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6 janvier 2014

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Chronique Concert

Cavalli, Egisto

Le Poème Harmonique, dir. Vincent Dumestre,

mise en scène Benjamin Lazar

Egisto (Marc Mauillon) © Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique

Pier Francesco Cavalli

 

Egisto 

Favola drammatica musicale en un prologue et 3 actes sur un livret de Giovanni Faustini

Créée au Teatro San Cassiano de Venise en 1643

  

Egisto, Marc Mauillon

Lidio, Anders Dahlin

Clori, Claire Lefilliâtre

Climene, Isabelle Druet

Hipparco, Cyril Auvity

Aurora, Amore, Ana Quintans

Didone, Voluptia, Luciana Mancini

La Notte, Dema, Serge Goubioud

Apollo, David Tricou

 

Le Poème Harmonique

 

 Direction musicale, Vincent Dumestre

Mise en scène, Benjamin Lazar

Décors, Adeline Caron

Costumes, Alain Blanchot

Lumières, Christophe Naillet

Maquillage et coiffures, Mathilde Benmoussa

 

Production : Opéra Comique

Coproduction : Opéra de Rouen-Haute Normandie, Les Théâtres de la ville de Luxembourg, Le Poème Harmonique

  

1er février 2012, Opéra Comique, Paris

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"Déployez fièrement vos ailes légères, / Belles petites brises"

Cet Egisto très attendu représente le dernier volet du triptyque entamé par Benjamin Lazar et Vincent Dumestre depuis le Bourgeois-gentilhomme et Cadmus et Hermione, et aborde le genre de l'opéra vénitien "Favola drammatica musicale" à travers une œuvre-phare de Cavalli qui connut un succès sans démenti depuis sa création en 1643, avec de nombreuses reprises à travers l'Italie (on restera désormais plus que prudent sur l'Egisto donné au Palais Royal en 1646 depuis les récentes découvertes de Barbara Nestola qui tendent à prouver qu'il s'agissait de Chi soffre speri de Virgilio Mazzocchi et Marco Marazzoli rebaptisé). C'est avec gourmandise que Benjamin Lazar s'empare du ce chassé-croisé amoureux riche en rebondissements et en interventions divines, pour en proposer une lecture théâtrale, nimbée de références picturales et architecturales, éminemment moderne et poétique.

 

 

© Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique

 

 

Alors que le livret fait appel à des forêts, des paysages "en partie maritime", le "Bois des Myrtes d'Erebo" ou encore "une cour du palais d'Hipparco", Benjamin Lazar a opté pour l'unité de lieu grâce à une complexe architecture ruinée, dont la rotondité, les arches et l'appareillage de briques ne sont pas sans rappeler le Théâtre d'Eau de la Villa d'Hadrien. C'est sur cet espace circulaire, à deux étages, à moitié envahi par la végétation et qui tourne sur lui même de manière à varier les ambiances ou à accompagner la progression psychologique des personnages, que se meuvent les protagonistes. Le soin apporté à ce décor solitaire et sombre du à Adeline Caron, permet à cet espace unique d'être protéiforme et mystérieux, les 3 escaliers, et les 2 plates-formes n'étant parfois pas éloignés des gravures de Piranèse ou des utopies d'Escher. C'est donc ce labyrinthe décadent et asymétrique qui va permettre la diversité des niveaux grâce au jeu en duplex : les Dieux sur l'étage supérieur, les humains ou les Enfers en dessous, ou rendre crédible les changements fréquents de scène. On louera tout particulièrement la rotation du décor à l'acte 3 pendant la scène de folie d'Egisto, reflet de ses sens altérés. L'esthétique classicisante du décor - que n'aurait pas dédaigné un Hubert Robert - "habille" la modernité du concept, et les habitués des scènes d'Outre-Rhin ou du Théâtre de la Ville se souviendront sans nul doute de multiples mises en scène exploitant ces doubles étages.

