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mise à jour 20 avril 2014
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Chronique Festival Cycle Johann Sebastian Bach - Les tempéraments Cité de la Musique du 8 au 21 Mars 2014 (1)
Clavecin, Andreas II Ruckers, Anvers, 1646, Il fallait être un peu fou – et boulimique – pour rassembler un aréopage d’artistes de tous horizons pour ce marathon Bach qui de concert en concert, pendant un peu moins de 3 semaines, écumera les BWV, sous des magnifiques claviers d’époque (en majorité), du majestueux Ruckers ravalé, à l’iconoclaste clavicytherium ou au troublant Lautenwerk. Alors certes, on émettra des regrets : regrets que les pièces pour clavecin de compositeurs étrangers transcrites et adaptées par Bach ne soient pas de la partie alors même qu’une œuvre désormais re-attribuée à Pasquini y figure. Regrets aussi que la noble assemblée des Rousset, Alessandrini, Koopman, Hantaï, Van Asperen n’ait pas pu être rejointe par Blandine Verlet ou Noëlle Spieth. Regrets éternels enfin que le Grand Leonhardt, dont l’ombre planait sur ce bel hommage, ait disparu de cette scène si habituée à sa magnétique et douce présence. Mais laissons d'abord la parole à Olivier Baumont, qui de sa prose d'une nonchalance pédagogique souriante et passionnée, saura mieux que quiconque présenter cette périlleuse entreprise. [M.B.] CYCLE JOHANN SEBASTIEN BACH - LES TEMPÉRAMENTS, du 08/03/2014 au 21/03/2014 à la Cité de la Musique. Enregistrements disponibles sur Culturebox et Cité de la Musique TV pendant 12 mois. L’intégrale de l’œuvre pour clavecin de Johann Sebastian Bach (1685-1750) S’il est une œuvre pour clavier dans l’histoire de la musique dont tout le monde peut citer de mémoire quelques courts extraits (sans savoir forcément à quoi ils se rattachent), c’est bien celle de Johann Sebastian Bach. N’est-ce pas parce que, pour beaucoup d’entre nous, cette œuvre se rapporte à ces heures de nos enfances où nous étudiions tel menuet, telle invention ou tel prélude et fugue après le goûter et les devoirs du soir ? Depuis longtemps déjà, j’avais ce rêve : donner l’intégrale de l’œuvre pour clavecin de Bach en une vingtaine de concerts et autant de clavecinistes jouant sur des instruments historiques. Ce rêve est aujourd’hui devenu réalité grâce à la Cité de la musique et au Musée de la musique à Paris. Cette intégrale s’insère dans la thématique « Nature et artifices » de la Cité de la musique pour la saison 2013/2014. Ces concerts permettent de faire apprécier au public l’art ou plutôt les arts d’accorder – de tempérer – un instrument à clavier. La répartition inégale ou égale des douze sons de la gamme musicale a toujours fait l’objet de maintes discussions, peut-être parce que l’accord d’un instrument à clavier est comme le miroir, certes infime mais ô combien réfléchissant, d’une aspiration plus générale à une sorte d’harmonie du monde. Il faut se réjouir de ces échanges passionnés qui ne manqueront pas de survenir lors du colloque qui accompagne les concerts. Dans notre société d’aujourd’hui, il est des débats moins heureux… Ce grand « concert » – pris figurément comme « l’accord de plusieurs personnes en l’exécution de quelque dessein » (Dictionnaire d’Antoine Furetière, 1690) – est donné par des solistes de générations différentes, venus de pays variés et jouant plusieurs splendides clavecins anciens ou de facture récente. Son dessein est d’enrichir par son exhaustivité même la perception de ce répertoire à nul autre pareil, et qui ne laisse d’être interrogé. Comme pour d’autres auteurs, la liste complète des œuvres pour clavecin de Bach est toujours sujette à discussion et à controverse. L’attribution à Bach de certaines pièces (notamment celles de sa jeunesse) peut être confirmée puis infirmée, ou l’inverse, au fur et à mesure des avancées musicologiques. J’ai décidé de m’en tenir à la liste établie dans l’article sur Johann Sebastian Bach publié dans The New Grove Dictionary of Music & Musicians (Londres, Macmillan, 2001, t. I, p. 370-373). Depuis sa parution, cette liste a reçu une approbation internationale. Pour cette intégrale, les transcriptions faites par Bach de certaines de ses œuvres pour violon (BWV 964 d’après BWV 1003 et BWV 968 d’après BWV 1005) ainsi que toutes ses fugues écrites sur des sujets d’Albinoni, de Corelli, de Reinken et de Torelli sont jouées dans les différents