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mise à jour 6 janvier 2014
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Chronique Festival
Carnet de La Folle Journée de Nantes 2010 “Quelle passion n'est soulevée ou apaisée par la Musique ?” Samedi 30 janvier 2010
Les rayons du soleil jouent avec les reflets des eaux du Canal Saint-Félix tout proche du grand cylindre du Grand Auditorium. L'esplanade est calme, quelques passants s'affairent vers les entrées sous-jacentes de cette Cité des Congrès festive dont les étendards flottent fièrement au vent du matin. Nous traversons les portes vitrées, des familles, des spectateurs pressés par le froid font déjà la queue devant les salles qui ne désemplissent pas. Assis sur les divans carmin et cosy du vestibule d'ardoise de l'Auditorium Fontana, certains patients font les figures de salonniers du temps de Chopin. Et nous continuons vers la Grande Halle, où sur scène se produisent les élèves du Conservatoire de la Région Pays-de-la-Loire, les blondes chevelures s'exécutent sous le sérieux regard de leur professeur. La salle de presse est une ruche, le japonais se mélange avec les considérations techniques et quelques conversations familières. Devant la salle Franchomme serpente déjà une queue redoutable. 450 personnes attendent que les portes s'ouvrent pour écouter des airs d'oratorios de Händel. Juste devant les portes de la salle, nous croisons les artistes, tous d'un noir de jais élégant et sobre, qui viennent de finir les répétitions. Ils bavardent détendus, instruments à la main. Un des violons du Collegium Cartusianum soudain donne un petit coup d'archet, une des membres du chœur arrange les plis de son châle. Peter Neumann, bavarde souriant avec quelques membres de son Kölner Kammerchor, puis Johanna Winkel, vision contrastée avec sa robe céruléenne, demande la direction des loges. Et bien oui, tandis que nos yeux parcouraient les quelques mésaventures juvéniles de Jean-François Marmontel, nous avons réalisé que les artistes étaient aussi humains que nous. Magique Folle Journée où les olympiens ambassadeurs de la musique évoluent dans notre monde profane. Les responsables de la salle Franchomme ouvrent les portes, le long serpent piaffant pénètre dans la salle au son vif de la déchirure des billets. Nous sommes placés tout devant, tout près du théorbiste, à proximité des trompettes et des timbales, ils s'installent déjà à l'heure où le zénith fait luire verticalement son épée d'argent sur la Loire toute proche.
Johanna Winkel - D.R. Georg-Frederic Haendel
Il Trionfo del Tempo e del Disinganno Sonata – Ouverture Nasce l'uomo Lascia la spina Voglio cangiar desio
L'Allegro, il Penseroso ed il Moderato Haste thee nymph There held in holy passion. As steels the morn
Samson Let the bright Seraphim
Jephta Hide thou thy hated beams Waft her angels Ye house of Gilead
Johanna Winkel – Soprano Virgil Hartinger – Ténor
Kölner Kammerchor Collegium Cartusianum Direction Peter Neumann Les premières notes de la Sonata du magnifique Trionfo del Tempo e del Disinganno sont délicatement et rigoureusement égrenées. Malgré quelques problèmes minimes de justesse du premier violon Ilia Korol, le concertino décrit la courbe haendélienne avec détermination et légèreté. Nous saluons ici une excellente tenue d'ensemble par Peter Neumann à la direction claire, précise, enthousiaste et inventive, nous n'oublions pas non plus le théorbiste Simon Martyn-Ellis au jeu délicat et consciencieux. Mais nous avons été charmés au plus haut point par la performance spectaculaire des chanteurs et des chœurs. Tout d'abord Virgil Hartinger, à la voix veloutée, brave et aux aigus fiers, raffinés et colorés. Dès "Nasce l'uomo", il montre une capacité d'illustration étonnante, un maintien de la ligne vocale dramatique et parfait, une interprétation poétique et résolue. Il continue de nous enthousiasmer dans "Haste thee nymph" ou ses vocalises sont communicatives de la jovialité de l'Allegro, ses da capi sont recherchés sans être pédants, il sait donner l'effet juste et le "virtuosisme" précis pour accompagner