle. Nous remarquons au passage que Alain Buet, à l'instar des basses Bernard Delétré ou Jean-Marie Gardeil des grandes heures christiniennes, offre dans chacune de ses interprétations du répertoire français une prosodie et une restitution parfaite du texte. Face à lui, le timbre chaleureux et tendre d'Hanna Bayodi-Hirt aux aigus parfois tendus mais sans heurt pour la partition ou la restitution du texte, que ce soit dans la pantomime dans le rôle muet de Lycoris ou bien les airs elle incarne un Amour pur mais non démuni de picaresque. Dans le rôle de la Prêtresse, la brillante Emmanuelle de Negri, au timbre gracieux et scintillant, nous envoûte avec son intervention, nous aimons son investissement théâtral, sa déclamation claire et ses ornements raffinés. Enfin, dans le petit rôle d'Agathocle, Ed Lyon, jeune ténor britannique au timbre grippé nous surprend par la rudesse de ses aigus, cependant nous lui reconnaissons une certaine vaillance dans les attaques. C'est autour d'un majestueux fauteuil Louis XV en bois doré que cet Anacréon pleyelien évolue et s'achève. Dans les cordes de sa lyre le musicien mythique emporte les plaisirs épicuriens de l'amour bachique pour laisser place à la blancheur du marbre poli et l'argent effilé du ciseau et du marteau.
Emmanuelle de Negri © 'Bdallah Lasri
Pygmalion (1748) "Would the world ever have been made if its maker had been afraid of making trouble? Making life means making trouble." Dans un autre siècle le caustique George Bernard Shaw nous explique en quelques mots le sens de l'existence et la création qui mène vers tous les embarras. Quelques siècles avant son immortel Pygmalion et bien loin de la Fair Lady, la musique de Jean-Philippe Rameau illustra avec contemplation et délicatesse le mythe du créateur. Le livret de Ballot de Sauvot se base sur un texte plus ancien du très couru Antoine Houdar de la Motte, qui se refusa à Rameau au tout debut de sa carrière opératique. Malgré l'originalité de l'onomastique, Ballot de Sauvot mérite bien un petit hommage, puisqu'il faillit perdre la vie en défendant la musique française durant la Querelle des Bouffons, en se battant en duel avec le castrat Gaetano Majorano dit Caffarelli. N'en déplaise au primo uomo, l'œuvre de Ballot de Sauvot a traversé les siècles contrairement à la voix, sans doute, phénoménale, du rival redoutable de Farinelli. La musique de Jean-Philippe, dans ce petit acte de ballet, se concentre et développe une puissance dramatique et sentimentale qui surpasse parfois certaines tragédies lyriques. Le rôle de Pygmalion à l'haute-contre éthéré, est empreint de tendresse, d'une emphase passionnée digne d'un drame romantique, c'est un rôle subtil. Hélas, Ed Lyon, malgré la puissance de ses attaques, ne réussit pas à s'éloigner d'une esthétique âpre et rugueuse. Les aigus, dont on sait la difficulté et nonobstant leur importance dans la musique de Rameau, sont sans légèreté voire nasillards. L'air apothéotique de fin “Règne Amour” ne réussit pas à nous convaincre et même s'avère dénaturé par le manque de subtilité et de finesse dans l'ornementation. Nous en venons à regretter les Howard Crook, Guy de Mey, Paul Agnew, Topi Lehtipuu, Anders Dahlin ou Cyril Auvity, plus rompus à l'exercice délicat du chant français. Aux antipodes, Emmanuelle de Negri, nous déploie avec un sourire radieux une délicieuse palette musicale notamment dans le très beau “Du pouvoir de l'Amour” dont les ornementations nous font revisiter ce petit trésor de l'art de Rameau. Nous espérons la revoir souvent dans ce répertoire où elle excelle. Dans les rôles plus discrets de la Statue et de Céphise, Hanna Bayodi-Hirt et Virginie Thomas marquent d'une présence dramatique le cours de cet Acte de ballet. Hanna Bayodi-Hirt incarne du marbre un timbre puissant et chaleureux, digne d'embraser la pierre froide. Dans une moindre mesure, mais avec panache, Virginie Thomas campe une Céphise à la douce lamentation. Toujours à la tête des merveilleux Arts Florissants, William Christie, en Pygmalion des pages muettes, sculpte avec des rythmes ciselés et sans cesse modelés par ses mains expertes l'édifice harmonique du divin Rameau. De l'explosion des couleurs mille fois épanouis, en passant par les textures les plus diverses, en pleine Fashion Week, Rameau sied très bien aux Arts Flo.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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