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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Monteverdi, Le Couronnement de Poppée

Les Paladins, Jérôme Corréas

 

 

Néron et Poppée © Anne Nordmann

 

Claudio MONTEVERDI

 

Le Couronnement de Poppée (1642)

Opéra en un prologue et trois actes sur un livret de G. F. Busenello


Valérie Gabail (Poppée)

Maryseult Wieczorek (Néron)

Françoise Masset (Octavie)

Dorothée Lorthiois (Drusilla)

Paulin Bündgen (Othon)

Jean-François Lombard (Arnalta / Nourrice)

Vincent Pavesi (Sénèque)

 

Charlotte Plasse (Valet), Hadhoum Tunc (Demoiselle), , Virgile Ancely (licteur),  Romain Champion (Lucain), Matthieu Chapuis (soldat, familier de Sénèque, capitaine de la garde)...


Les Paladins

Françoise Duffaud, Anaïs Flores (violons), Emmanuelle Guigues, Liam Fennelly (violes de gambe), Nicolas Crnjanski (violoncelle), Franck Ratajczyk (contrebasse), Nanja Breedijk (harpe), Rémi Cassaigne (théorbe et guitare), Philippe Grisvard (clavecin et orgue)

 

Direction musicale et clavecin Jérôme Corréas

Mise en scène Christophe Rauck 

 

Dramaturgie Leslie Six / Scénographie Aurélie Thomas / Lumière Olivier Oudiou / Costumes Marion Legrand, Coralie Sanvoisin / Collaboration Chorégraphique Claire Richard

 

Production Arcal et Les Paladins, en coproduction avec le TGP-CDN de Saint-Denis, Arcadi (Action régionale pour la création artistique et la diffusion en Île-de-France), l’Opéra de Rennes

 

9 janvier 2009, Théâtre Gérard Philippe (TGP), Saint-Denis

 

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Consoli e Tribuni : "A te sovrana augusta. / Con il consenso universal di Roma, / indiademiam la chioma."

C'est un pari. Celui de créer l'épisode 3 de la Trilogie opératique montéverdienne (aux nombreux opus hélas disparus) à Saint-Denis, loin des grandes institutions traditionnelles, des salles aux stucs dorés ou des festivals confidentiels, dans ce TGP plus habitué à d'autres arts et d'autres siècles que ceux de notre Muse. Mais à l'issue d'une soirée convaincante, l'on finit par oublier la distance qui sépare le Teatro SS. Giovanni e Paolo du carnaval vénitien de l'automne 1642 du siège de la Basilique des rois de France et de son stade adjacent.

Premier ingrédient de cette réussite, la présence de la fosse des Paladins, certes en effectif modeste, mais qui se révèlent toujours aussi à l'aise avec le langage musical encore structurellement très libre de cette première moitié du XVIIème siècle, comme on avait pu s'en apercevoir lors du Xerses de Cavalli de l'automne dernier. La direction de Jérôme Corréas, fluide et naturelle, est soucieuse de jouer sur les oppositions de style shakespeariennes entre scènes nobles (superbe monologue d'adieu d'Octavie) et séquences plus prosaïques (soldats râleurs, les Nourrices travesties de Jean-François Lombard qui cabotine à qui mieux mieux...). De même, l'orchestre, intimiste et discret, n'en est pas pour autant effacé, avec des ornements bien sentis de la part des violons, des violes suggestives, et la capacité de brosser en quelques ritournelles, souvent dansantes, un véritable climat psychologique qui "plante le décor" sonore avec à-propos. On regrettera toutefois l'absence - justifiable historiquement - de flûtes, de cornets, voire de dulcians, trompettes ou trombones qui auraient pu permettre de varier plus les coloris et d'insuffler plus de solennité à certaines scènes, comme la séquence finale du couronnement. Dans l'entretien qu'il nous a accordé par la suite, le chef explique en détail ses choix interprétatifs.

Le continuo s'avère très sensible, en particulier le théorbe ou la guitare de Rémi Cassaigne, la harpe de Nanja Breedijk et les clavecins de Philippe Grisvard ou Jérôme Corréas himself, soucieux d'appuyer le discours des chanteurs. Là-encore, Jérôme Corréas a fait le choix d'une épure complice, résistant à la tentation d'un continuo trop envahissant, laissant pleinement la vedette au jeu des acteurs/chanteurs avec une attention toute particulière portée à la déclamation et à la prosodie.

Néron et Poppée © Anne Nordmann

 

Justement, côté scène, a été assemblée une distribution très homogène, d'où émerge notamment le quatuor composé de l'Octavie impériale et racée de Françoise Masset, de la Poppée un peu enfantine de Valérie Gabail, du Sénèque vibrant de Vincent Pavesi, et enfin de l'Othon désespéré - mais plus brutal qu'à l'accoutumée - de Paulin Bündgen.