la ligne de chant. Nous célébrons aussi l'émotion et le dramatisme communicatif des airs de Jephta qu'il a interprété. Une voix à découvrir absolument, qui est une de rares de cette tessiture à respecter les partitions et ne pas céder aux coloratures déplacées du pavarottisme. Virgil Hartinger confirme ses talents aux cotés de la soprano Johanna Winkel dans l'élégiaque duo "As steels the morn" où les deux chanteurs se sont totalement surpassés et nous ont donné un instant rare d'émotion et de contemplation, la salle en fut hypnotisée et les applaudissements ne se firent pas attendre. Johanna Winkel, au joli timbre enclin à la douceur notamment dans l'aigu, mais aux coloratures justes et pyrotechniques, a commencé par le célèbre "Lascia la Spina", qu'elle a presque déclamé avec grâce et raffinement. Par ailleurs, son "Voglio cangiar desio", air de la Bellezza répentie, fut un grand moment d'émotion, de détachement, de contrition et d'apaisement. Mais c'est dans l'air de fin de Samson, "Let the bright Seraphim", qui est si souvent massacré par les grandes divas, que Johanna Winkel déploie la palette de ses coloratures dans la vocalise, son intelligence de la partition et la parfaite maitrise de cet air "casse-cou". Nous souhaitons vivement la réentendre encore dans un récital ou dans un futur enregistrement. En outre le Kölner Kammerchor, tantôt d'une étincelante présence dans les passages vifs et d'une profondeur dramatique pétrifiante, s'acère cohérent et fait montre de timbres beaux et puissants. Peter Neumann, son chœur et le Collegium Cartusianum méritent bien les salutations de la critique dans leur vision de Haendel, ils s'approchent de la grandeur, la finesse et la sensibilité que le grand Sassone recherchait dans ses partitions. C'est en sortant que nous avons assisté à l'émouvante accolade que Peter Neumann fit à ses chanteurs. Tous les interprètes - Peter Neumann et les solistes en tête - ont participé au triomphe définitif de la vérité dans la musique de Haendel, qui a vaincu le temps et nous a montré que jeunesse et beauté peuvent être aussi des bons choix pour atteindre l'éternité.
La Folle Journée se précipite. Juste en sortant de la salle Franchomme sur le hall face à l'énorme verrière qui domine la Loire, un second serpent de mer hérissé de centaines de têtes sommeille patiemment dans l'attente de l'huitième partie de l'Intégrale de l'Œuvre de piano de Frédéric Chopin. Pour cette fois, nous abandonnons notre hôte polonais et descendons l'escalator qui domine des danses populaires de l'ancienne Reszpospolita évoluant colorées et fleuries sur la scène de la Grande Halle. Juste à coté assis devant une table d'écolier se tient Patrick Barbier qui émarge ses ouvrages devant des dames en admiration sincère. À l'opposé se trouve le stand d'Arte et de France Musique avec un petit studio improvisé où l'on a pu entendre la voix de Frédéric Lodéon et plus loin on considère l'agitation bruyante de la délégation de l'Espace Culturel Leclerc qui, au piaillement des lasers enregistreurs célèbrent l'année Chopin. La salle de presse est vide et nous prenons le temps d'arranger les notes prises dans ce premier concert et étudier le programme du prochain, tout en lisant de temps à autre les Mémoires de Marmontel, le pauvre jeune homme de lettres se trouve en proie d'une coquette et l'on a pas de mal à imaginer quelque musique de Grétry accompagnant les scènes de ménage.
Au rez-de-chaussée, la petite salle Viardot tient ses portes fermées. Une large queue occupe le long couloir qui nous sépare de la salle Mickiewicz où Maude Gratton et Hans Jörg Mammel s'exécutent encore dans des lieds de Mendelssohn et de Liszt. Mais nous sommes nombreux à vouloir entendre le magnifique Ricercar Consort mené par Philippe Pierlot dans des airs d'opéra de Händel. Des collègues de Télérama, des artistes dont Pierre Hantaï attendent que les portes s'ouvrent et qu'une place soit libre. Enfin les portes s'ouvrent, nous pénétrons et contre le mur décoré des affiches des Folles Journées précédentes nous posons notre sac et attendons l´entrée des artistes.