concerts. En revanche, les sonates de Reinken, les concerti de Vivaldi, de Benedetto et d’Alessandro Marcello, de Torelli, de Telemann et du duc Johann Ernest de Saxe Weimar, qui furent transcrits par Bach, ont été omis. Dès lors, comment établir les programmes des concerts et répartir les musiques ? Dans cet immense corpus, il est possible de distinguer plusieurs groupes : les œuvres composées en référence aux deux grandes nations musicales de l’époque (l’Italie et la France), les œuvres à but pédagogique, et les œuvres contrapuntiques. Plusieurs d’entre elles, bien sûr, peuvent appartenir à plusieurs de ces groupes en même temps. Les ensembles constitués par Bach (les volumes de la Clavier-Übung, les Suites françaises, les Suites anglaises, les Inventions & Symphonies, les deux volumes de Das wohltemperierte Klavier, etc.) sont présentés tels quels, en un, deux ou même trois concerts. Les œuvres « isolées » sont regroupées par genre stylistique, formel, ou autre (les pièces « à l’italienne », « à la française » ; les fantaisies, les toccatas ; les pièces pour le Lautenwerk, etc.). La série de concerts commence par les oeuvres publiées et contrôlées par Bach lui-même (les volumes de la Clavier-Übung). Elle termine par sa dernière œuvre Die Kunst der Fuge ; ce concert final est l’occasion d’honorer la mémoire du grand claveciniste Gustav Leonhardt, récemment disparu. Ainsi donc, tout Bach et rien que Bach ! Pour cette œuvre unique, enfouie en partie dans notre mémoire collective comme je le disais au début, j’aime à me souvenir d’une phrase de Marguerite Yourcenar à propos de poèmes grecs de l’Antiquité. Dans La Couronne et la Lyre, elle écrivit que ces œuvres venues d’un lointain passé étaient « enrichies, comme d’une précieuse patine, de l’émotion et du respect avec lesquelles elles ont été redites au cours des siècles suivants ». Y a-t-il plus belle définition de la destinée des pièces pour clavecin de Bach depuis leur création jusqu’à nos jours ?
Beatrice Martin © Galatea Music
Suite Anglaise n°1 en la majeur BWV 806 Suite Anglaise n°2 en la mineur BWV 807 Suite Anglaise n°3 en sol mineur BWV 808
Béatrice Martin, clavecin Ruckers/Taskin 1646/1780 (collection Musée de la Musique)
Jeudi 13 mars 2014, Amphithéâtre de la Cité de la Musique, 19h Vernis Martin Nous voici devant le magnifique Ruckers ravalé par Taskin, avec ses piétements à la droiture cannelée si Louis XVI, contrastant avec les aimables rinceaux sur fonds dorés qui ornent la caisse et au milieu de la luxuriance desquels se nichent quelques aimables angelots. Nous renvoyons les Klavieromanes à la page du site officiel du Musée de la Cité de la Musique, en vue de disposer du détail éclairant mais fastidieux de ses jeux pour nous concentrer sur les 3 premières suites anglaises que Béatrice Martin a interprété avec un majestueux brio. Mais avant que de disséquer les mouvements, rappelons aux étourdis que pour discrète qu’elle soit (malgré un récent enregistrement avec Les Folies Françoises chez Cyprès), la claveciniste n’en est pas moins célèbre de par son association fréquente avec les Arts Flo (et son rôle d’assistante musicale sur de nombreux projets), Les Talens Lyriques, ou encore Le Concert Spirituel ou Il Seminario Musicale. Pourtant, avouons-le, la Première Suite a d’abord déçu par une sorte de froideur appliquée, des registrations malheureuses (doubles de la Courante II), jusqu’à ce que l’inspiration n’éclose dans une Sarabande à l’amère virtuosité, avant de pétillantes Bourrées. Et une fois le geste musical lancé, on goûte sans réserve une vision nacrée, fluide et lumineuse, très mélodique, aux trilles glissants, aux thèmes discrets mais solides, d’un noble raffinement. A compter de la Suite n°2, Béatrice Martin déploie un Prélude orchestral et ample, même si la main gauche demeure légère et que l’équilibre manque de graves. L’Allemande est splendide, concentrée et douloureuse, la Sarabande suggestive, les Bourrées fracassantes. Du grand art. Le coup – ou le moment - de grâce vient avec la 3ème Suite : Prélude, une cascade puissante et très articulée, presque gouldienne, très visuelle et colorée. Allemande, mélancolique et caressante. Voilà, Forkel peut toujours prétendre « que le compositeur les écrivit pour un Anglais de qualité », ce soir-là c’est de ce côté-ci de la Manche que ces pièces ont résonné avec un optimisme élégant et une vivacité altière.
