Rechercher Newsletter  - Qui sommes-nous ? - Espace Presse - FAQ - Contacts - Liens -   - Bookmark and Share

 

mise à jour

6 janvier 2014

Editorial

Brèves

Numéro du mois

Agenda

Critiques CDs

Critiques concerts

Interviews

Chroniques 

Tribune

Articles & Essais

Documents

Partitions

Bibliographie

Glossaire

Quizz

 

 

Chronique Festival

Mozart, La Finta Giardiniera,

The Academy of Ancient Music, direction Richard Egarr

 

 

Richard Egarr © Marco Borgreve

 

Wolfgang Amadeus MOZART

 

La Finta Giardiniera (1775)

Opera buffa en 3 actes K.196 sur un livret attribué à Giuseppe Petrosellini


Andrew Kennedy, Don Anchise
Rosemary Joshua, Sandrina / La Marchesa Violante Onesti
James Gilchrist, Belfiore
Klara Ek, Arminda
Daniela Lehner, Ramino
Elizabeth Watts, Serpetta
Andrew Foster-Williams, Roberto / Nardo

 

The Academy of Ancient Music

 

Clavecin & direction Richard Egarr.

 

28 juin 2011, version de concert, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, dans le cadre du Festival Mozart.

horizontal rule

Fausse jardinière, vraie floraison

La Finta Giardiniera ne fut à l'époque qu'un demi-succès (en dépit de l'accueil enthousiaste de la première du 13 janvier 1775 à Munich), et les plus anciens mélomanes d'entre nous se souviennent plus certainement de la version Singspiel en allemand Die verstellte Gärtnerin changée au 19e siècle en la sucrée Die Gärtnerin aus Liebe entachée des soupçons de facilité populaire de ce genre précurseur d'œuvrettes sans conséquences. Pourtant, La Finta Giardiniera n'est pas un opera buffa un peu fou d'un jeune compositeur de 19 ans, mais une tentative ambitieuse de dramma giocoso, ce que le frontispice du livret anonyme original réadapté par Giuseppe Petrosellini signale sans ambigüité. Au-delà des personnages de carton-pâte du genre comique, derrière l'insoutenable légèreté des êtres, l'opéra recèle déjà ces traits psychologiques tragiques que l'on retrouvera dans Cosi, bien loin des balbutiements charmants d'une Finta Semplice.

Alors que l'Idomeneo de Rohrer quelques jours plus tôt nous avait laissé quelque peu dubitatif quant à son traitement de la pâte mozartienne et au choix de ses articulations, Richard Egarr parvient à une lecture fine, dynamique et infiniment équilibrée, conciliant à la fois la noblesse mélodique classique et les contrastes et couleurs orchestrales héritées du baroque. Persuasif sans lourdeur, consensuel mais doté d'une réelle vision personnelle et cohérente, le claveciniste et chef n'est pas pour peu dans le succès de la soirée, insufflant une cohérence à 3 heures de musique sur une intrigue tout de même - avouons-le, passablement décousue, et un livret qui confine à la parodie brillante, on pense notamment à l'air du Comte "Da Scirocco a Tramontana" hilarant où ce dernier décrit avec emphase sa généalogie incluant... "trois reines, six comtesses, et encore dix consuls romains", n'hésitant pas à faire intervenir Tibère ou Caracalla en une sorte de contre-catalogue Don Juanesque d'un ridicule accompli.

Côté solistes, que du bonheur. Et tout est dit, tout est fini, remisons donc nos calames, nos cahiers et nos plumes au grand dam de nos lecteurs devant cet aveu non de paresse mais d'humilité. Et puis non, faisons nous brièvement les thuriféraires de nos artistes : le Don Anchise (Il Podestà) d'Andrew Kennedy se révèle lumineux et rieur dès son virtuose "Dentro il mio petto io sento", accompagné d'instruments obligés colorés (flûtes, hautbois, bassons, trompettes et timbales). La projection est puissante, l'émission parfois un peu instable dans les coloratures ou un peu trop lyrique, mais la beauté du timbre, l'agilité et la vivacité emporte l'adhésion.