Philippe Pierlot © Lou Herion Georg-Frederic Haendel
Faramondo : Combattuta da due venti Alcina : Ah, mio cor La Resurrezione : Sonata-Ouverture Theodora : With darkness deep as is my woe Giulio Cesare : Da tempesta Agrippina : Pensieri, voi mi tormentate The Messiah : Rejoice greatly Rinaldo : Lascia ch'io pianga
Maria Keohane – Soprano
Ricercar Consort Direction Philippe Pierlot
Salle Viardot, la bien nommée, en honneur à l'une des premières promotrices de la musique vocale baroque: Pauline Garcia-Viardot. C'est ici que nous avons été les bienheureux témoins d'un des grands moments de musique de la Folle Journée. Sans aucune exagération, un des concerts les plus parfaits dans la forme, le choix des airs et l'exécution. Tout d'abord apparait Maria Keohane au port jeune et souriant, portant un charmant gilet rouge encadrant une blouse blanche bouffante et une jupe écarlate, hommage sans doute à la Pologne de Chopin. La soprano suédoise nous a ravis, charmés, hypnotisés par son attaque vive et totalement investie dans le redoutable "Combattuta da due venti", air aux rythmes capricieux comme les vents que l'affetti veut illustrer. Le timbre est jeune mais empreint d'expression, de maitrise dans la ligne vocale, intelligence dans la vocalise, éloquence et créativité dans les da capi. Et nous avons étés portés sans relâche des vents furieux et sifflants de l'air de Faramondo, par les sombres et douloureuses lamentations d'Alcina, où Maria Keohane a campé une sorcière déchue au cœur brisé mais encore dangereuse dans le désespoir. Ensuite nous avons été conduits dans le cachot humide de Theodora, où le recueillement se mêlait à la résolution du martyre et la peur humaine de la mort. Puis, avec soulagement et quelque espièglerie séductrice, face à une Cléopâtre triomphante attendant les caresses de son auguste amant dans un "Da Tempesta" aux vocalises aériennes et dorées. Sans ternir sa fibre dramatique, Maria Keohane a incarné les sentiments corrompus et les angoisses avides de l'Agrippina dans "Pensieri, voi mi tormentate". Elle nous offre enfin un très beau "Rejoice greatly" aux couleurs brillantes et au souffle prophétique, pour achever son récital par un "Lascia ch'io pianga" tendre et fragile traduisant le caractère discret de la princesse Almirena. En définitive, Maria Keohane est une chanteuse d'opéra totalement accomplie, musicienne brillante et inventive qui transmet son enthousiasme et son art par la vie de ses interprétations, doublée d'un parfait jeu d'actrice. Malgré le caractère chopinien de la Folle Journée, avoir programmé une si magnifique voix dans une salle nommée Viardot fut un excellent hommage à la chanteuse romantique, si non è vero e ben torvato... Par ailleurs, le Ricercar Consort fit preuve encore une fois de l'étendue de son talent dans les partitions de Händel. Les couleurs sont claires et les parties sont finement délimitées. Philippe Pierlot donne, avec une direction précise et active, des couleurs insoupçonnées aux airs souvent entendus. Il fait paraître sur scène les éléments déchaînés, les décors absents et les sentiments les plus complexes. Pour un amoureux de la musique de Haendel, ce récital fut une célébration digne de son génie, admiré de Chopin et de bien de Romantiques par sa puissance et son raffinement. Philippe Pierlot, et ce n'est pas la première fois, semble investi par l'esprit musical des compositeurs qu'il joue, il a la compréhension des partitions qu'il dirige et l'esprit de cohésion, respect et de communication des grands chefs. Cela c'est vérifié à la fin du concert, car plusieurs spectateurs sifflotaient dans le couloir et dans la Halle les airs qu'ils venaient d'entendre. Magique Folle Journée qui invoque le génie espiègle de la Musique et rend les passionnés plus enivrés de leur passion, les curieux des passionnés et les néophytes des amateurs confirmés. C'est en respirant encore les enchantements des reines, enchanteresses et muses de Händel que nous nous sommes fondus dans le tourbillon de la Grande Halle.