Olivier Baumont © Frédéric Guy
Suite ‘aufs Lautenwerck’ en mi mineur, BWV 996 Suite en la majeur, BWV 832 Prélude, Fugue & Allegro en mi bémol majeur, BWV 998 Suite en fa mineur, BWV 823 Präludium & Partita del Tuono Terzo en fa majeur, BWV 833 Praelude en do mineur, BWV 999 Partita en do mineur BWV 997
Olivier Baumont, clavecin Ruckers/ Taskin 1646/1780 (collection Musée de la musique), Lautenwerk de Willard Martin (collection particulière)
Jeudi 13 mars 2014, Amphithéâtre de la Cité de la Musique, 21h Un clavecin qui en pinçait pour le luth On ne s’attardera pas tant que ça sur le fameux Lautenwerk, à propos duquel les lecteurs trouveront un peu plus de matière dans la critique du disque paru pratiquement au même moment, et ces quelques lignes auront plutôt le mérite de rendre compte de ce concert double, puisqu’Olivier Baumont a choisi à la fois d’interpréter des pièces pour clavecin-luth ou luth sur une reconstruction de William Martin (1991) utilisée également pour le CD tout juste paru chez Loreley, et des suites sur un "bon vieux clavecin traditionnel" sur le même Ruckers que Béatrice Martin précédemment. Il faut avouer, par rapport au disque, que la sonorité de ce clavecin-luth paraissait moins équilibrée, ressemblant à une sorte de théorbe rebondi manquant de grâce, malgré la présentation enthousiaste et pédagogique de l’artiste. L’Allemande de la Suite BWV 996 s’avère toutefois d’une souple solitude, altière et désabusée, par le toucher d’Olivier Baumont, orfèvre-ciseleur, mais la Sarabande cursive, peu scandée, en devient presque badine, impression que le timbre résonnant et brouillon du Lautenwerk accroît. La Suite en do mineur qui conclut le concert permet toutefois à cet instrument étrange d’obtenir sa cour d’appel, et la clarté introspective entêtante du prélude de la Suite pour luth BWV 997, la Sarabande intense et un peu voilée, la fière Gigue puis le Double papillonnant réhabilitent un instrument rare et qui, avec les progrès des facteurs, pourrait pleinement retrouver aux côtés des clavicordes, virginal et claviorganum retrouver le chemin de la lumière. Il faut bien évidemment mentionner aussi les autres pièces, desquelles on distinguera une Suite en la majeur précise et équilibré mais un peu trop quelconque (car pièce de jeunesse), le Prélude et Partia BWV 833 désormais attribué à Pasquani tout aussi oubliable, et surtout un très beau triptyque BWV 998 doté d’une Fugue où Olivier Baumont excelle à souligner les lignes avec une ductilité résolue et des contrastes nets.
Blandine Rannou © A Yanez Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Suite française n° 1 en ré mineur BWV 812 Suite française n° 2 en ut mineur BWV 813 Suite française n° 3 en si mineur BWV 814
Blandine Rannou, clavecin Ruckers/ Taskin 1646/1780 (collection Musée de la musique)
Dimanche 16 mars, Amphithéâtre de la Cité de la Musique, 14h. A charmer les lions Blandine Rannou. Nous ne cachons pas ici notre admiration pour la claveciniste, pour son éloge de la lenteur, son spleen équilibré et doux-amer, cette manière si unique qu'elle a de laisser sonner puis mourir les notes, en leur conférant profondeur et conviction. Ce clavecin très raisonné, et cependant si immédiat, à la désarmante franchise, terriblement personnel. Et naturellement, nous attendions sur ce beau Ruckers / Taskin de voir si cette après-midi là encore, alors que les familles et curieux peuplaient plutôt les pelouses ensoleillés de La Villette, dans l'ombre de l'Amphithéatre, le discours de l'artiste allait une fois encore nous faire réfléchir et voyager le temps des méandres des 3 premières Suites françaises. Nous ne fûmes pas déçus. Dès l'Allemande de la Suite n°1, On admire le son ample, coloré, orchestral de ce Ruckers / Taskin pourtant entendu précédemment et qui s'anime de tons nouveaux. Le jeu est articulé, tragiquement articulé, d'une clarté mesurée et profonde. La Courante étale sa fluidité évidente et lumineuse, la générosité du geste que la Sarabande poignante et sombre, d'une lenteur puissante vient contredire comme une Messagère de l'Orfeo. Et puis, sans entrer mouvement par mouvement dans un catalogue aussi élogieux que subjectif, nous citerons quelques perles, comme cette Allemande de la 2nde Suite d'une tendresse pudique, soupirs aquarellés à la mélancolie hantée que la Courante printanière ne dissipe pas. Et puis il y a la 3ème Suite, car nous avouons avoir toujours eu moins d'affinité pour la seconde. Etrangement, alors que Blandine Rannou avait évoqué lors de son enregistrement (ZZT) vouloir "faire danser" ces Suites, c'est plutôt son talent de conteur, de portraitiste, de miniaturiste qui nous déduit. Et pour ces Suites sans préludes, où l'auditeur se retrouve prestement lâché dans d'ambitieuses Allemandes, il faut l'art de la persuasion afin que les pièces ne retrouvent pas leur finalité pédagogique. C'est le cas de la 3ème Suite, avec cette Allemande initiale au discret scintillement, cette Courante enlevée au son si plein, d'une densité et d'une complexité redoutables. C'est l'art des "petits riens" d'un Menuet à la fois naturel, rythmé et équilibré, avant une Gigue grouillante et généreuse. Et alors que l'auditoire conquis laisse exploser sa joie, tandis que la claveciniste épuisée se refuse au bis, l'on regrette que Blandine ne revienne pas sur scène pour entamer les 3 dernières Suites. Suite de nos chroniques de cette intégrale
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