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mise à jour 6 janvier 2014
| Chronique Concert Mozart, Don Giovanni Choeur et orchestre de l'Opéra de Paris, dir. Philippe Jordan, mise en scène Michael Haneke
Finale de l'acte I © Opéra National de Paris /
E. Mahoudeau Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
Don Giovanni
Peter Mattei (Don Giovanni) Paata Burchuladze (Il Commendatore) Patricia Petibon (Donna Anna) Bernard Richter (Don Ottavio) Véronique Gens (Donna Elvira) David Bizic (Leporello) Nahuel Di Pierro (Masetto) Gaëlle Arquez (Zerlina)
Orchestre et Chœur de l'Opéra national de Paris
Direction musicale Philippe Jordan
Mise en scène : Michael Haneke Décors : Christoph Kanter Costumes : Annette Beaufaÿs Lumières : André Diot Chef de chœur : Alessandro Di Stefano
15 mars 2012, Opéra Bastille, Paris.
American Psycho Cette reprise de la mise en scène ravageuse et malsaine de 2006 du cinéaste autrichien Michael Haneke était attendue, tant pour le Don Giovanni de Peter Mattei que pour une transposition qui du fait des péripéties new-yorkaises d’un ex-directeur général a gagné en actualité. Et la soirée a rempli ses promesses sur ces deux tableaux, et sur eux-seuls, car le reste de la distribution, et la direction transparente de Philippe Jordan sont de ceux qui, sans être rédhibitoires, peinent à s’imposer face aux innombrables versions d’anthologie de cet opéra mythique. Un espace unique neutre, vide, désincarné, anonyme : hall d’aéroport ou cafétéria d’un building de bureau avec ses bouches d’aération et son ascenseur, d’une esthétique laide 70’s aux contours froids et bleutés, cette antithèse désertée de l’agora servira tour à tour de palais, de jardin, de cimetière. Aux antipodes de l’Espagne grandiose du Siècle d’Or, le décor de ce Don Giovanni dû à Christophe Kanter ancre le drame dans un quotidien usé, gommant de sa morne banalité tout glamour ou toute séduction sous les éclairages glauques d’André Diot. Subsiste alors une réalité à bout de souffle, à l’image de ce Don Giovanni en costume sombre en bretelles, vraisemblablement PDG du monde de la finance, dont le verni policé craque bien vite. Le livret de Da Ponte, re-orienté (les sous-titres ont été considérablement adaptés et modernisés "je te colle une balle dans la tête" hurle Don Giovanni à Leporello lorsqu’il invite la statue du Commandeur), fait du séducteur un psychopathe instable, suicidaire, troussant les femmes de ménage (Zerline), se jetant sur la fille à moitié consentante (Don Anna), ou la maîtresse (Don Elvira) de son patron (Le Commandeur) qu’il assassine avec un couteau qui traînait sur un petite table où le cadre en burn-out fera son plateau-repas final après s’être aspergé de vin. L’aspect religieux et comique de l’œuvre est délibérément gommé, ne subsiste plus que la marche nihiliste de Don Giovanni, sa froide méchanceté, sa course à l’abîme. Le "Viva la liberta !" voit ainsi DG invitant des banlieusards et l’équipe de nettoyage à une "fête" sinistre, n’hésitant pas à humilier une pauvre jeune fille en lui déchirant ses vêtements en public. Leporello n’est plus que l’adjoint zélé du monstre, tandis qu’une ambiguïté homosexuelle latente sous-tend leur relation. Et le finale terrible verra la révolte prolétarienne - avec les nettoyeurs dissimulés sous des masques de Mickey - aidée par le cadavre sanguinolent du Commandeur dans son fauteuil de bureau défénestrer le dangereux séducteur.
Ultime
confrontation avec le Commandeur
© Opéra National
de Paris Musicalement, le résultat est mitigé, et globalement décevant. Sur scène, l’incroyable Peter Mattei retrouve l'un de ses rôles fétiches, et porte l’opéra de bout en bout en damné moderne. La puissance de la projection, le timbre opulent et ferme permettent au baryton d’incarner avec talent un prédateur violent et arrogant, somnambule sur le fil du rasoir d’une brutalité crasse. A ses côtés le Leporello agile de David Bizic est honnête, mais insuffisamment caractérisé, double falot écrasé par la présence envahissante et boulimique de son maître. La Donna Anna de Patricia Petibon, fragile soubrette aux aigus tirés, paraît à contre-emploi dans le rôle d’une fiancée vengeresse. A l’inverse la Donna Elvira noble et fière de Véronique Gens, pudique et blessée, aux phrasés nuancés mais retenus s’avère émouvante, même si l’artiste semblait fatiguée ce soir-là, et que la projection est moyenne. Pour conclure le trio féminin, on notera le joli soprano flûté de Gaëlle Arquez, mutin et frais dans cet univers impitoyable. Le noble Don Ottavio de Bernard Richter, extraverti et très legato ne démord pas de ses travers véristes, comme dans l’Egisto, faisant de son personnage un être assez vain et au style inadéquat. A l'inverse du spectre social Nahuel Di Piero se révèle très décevant en Masetto : le timbre est agréable, la maîtrise du chant clairement en défaut (à l'instar d'un "Capito, signor, si" avec des départs décalés). Enfin, le Commandeur de Paata Burchuladze ne fait pas frémir d’effroi, et paraît plus bougon que sépulcral et l’on continue de se souvenir avec nostalgie de Raffaele Arié chez Furtwangler en 1953. Dans la fosse, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris se révèle hélas indigent : le support orchestral manque ainsi cruellement de couleurs, de nuances, de subtilité et de projection. Alors que la mise en scène appelle une illustration sonore féroce et cuivrée, d’une urgence échevelée et déstructurée (à la manière d’un Mitropoulos 1956 électrique voire d’un Jacobs décapant) Philippe Jordan se contente de laisser défiler la partition avec un équilibre convenu et des tempi peu contrastés, sans jamais parvenir à insuffler de la vie, de la chair et du sang au drame qui se noue. Même sans modernisme expérimental outrancier, les lectures de Fricsay, Davis ou Gardiner nous ont amplement prouvé qu'une vision classicisante traditionnelle pouvait ne pas être synonyme de platitude ou d'immobilisme. Les récitatifs secco patinent derrière l’ombrelle d’un piano. On frémit de ces finales embourgeoisés, qui ne laissent jamais poindre la frénésie d’un monde qui s’égare, sans compter une exactitude approximative. Quid des cacophonies des danses superposées de l’acte premier, de l’apocalypse du dîner ultime ? Les ensembles ne fusionnent guère, les cuivres sont anémiés, les bois acides, reste un noyau de cordes stable à défaut d’être imaginatif. Cette reprise, copieusement applaudie par le public, marque donc les esprits par la mise en scène controversée mais implacablement efficace de Michael Hanecke, réquisitoire contre la déshumanisation du travail, l’appétit de domination des puissants et leur sentiment d’impunité. A découvrir avec modération.
Don Giovanni de Mozart, direction musicale Philippe Jordan (15, 18, 21, 23, 25 mars, 3, 8, 12, 14 avril) ou Marius Stieghorst (16, 19, 21 avril), mise en scène Michael Haneke, Du 15 mars au 21 avril, Opéra Bastille.
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Affichage recommandé : 1280 x 800 Muse Baroque, le magazine de la musique baroque tous droits réservés, 2003-2014
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