Dans la salle de presse, les ordinateurs occupés par des chroniqueurs affairés bavardent avec le cliquetis des claviers frénétiques. À ce moment là nous sympathisions avec des journalistes de France 3 autour de l'orthographe du jovial Signor Bruschino de Rossini. Après un entretien très enrichissant avec Julien, étudiant en philosophie, Haendel nous appela dans l'Auditorium Fontana. L'Ode à Sainte Cécile nous réunirait encore avec Peter Neumann et son Collegium Cartusianum, l'œuvre préférée de Chopin mérite bien 1900 places.
Peter Neumann (détail) © Peter Neumann Georg-Frederic Haendel
Ode à Sainte Cécile
Johanna Winkel – Soprano Virgil Hartinger – Ténor
Kölner Kammerchor Collegium Cartusianum
Direction Peter Neumann Mini-oratorio métaphysique plus qu'une œuvre de circonstance, l'Ode à Sainte-Cécile nous conte les divers sentiments, passions, circonstances de la musique. Cécile et son orgue ne sont finalement évoqués qu'à la fin de l'Ode. La Musique est bien plus grande que tout martyre ou toute invention, le propos va même jusqu'au parjure “Et la Musique désharmonisera le ciel”, qui clôt l'oratorio. Et c'est avec cet état d'esprit dramatique que Peter Neumann et son Collegium Cartusianum abordent cette Ode assez rare au répertoire. L'ensemble en grande forme depuis le matin a corrigé les quelques manques de justesse et dès les premiers accords tient le propos jusqu'au chœur final. Le Collegium Cartusianum a un son puissant, solennel sans être lourd et festif sans être chaotique. L'équilibre de ses timbres est notable et il est idéal pour les oratorios de Händel, comme il l'a démontré dans cette Ode à Sainte Cécile, tant au disque (Gold DG) que dans la salle de concert. Par ailleurs, que dire de plus sur des interprètes aussi accomplis que Virgil Hartinger et Johanna Winkel, sinon que leur prestation à été extraordinaire ? Malgré quelques problèmes de projection, le couple de solistes ont rendu chaque air intelligible et intense. L'air “The trumpet's loud clangour” aux accents coercitifs a été fièrement exécuté par M. Hartinger qui n'a pas démenti notre opinion matinale. Nous l'avons remarqué aussi dans sa bravoure dramatique dans l'air “Sharp violins proclaim” aux couleurs sombres. Autrement, Johanna Winkel qui nous avait charmés dans ses incarnations des airs d'oratorios, nous a ému totalement dans l'air “What passion cannot Music raise and quell!”. Pour un passionné, cet air ne peut être écouté et lu sans avoir les larmes aux yeux, transcription claire du miracle musical et la source de notre passion. En outre, nous célébrons encore une fois la beauté des chœurs du Kölner Kammerchor qui nous ont illustré avec passion les cavalcades terribles des accords belliqueux, les harmoniques grâces de la musique divine et finalement dans le chœur “As from the pow'r of sacred lays” ont confirmé l'apothéose de la musique.
Epilogue C'est sous une avalanche d'applaudissements et après avoir assisté à l'interprétation magnifique de l'Ode à Sainte Cécile, œuvre qui exprime le pouvoir ineffable et supérieur de la Musique, que le chroniqueur mexicain prit congé de la Folle Journée. Il laissa derrière lui les pianistiques élégies de Chopin, la poésie des lointaines plaines de Pologne, l'évocation fruitée des soirées d'été de Nohant et le tourbillon parisien de la Nouvelle Athènes. L'année prochaine nous rêverons encore de revenir au sein de la famille de passionnés qui composent tous les ans le cœur de la Cité des Congrès qui bat follement toute la journée.
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