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mise à jour 31 mars 2014
| Chronique Concert Bardi, Caccini, Cavalieri, Marenzio, Peri et alii, "La Pellegrina, une fête florentine" Les Traversées Baroques, dir. Judith Pacquier & Etienne Meyer, mise en scène Andreas Linos
Etienne Meyer © Gilles Abegg Antonio Archilei, Giovanno de’Bardi, Giulio Caccini, Emilio de’Cavalieri, Cristofano Malvezzi, Luca Marenzio, Jacopo Peri "La Pellegrina, une fête florentine" Livret de Rémi Cassaigne (Commande de l’Opéra de Dijon)
LES
TRAVERSÉES BAROQUES
Représentation du samedi 1er février au Grand Théâtre de Dijon O che nuovo miracolo Naissance de l’Opéra, prémices avant même l’Eurydice de Peri ou le fameux Orfeo ? Nous ne nous plongerons pas dans le débat sinon pour souligner que si ces six intermèdes n’ont pas encore ni la longueur, ni l’unité dramatique des œuvres précitées, ils portent bien en germe le fameux stile nuevo, et que l’imbrication des chœurs, recitar cantando, airs et danses, malgré une grande disparité parmi les compositeurs constitue une remarquable alchimie de l’ancien et du moderne. En effet, une équipe de six compositeurs de générations diverses, et aux rivalités intestines furent sollicités : Cristofano Malvezzi et Antonio Archilei ou Emilio de'Cavalieri pour le premier, Luca Marenzio pour le deuxième et le troisième, Giulio Caccini, Cristofano Malvezzi et Giovanni de'Bardi pour le quatrième, Luca Marenzio, Cristofano Malvezzi et Jacopo Peri pour le cinquième, Cristofano Malvezzi et Emilio de'Cavalieri pour le sixième. La Pellegrina, ou pour être précis les intermèdes musicaux et la pièce La Pellegrina furent ainsi créés au Palazzo Pitti de Florence en 1589, à l’occasion des festivités nuptiales de Ferdinand 1er de Médicis et de Christine de Lorraine. Elle furent l'occasion pour le Grand-Duché de déployer un faste inégalé, que la publication vénitienne de 1591, de même que l'abondance de récits et documents contemportains (pièces comptables, croquis, gravures, etc.) permet assez précisément de resituer. On ajoutera que l'appareil scénique était dû à l'architecte-ingénieur Bernardo Buontalenti, sorte de Leonard de Vinci des Médicis. Mis à part l'Orfeo et quelques rares autres cas, une telle richesse documentaire et iconographique demeure exceptionnelle pour le répertoire de ce baroque précoce. Les six intermèdes relatent des histoires mythologiques avec des références aux mariés, tandis que la comédie de Bargagli ne paraît pas avoir été particulièrement admirable. Nous renvoyons cependant nos lecteurs avides de connaissances à l'entretien avec Judith Pacquier, et à l'ouvrage de référence d'Aby Warburg, La Pellegrina et les Intermèdes, Florence 1589 (Ed. Lampsaque, 2009). Pour cette création dijonnaise, le pari a été celui, non pas de recréer les festivités originales ce qui aurait ruiner les finances municipales, mais d’en retrouver l’esprit par l’alternance du théâtre et de la musique. Pour cela Remi Cassaigne a troqué son luth pour la plume et écrit une œuvre extrêmement ambitieuse, à niveaux de lecture multiples, où se côtoient les personnages historiques préparant l’évènement. On suit ainsi les débats théoriques entre Bardi, Rossi, Peri et Cavalieri, le contexte historique, les coulisses proprement dites (à la manière d’un making of avec le casting des chanteurs, la confection des décors), avec par-dessus cela des clins d’œil musicaux (La Flûte Enchantée, 2001 l'Odyssée de l'Espace, la Toccata de l'Orfeo, le Prélude du Ring) ou allégoriques, et quelques plaisanteries (parfois un peu scabreuses tel ce "Mignonne, tu veux moucher ma chandelle ?" [Corrigendum suite à une précision de Rémi Cassaigne : en réalité il s'agit d'un viol, et la scène est placée là en prélude à "Qui di carne si sfama" ("C'est là que se repaît de chair le monstre")] ou bon enfant comme la liste des jurons du Capitaine Haddock). On regrettera simplement une sorte de "trop plein" fourmillant, et surtout le fait que cette pièce ne fait pas que s’intercaler entre les intermezzi (comme prévu à l’origine pour la comédie La Pellegrina), mais interrompt trop souvent le flux musical au sein des intermèdes eux-mêmes, ce qui conduit à une fragmentation du discours qui perd ainsi de sa cohérence et de sa force.