Klara Ek © Sussie Ahlburg

 

Dans son rôle d'agent double (Sandrina / La Marchesa) et bénéficiant d'airs parmi les plus beaux de l'œuvre, Rosemary Joshua nous fait partager son timbre sensuel et soyeux, son impeccable maîtrise technique, ses talents d'actrice capable de moments d'apesanteur tel le "Geme la tortorella" poétique, d'une noblesse poignante, soupir intense et désespéré, aux aigus planants, aussi immatériel que l'écume des nuages. Le "Crudeli, oh dio! Fermate", d'une fureur electrienne, animé, vif, haletant, fait découvrir la braise sous la neige, plongeant l'auditeur dans le trouble et l'effroi face à une raison qui s'égare. A eux seuls, ces deux airs justifient que La Finta Giardiniera ne soit pas reléguée au rang d'œuvre de jeunesse mineure ou de divertissement de cour. Mêmes compliments pour la volcanique Arminda de Klara Ek, d'une confondante justesse, quoique moins dans la séduction. L'énergique et virtuose "Vorrei punirti indegno", célèbre air de jalousie du deuxième acte, glisse de froncement de sourcils en battements de cœur précipités, en dépit de sa technicité redoutable, brossant sous les empilements de doubles croches le portrait d'une dame d'airain.

Mais poursuivons parmi nos usual suspects qui sont nombreux...  le Nardo d'Andrew Foster-Williams s'avère particulièrement savoureux dans un rôle comique proche de Leporello. Le baryton-basse promène son beau phrasé, sa projection ferme, et sa bonhomie rieuse d'un "A forza di martelli" misogyne et excessif au surréalisme de l'acte III, où le Comte et Sandrina perdent la raison, et où l'on croise Alcide, Méduse ou encore Mercure...  A cet égard, l'air suivi du duo "Mirate che contrasto fa il sole con la luna" est une petite merveille de drôlerie, où Nardo décrit le combat de la Lune et du Soleil afin de distraire les autres protagonistes, et de prendre la poudre d'escampette.

Enfin, si l'on passera rapidement sur le Belfiore un peu âgé de James Gilchrist malgré ses ornements parfaits et sa truculence, mentionnons pour finir le Ramiro de Daniela Lehner un peu en retrait : la projection est plus confidentielle, le chant un peu tendu ("Dolce d'amor compagna"), le timbre un brin métallique. De même, la Serpetta fruitée de la jolie Daniela Watts pâtit d'un souffle un peu court et d'une projection moyenne. ,

L'Academy of Ancient Music - dont on ne peut hélas plus louer nommément certains solistes depuis que les notes de programme du TCE ont subi une cure d'austérité regrettable - est une sirène. Sirène moirée, scintillante, aux cordes souples et précises, aux attaques racées, d'une aisance confondante. L'orchestre tout entier fait preuve d'une cohésion décontractée et naturelle, démarre au quart de tour dès les introductions de chaque air, rivalise avec les solistes d'ingénuité et d'ironie. Si cette Finta Giardiniera n'a pas été entachée du soupçon de partition décorative, alignant sans plus d'à-propos une brochette d'airs, c'est bien grâce au liant et à la courbe dramatique que l'AAM a su apporter, parfois même au prix de grands écarts un peu artificiels (la scène de de folie de la Grotte) mais toujours inspirés.

 A l'issue de cette soirée mémorable, on ne peut que souhaiter un prochain enregistrement de cet opéra trop souvent négligé, qui viendra ainsi détrôner la version animée d'Harnoncourt (Teldec), et la beauté glacée un peu plate d'Hager (Philips) grâce à son parfait équilibre entre seria et buffa, permettant de redécouvrir sous la carrure de l'adolescent les remarquables prémices de la Trilogie Da Ponte.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

Site officiel de l'Academy of Ancient Music : www.aam.co.uk

 

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

Muse Baroque, le magazine de la musique baroque

tous droits réservés, 2003-2014