 

Les costumes d'Alain Blanchot contribuent à un climat de clair-obscur magnifié par l'éclairage à la bougie de Christophe Naillet, qui brouille les contours dans un halo mordoré. En effet, les pourpoints et manches à crevés, de même que la tenue de bergère, semblent sortis d'un Seicento archaïsant, rappellent inconsciemment au spectateur les scènes puissantes du Caravage ou Artemisia Gentileschi ou les doux portraits de Raphaël. La gestuelle et les déplacements mêlent adroitement les codes baroques (personnages de face par exemple) et un certain naturel, au résultat moins hiératique et apprêté que dans la tragédie-lyrique.

 

 

© Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique

 

 

Pour cette partition incroyablement mouvante, où les récitatifs, ariettes, airs, canzonettes se lient et se délient avec spontanéité, alors que les amours des hommes sont le jouet des divinités, Le Poème Harmonique a misé sur des effectifs modestes mais colorés, remisant les cuivres ou cornets pour l'humilité d'un petit théâtre vénitien, quoique l'abondance sensuelle des cordes pincées (harpe, archiluth, théorbes, guitare, colascione) rendant le continuo extrêmement ductile, ou quelques ajouts de flûtes langoureuses confèrent indiscutablement à l'orchestre un rôle non négligeable, variant les textures et les ambiances avec souplesse, taillant un accompagnement sur mesure chacun des artistes. De même, l'équipe vocale, très homogène et soudée, souffre certes de quelques soucis de prononciation italienne, mais affiche un investissement théâtral sans faille, doublé d'une sensibilité au recitar cantando tout à fait remarquable. On distinguera tout d'abord l'Egisto de Marc Mauillon, à la forte projection (explosant dans la scène de folie), au timbre grainé et chaleureux, tentant de reconquérir le cœur de la belle Clori mutine de Claire Lefilliâtre aux aigus lunaires, et aux ornements fins et virtuoses, traduisant la coquetterie du personnage versatile. Son rival Lidio échoit à Anders Dahlin (au costume bien proche de celui d'Egisto, ce qui n'est pas au départ sans conduire à une certaine confusion chez le spectateur), au chant noble et droit, un brin plus froid que celui de Marc Mauillon. Enfin, on notera la charmante Climene d'Isabelle Druet, très "française" dans ses choix interprétatifs, tandis que l'Apollon de David Tricou accusait une certaine méforme ce soir-là, avec une faible projection et des graves aplatis.

 

 

© Pierre Grosbois pour l'Opéra Comique

 


Comme vous l'avez compris, cet Egisto s'avère une incontestable réussite, de par l'intelligence de la mise en scène et son sens dramatique qui permet de saisir les multiples péripéties avec aisance et détachement, la beauté des tableaux rehaussée par celle de l'expressivité du chant. Pour faire la fine bouche, on  regrettera simplement que la facette comique ne soit pas plus exploitée (mise à part la Dema travestie de Serge Goubioud surjouant avec jubilation une nourrice nymphomane proche de celle de Poppée), et une relative sobriété très épurée dans la mise en scène, qui nous interdit le bonheur des changements de perspectives à vue avec les châssis successifs qui s'escamotent ou se reconstituent, et les machineries merveilleuses, si consubstantielles de l'art théâtral baroque. M'enfin, on ne saurait résister à la "modernité" en pourpoint Renaissance illuminée à la lueur flageolante des bougies de cet Egisto bouillonnant qui lors de cette première a séduit le public par son intégrité et son apparente spontanéité qui s'épanche paradoxalement dans un cadre volontairement très strict. Et l'on attend avec impatience la suite de la collaboration Lazar / Dumestre, en priant les Dieux pour un seria bien caréné, un Ottone handélien par exemple...

Viet-Linh Nguyen

Site officiel de l'Opéra Comique : www.opera-comique.com

20H / mercredi 1er, vendredi 3, lundi 6, mercredi 8, jeudi 9 février 2012 
15H / dimanche 5 février 2012

Site officiel du Poème Harmonique : www.lepoemeharmonique.fr

 

 

Affichage recommandé : 1280 x 800

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