© Gilles Abegg Car justement, côté musical, cette Pellegrina recèle d’indéniables atouts. Pour commencer, loin de l'approche trop madrigalesque de Skip Sempé, l’orchestre des Traversées Baroques se pare de couleurs splendides sous la conduite attentive d'Etienne Meyer. Souple et opulent, particulièrement fourni en cordes pincées (même si on regrettera l’absence de flûtes pourtant présentes dans la partition), naturel et agile, l’orchestre fait oublier sa modestie en termes d’effectifs tant ses interventions sont aussi cohérentes que chatoyantes. La rondeur chaleureuse de l’ensemble, qui profite aussi de l’acoustique de ce théâtre à l’italienne (qui par ailleurs favorise les pupitres aigus pour le chœur), établit une atmosphère de connivence fastueuse. Il faut dire que l'on compte dans la fosse l'archet ductile d'Odile Edouard, le cornet éloquent de Judith Pacquier (réminiscent des sonorités tendres de son professeur Jean-Pierre Canihac) ou encore la harpe évocatrice d'Angélique Mauillon. On regrettera que le clavecin de Pierre Gallon ne soit pas mieux mis en valeur, de même que le trio de sacqueboutes assez discrètes. Sur scène, la distribution est homogène, et doit affronter le défi de cette alternance constante entre théâtre et chants qui n'est pas sans difficulté pour les rôles-titres de la pièce, constamment sollicités. L’équipe est généralement encore verte, et si elle n’atteint pas les sommets d’une Emma Kirkby ou d’un Nigel Rogers et de son fameux chant de gorge dans la version de Parrott (Virgin 1988), on admire l’art des diminutions, comme l’adéquation du style de Renaud Delaigue avec son timbre grainé et son phrasé très articulé, Vincent Bouchot d'un grand naturel, et l'art des diminutions d'une Capucine Keller aux aigus parfois tendus mais à la musicalité sensible. Les chœurs sont également de toute beauté, particulièrement bien intégrés, alliant fluidité et clarté polyphonique plus horizontaux et métronomiques qu'à l'accoutumée (voyez la bonne vieille version de Hans-Martin Linde en LP pour voir les progrès accomplis !). Il serait enfin criminel de ne pas mentionner la délicate mise en scène d’Andreas Linos, qui part d’une page vierge (un fond pratiquement immaculé avec quelques ébauches de points de fuite ou de tracés de construction, et des protagonistes en costumes Renaissance blanc), pour compléter petit à petit une vue en perspective forcée de Florence, comme si l’admirable maquette prenait vie au fil de l’avancement des travaux préparatoires aux noces princières. Ce parti-pris conduit ainsi, une fois le décor complété, à commencer l’histoire à la fin, puisque le premier Intermède est joué en dernier, dans son intégralité et avec un décor baroque inspiré celui de l’époque, avec force cintres, nuées, dieux à l’antique et machineries. Cette restitution inventive, sans être aussi soignée que les tableaux d'un Benjamin Lazar chez Cadmus & Hermione (l’éclairage à la bougie manque par exemple), n’en est pas moins extrêmement poétique et évocatrice. Alors que la Pellegrina s'épanouit enfin dans un sixième intermède impressionnant, le rideau retombe bien trop tôt pour un public qui aurait bien laissé l'Histoire se dérouler à nouveau de bout en bout. Et l'on souhaite que cette production, après quelques ajustements en vue d'une plus grande densité musicale dans sa structure, puisse avoir les honneurs de la tournée qu'elle mérite, et si possible, d'un enregistrement discographique. Longue vie aux heureux époux !
Quatre représentations au Grand Théâtre, les 1er, 2, 4, et 5 février 2014.
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Affichage minimum recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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