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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Concert Henry Purcell, King Arthur Le Concert Spirituel, Hervé Niquet
Hervé Niquet © Nicole Bergé
Henry Purcell (1659-1695)
King Arthur Semi-opera in five acts, livret de John Dryden, 1691
Susan Gritton (Philidel, Nereid, Venus — soprano), Deborah York (Philidel, Cupid, Nereid, She), Mélodie Ruvio (une nympe — mezzo-soprano), Anders J. Dahlin (haute-contre), James Gilchrist (Comus — ténor), Andrew Foster-Williams (Grimbald, Genius, Aeolus, Pan, He — basse)
Chœur et orchestre du Concert Spirituel
Direction Hervé Niquet Théâtre des Champs-Elysées à Paris, le 11 mai 2009.
“How my senses all are courted” (acte III) Semi-opéra, dérivé du mask très en vogue en Angleterre depuis le début du dix-septième siècle, Purcell, dans King Arthur, a plus joué un rôle qu’on peut apparenter à celui de Lully dans les comédies-ballets de Molière, que celui de centre de l’œuvre. Ainsi, les rôles les plus importants de la pièce de Dryden (Arthur, Merlin, Emmeline…) n’apparaissent-ils pas ici, et l’intrigue importe peu, ce qui n’enlève rien au génie musical de l’œuvre, qui contient certaines des plus belles pages de Purcell, comme le fameux et inévitable Cold Song, devenu un tube depuis Molière d’Ariane Mnouchkine (1978) et la version plus électrique de Klaus Nomi, et qui fit déjà sensation à l’époque. Et Hervé Niquet, à la tête de son Concert Spirituel, aide à révéler cette musique riche et puissante — qui peut être très aride, tout aussi difficile qu’il nous soit de l’admettre, comme dans l’enregistrement pionnier d’Alfred Deller (Harmonia Mundi). L’ouverture jaillit brusquement, avec une rapidité presque perverse, et le mince chef, posté devant ses trois théorbes, se ballade sans répit des dessus de violons au continuo. Et nous sommes déjà conquis. Chaque mouvement, chaque passage s’enchaîne avec une fluidité sinueuse, et tout est aéré malgré la riche densité sonore. Le continuo savamment réparti, comme toujours chez Niquet, tantôt doux, apaisant et chaud, parfois piquant et puissant, y est pour beaucoup, restant toujours présent et rond, véritable ligne directrice de l’ensemble — malgré des clavecins un peu faibles et difficilement audibles dans la masse orchestrale. Car ce qui ajoute à la qualité du concert, c’est la cohésion des solistes, soudés à l'équipe au même titre que l’orchestre et le chœur, s’amusant même à esquisser avec complicité une sorte de petite mise en scène drolatique. L'élocution très claire et précise permettait de se passer des surtitres. Susan Gritton rappelle hélas que le baroque n’est pas son répertoire principal : la soprano fait montre de trop d’appui, pas assez d’élévation et de résonnances aigues, dénote un timbre un peu engoncé, parfois même étranglé. La ligne musicale dans son ensemble reste dissipée, "lacking focus" comme diraient ses compatriotes. Andrew Foster-Williams a un beau médium, très clair, lui permettant sans problème de monter dans les aigus avec ampleur. Dans l’acte III, lorsque le Génie du froid, réveillé par Cupidon, s’engage dans un duo avec celui-ci, célébrant les joies de l’amour, son timbre se mêle magnifiquement avec les cordes frottées du continuo (basse de viole et violoncelle), résonnant harmonieusement à l’unisson. Mais il reste plus baryton que basse (si tant est qu’une telle distinction puisse être faite dans le répertoire baroque), et parfois, la profondeur du timbre fait défaut. Les notes graves du Cold Song en souffrent — sans ajouter que le chanteur, emporté dans une incarnation excessive en jouant particulièrement le froid, dans une lecture très saccadée. Anders J. Dahlin, que nous avions déjà abreuvé de compliments pour sa prestation dans Zoroastre de Rameau à l’Opéra Comique en avril dernier, nous ravit une fois de plus. Certes son rôle reste très minime, et la plupart de ses interventions sont des duos, trios, voire sextuors. Mais encore, quelle voix, quel timbre ! Tout semble facile, tandis que ses harmoniques résonnent en permanence avec suavité. Sa voix tout en souplesse est d’une légèreté impressionnante, qui lui fait traverser ses vocalises sans broncher, et avec un plaisir évident. Aérien, son timbre est doux mais intense, et se marie exactement avec celui de Deborah York, lorsqu’ils chantent en duo ou trio, conférant à celui de la soprano une profondeur légère (notez l'oxymore avec perplexité). Car Deborah York a une voix qui tient de la magie. Sur un fil, elle ne s’étrangle pourtant pas, ni ne s’étouffe. Ouverte, sa voix n’est pas avalée, n’est pas perçante ni égrillarde, et ne se fend jamais d’un souffle, malgré sa légèreté, car la chanteuse, tout en ne faisant presque que résonner ses harmoniques soutient tout, l’air de rien, et tient sa ligne sans s’alourdir. A l’inverse, le ténor James Gilchrist n’est pas l’archétype d’une voix légère. Mais cela ne le rend pas poussif ni écrasant pour autant. Au contraire, la voix, puissante, est dégagée, et sa participation dans les airs à plusieurs ne les empèse pas, et agréablement présent, sorte de jointure souple entre la basse et les voix du dessus. Cela va sans mentionner son immense délectation à jouer un Comus d’un comique irrésistible dans son grand air à boire et à manger, d’une gaillardise comble mais pas outrancière. Enfin, l’orchestre et le chœur du Concert Spirituel sont parfaitement équilibrés, d'une justesse extrême — chaque partie d'une lisibilité disséquée. Leur plaisir de jouer et chanter, et de jouer et chanter ensemble est visible, et leur bonheur communicatif. La direction de Niquet, chaude, enlevée, se permet parfois des moments espiègles. Une baguette précise, décidée avançant droite comme un régiment de hallebardiers, mais s’intéressant à tout. Sur cette trame résolue se greffe un art consommé des nuances. Tandis que démarre, acte III, le prélude au Cold Song, ne sommes-nous pas en train de nous glacer sur nos sièges, haletants, s’étonnant presque de ne pas voir de nuage de buée jaillir de nos bouches ? Bien sûr, Purcell a indéniablement voulu exprimer de telles sensations avec ce ground pulsé, mais Niquet réussit à nous le faire ressentir avec génie, avec un staccato lié. Et lors de la ritournelle qui suit, nous voilà brusquement réchauffés à nouveau, comme si le miracle de Cupidon nous avait tous atteint ! Le chef, survolté, disparaît progressivement derrière la musique, comme s’il en devenait une image vaporeuse se démultipliant, exalté, exaltant, avec chaque instrument à la fois, ciment et architecte entraînant ensemble, musiciens, continuo, chœur, et solistes dans un sillage moiré et dynamique.
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