 

Françoise Masset campe une Octavie d'une fierté digne, à la projection puissante et aux inflexions mélodiques complexes. Très dramatique, entièrement impliquée dans le destin blessé de son personnage, l'épouse déchue, toute de noir vêtue, encore éprise de Néron semble t-il, lutte en vain pour sa survie. Même la scène de chantage d'Othon conduisant à la tentative d'assassinat de Poppée n'avilit pas le portrait d'une monarque souffrant en silence, et qui délivrera un monologue d'adieu superbement poignant.

 

Sa rivale sensuelle Valérie Gabail possède un timbre plus clair et léger, une vivacité rieuse et piquante parfois un peu verte dans les aigus qui s'avèrent charmants. Loin de la redoutable intrigante, Marquise de Merteuil antique attrapant l'Empereur dans ses filets, Christophe Rauck et la soprano ont opté pour une jeune fille séductrice mais plutôt innocente, soubrette d'une spontanéité et d'un optimisme sans faille. Il y a une passion réciproque entre cette Poppée et ce Néron qui n'est pas qu'un simple marchepied vers un trône qui transforme le personnage en une patricienne plus humaine et aux espoirs d'amour, gloire et beauté auxquels le public peut plus facilement s'identifier.

 

Le Sénèque de Vincent Pavesi, monolithique et puissant, habillé au départ à la manière d'un docte professeur viennois de début de siècle, marque les esprits par un timbre profond et une émission extrêmement stable, qui en fait une sorte de Commandeur mozartien. Face à une telle autorité vocale, force est d'avouer que le Néron de Maryseult Wieczorek, relativement neutre et au chant voilé, n'en mène pas large, ce qui fait que leurs disputes n'en sont guère, l'Empereur étant rapidement dominé par son maître à penser. Plus généralement, Néron se révèle dramatiquement trop plat, et la soprano ne parvient pas à hisser son personnage, soit au rang du tyran irascible et jaloux de son pouvoir, aveuglé par l'amour, soit d'immature adolescent soumis à ses pulsions qu'une Anne Sofie von Otter ou qu'un Flavio Olivier s'étaient amusés à dépeindre avec une sanglante gourmandise. Le procès d'Othon et le décret de répudiation d'Octavie, de même que la scène du Couronnement, manquent d'une certaine grandeur mégalomane, de brutalité, de folie. Et ce Néron finalement assez retenu, plutôt carré, est bien moins déraisonnable et haïssable que le livret pouvait le suggérer. On ajoutera au passage que le timbre peu androgyne comme le costume rendent difficilement crédible le travestissement masculin de Wieczorek, et qu'on aurait pu a minima attacher sa cascade de cheveux blonds.

 

La révélation de ce concert fut l'Othon de Paulin Bündgen, dont on admire dès son entrée le timbre stable, le chant tendre mais ferme, les aigus adoucis mais légers, les articulations habiles qui ne se démentiront pas tout au long de la représentation. Bündgen apporte en outre à son amant abandonné une touche d'obsession violente, qui le rehausse du rang de soupirant qui soupire à celui "d'ex un peu encombrant" voire potentiellement dangereux, comme dans la scène où il violerait pratiquement Poppée.

 

Enfin, on touchera un mot des deux nourrices travesties de Jean-François Lombard, toujours aussi amusant et vocalement juste dans ces rôles comiques qu'il interprète avec une jubilation communicative. Le reste du plateau est honnête, avec des voix souvent encore jeunes, qu'il s'agisse de la Drusilla légère et appliquée de Dorothée Lorthois, ou de la Demoiselle d'Hadhoum Tunc encore approximative.

 

Christophe Rauck a opté pour une mise en scène intemporelle, mêlant quelques éléments antiquisants (soldats romains), et des costumes des années 40. L'ensemble est épuré, les accessoires peu nombreux, au service du drame sans fioritures intempestives. Si l'on observe certaines facilités (gondole dorée, voilages, vespa rouge et cartes postales de Rome), on en retiendra surtout plusieurs tableaux remarquables et évocateurs, à savoir la mort de Sénèque où une baignoire aux griffes de lion prend le centre de l'attention alors que des livres et de grandes bougies se profilent au fond d'une scène sombre, l'enterrement de Sénèque avec des silhouettes recueillies en arrière-plan munies de parapluies alors que Néron et Lucain s'enivrent poétiquement de beauté poppéenne sur le devant de la scène, et enfin la séquence finale, en contre-jour strehlerien, avec cette vision ultime d'une mappemonde en flamme alors que les ombres chinoises de Néron et Poppée s'avancent de chaque côté d'un rideau qui se ferme lentement.

 

Et c'est cette dernière séquence où Rome, l'Empire et l'Univers se consument par l'incendie du cœur dans une lumière mordorée que nous emporterons dans la navette qui nous ramène vers la capitale, après des salves d'applaudissements triomphales et méritées d'un public conquis. 

 

 

Viet-Linh Nguyen

"Ce que j'aime dans la musique, c'est le théâtre" : Entretien avec Jérôme Corréas, directeur musical des Paladins autour du Couronnement de Poppée de Monteverdi

Site officiel du TGP : www.theatregerardphilipe.com

Site officiel des Paladins : www.lespaladins.com

Site officiel de l'ARCAL : www.arcal-lyrique.fr

 

 

 

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