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6 janvier 2014

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Chronique Festival

Mozart, Idomeneo,

Le Cercle de l’Harmonie, direction Jérémie Rhorer

 

 

Idomeneo © Alvaro Yañez

 

Wolfgang Amadeus MOZART

 

Idomeneo (1781)

Sophie Karthäuser, Ilia
Richard Croft, Idomeneo
Kate Lindsey, Idamante
Alexandra Coku, Elettra
Paolo Fanale, Arbace
Nigel Robson, Le Grand Prêtre
Nahuel Di Pierro, La Voix de Neptune


Chœur Les Eléments, direction Joël Suhubiette

Le Cercle de l'Harmonie

 

Jérémie Rhorer : direction

 

Stéphane Braunschweig : mise en scène et scénographie

Thibault Vancraenenbroeck : costumes
Marion Hewlett : lumières
 

21 juin 2011, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, dans le cadre du Festival Mozart.

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"Fuor del mar ho un mar in seno..." (Idomeneo, II, 3)

Idoménée. Le plus gluckien des opéras de Mozart, constitue l'éclatant manifeste d'un jeune homme de 25 ans en pleine possession de ses capacités, et qui, pour ce seria magnifique, optera pour un langage d'une complexité et d'une profondeur psychologiques surprenantes, bien loin de l'habituel étalage morcelé d'airs et de récitatifs propres à ce genre bientôt moribond. Idoménée, c'est l'éternel ressort de l'amour paternel et du sacrifice, de la piété filiale ou de l'obéissance aux dieux, c'est l'implacable et efficace logique du ressort dramatique des Jephté ou des Abraham admirablement servie par Antoine Danchet pour la tragédie lyrique de Campra. A partir de ce livret français, Giambattista Varesco, chapelain de la Cour de Salzbourg, va remanier la trame pour aboutir à un seria italien, qui conserve de son modèle une fluidité inaccoutumée, une forte présence des chœurs, le non-respect des sorties des solistes après leurs airs qui brise l'élan de la tragédie.

 

On a tous en tête l'Idoménée de Jean-Pierre Ponnelle, immortalisé par la captation vidéo d'un Pavarotti plus royal que nature au milieu des gravures grandioses de Piranèse, alors que les protagonistes semblent sortir d'un tableau décadent d'Hubert Robert. Stéphane Braunschweig a opté ici pour une approche plus sobre, assez inégale. Si les panneaux coulissants de bois qui composent et recomposent les espaces, figurant ici une salle du trône, là un navire sont élégants et rappellent discrètement les châssis mobiles du XVIIIe, si la sphère mystérieuse et son chemin écarlate et sanglant se révèlent efficaces et évocateurs, quoiqu'abstraits, les costumes et la direction d'acteurs s'avèrent plus mous et convenus. Ainsi sous les ciseaux de Thibault Vancraenenbroeck, les personnages sont enfoncés dans le réalisme d'une Grèce des 70's, où les militaires vert-olive rencontrent des peuples vêtus de manière miséreuse. Dans ce monde peu coloré, d'une ordinarité froide et désincarnée, les prêtres de Neptune et leurs uniformes d'opérette bleu azur apportent une touche de fantaisie, presque déplacée. Les déplacements et la gestuelle sont encore très hiératiques et traditionnels, et le metteur en scène n'a manifestement pas su, contrairement à la sublime musique de Mozart, se départir d'un certain statisme, qui conduit les chanteurs à se retrouver simplement face au public pendant leurs plus ou moins longs airs. Enfin, on protestera contre le portrait d'un Idamante en jeune caïd immature, nerveux, bourré de tics, à contre-sens des nobles paroles que le livret lui prête, notamment dans la scène de libération des prisonniers.

 

 

Idomeneo © Alvaro Yañez


Côté musique, là encore, le résultat est inégal. La distribution est - de loin - dominée par l'extraordinaire monarque de Richard Croft. Le timbre riche et chaleureux, d'une humanité confondante, se jouant des passages de registre, les articulations subtiles, la mélodie explosant en bouche. Surtout, au-delà de la prouesse technique, Croft a su investir les récitatifs, notamment ceux de l'acte I scène 9 où se déroulent les retrouvailles fatales avec son fils. Tour à tour guerrier au bout du rouleau, homme compatissant, monarque indécis et tourmenté, l'artiste par la puissance de son incarnation rend le drame crédible, alors même que le livret mythologique aussi bien que la mise en scène semblent vouloir à tout prix nous éloigner de l'histoire et instaurer la distance des conventions et du langage entre les mondes. Les autres interprètes ne sont pas hélas à l'avenant. En dépit de l'investissement de Sophie Karthäuser, son Ilia demeure trop effacée, d'une douceur discrète, tandis que l'Idamante de Kate Lindsey, peu androgyne et au timbre encore vert, ne parvient pas à faire de son personnage tiraillé entre l'amour et l'obéissance filiale un être de chair et de sang. L'Elettra aux aigus trop fragiles d'Alexandra Coku n'est pas suffisamment armée pour les acrobaties vocales qu'on lui soumet, et peine à rester dans le rythme dans ses grands élans furieux. Enfin, l'Arbace un peu brouillon de Paolo Fanale, le Prêtre fatigué de Nigel Robson et l'imposant Neptune monolithique de Nahuel Di Pierro complètent le plateau vocal, très honnête mais en-deçà des versions de référence.

Idomeneo © Alvaro Yañez


Le chœur Les Eléments
est exemplaire, les pupitres espacés et équilibrés, la projection d'une puissance inouïe. En revanche, Jérémie Rohrer a choisi de se détacher trop nettement des lectures classicisantes des Levine, Mackerras, ou autres Davis, abandonnant les Crétois avec l'onde de Neptune : les textures orchestrales du Cercle de l'Harmonie sont fines et étirées, découpant au scalpel les différentes parties, mettant en avant les différents timbres instrumentaux au détriment des effets de masse et de la primauté de la mélodie. Cette vision précieuse et raffinée, parfaite chez Grétry, ou même dans un Mozart plus conventionnel comme Mitridate, affaiblit considérablement le discours : le drame se retrouve haché, le souffle disloqué, pantelant, l'arc tragique déchargé. La fosse se retrouve ainsi éparpillée, les passages orchestraux, si nombreux, fragmentés et impuissants, alors même que l'orchestre d'Idomeneo se devrait de jouer à part égale avec les solistes et que le compositeur l'a érigé en véritable moteur de l'action. Il manque cruellement à cet Idomeneo une grandeur affreuse, celle des mortels ballottés au gré de leur frêle destinée, malmenés par les Dieux. En niant la composante tragique et sublime de l'action, Jérémie Rohrer a brisé le  ressort de la tragédie lyrique et sa sauvage beauté. Neptune, contrairement à Platée, domine l'océan et n'habite pas les marais.

Viet-Linh Nguyen

Site officiel du Théâtre des Champs Elysées : www.theatrechampselysees.fr

Site officiel du Cercle de l'Harmonie : http://cercledelharmonie.fr

 

 

 

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