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mise à jour 6 janvier 2014
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« Ayant l’honneur d’estre premier violon du Roy, je me trouve le plus malheureux de sa musique » : la destinée tragique de Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770) par Thomas Vernet, musicologue, directeur du Département de Musique ancienne du CRR de Paris
Jean-Marc Nattier, Madame Adélaïde de France en habit de cour, tenant un livre de musique, huile sur toile, 1758, 2,310 m x 1, 460 m © RMN / Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon Les sources manquent mais les efforts de Guillemain pour s’attirer les faveurs des membres de la famille royale furent semblent-ils assez vains. Aucune de ses partitions ne leur est adressée, au contraire de celles de Guignon [1] ou de son partenaire de jeu au Concert de la Reine, B. Caix d’Hervelois [2]. Mais si l’entourage familial de Louis XV n’accorda pas à Guillemain les soutiens espérés, Mme de Pompadour et son cercle d’amis lui accorda en revanche le meilleur accueil. En 1746, Louis-César de La Baume Le Blanc, duc de La Vallière (1708-1780), s’était vu confié par la marquise la tâche de réunir autour d’elle une troupe de comédiens, ainsi qu’un petit orchestre dans le but de former le théâtre des Petits Cabinets. Nul doute que ce grand seigneur éclairé, bibliophile passionné autant que mélomane, sut reconnaitre les talents de Guillemain et tint à l’attacher à la compagnie de la favorite laquelle mêlait « artistes de qualités » et professionnels [3]. C’est ainsi que durant la saison 1747-1748, le virtuose partagea le pupitre de second dessus de violon avec M. de Courtaumer, porte-manteau du roi, MM. Fauchet et Belleville, puis fut rejoint l’année suivante par ses collègues Marchand et Caraffe l’aîné [4]. Parmi les habitués des spectacles des Petits Cabinets et zélateurs de Guillemain figuraient notamment le marquis de Sourches et le duc d’Ayen déjà mentionnés, ainsi que Marie-Louis Caillebot, marquis de La Salle (1716-1796), mélomane et violoniste de talent. Celui-ci réunit une belle collection de musique d’environ 460 volumes et portefeuilles de parties séparées, heureusement conservée après sa confiscation au moment de la Révolution [5]. L’inventaire de l’état originel de cette bibliothèque musicale que nous avons retrouvé aux Archives nationales signale la présence de « Sonates de Guillemain [6]», tandis que trois volumes aux armes du marquis (Œuvres IV, V et XVII) – annotés par lui-même peut-être au moment où il recevait l’enseignement du compositeur – figurent aujourd’hui dans le fonds du Conservatoire au département de la musique de la Bibliothèque nationale de France [7]. Fort de tels soutiens, Guillemain fut rapidement associé à la réalisation d’un spectacle pour le théâtre de Mme de Pompadour, pour lui une opportunité de s’essayer au répertoire scénique et chorégraphique. Ainsi, le 12 décembre 1748, soit quelques mois après la publication de son Deuxième Livre de symphonies en trio dans le goût italien (Œuvre XIV) dédié à Louis-Auguste de Bourbon, comte d’Eu (1700-1755) [8], on représenta sur le théâtre des Petits Cabinets, à la suite de La Mère coquette de Quinault, un ballet-pantomime intitulé L’Opérateur Chinois, dont Guillemain avait composé la musique. François-Augustin Paradis de Moncrif (1660-1771), par ailleurs sous-directeur de l’aimable compagnie était l’auteur des paroles tandis que le maître de ballet de la Comédie-Italienne, Jean-Baptiste Dehesse (1705-1779) en avait réglé la chorégraphie ; le duc de Luynes ajoute que François-César Le Tellier, marquis de Courtanvaux (1718-1781) « a[vait] beaucoup contribué à la composition de cette pièce [9]». Cette parade qui avait pour décor « une espèce de foire chinoise », plut autant pour la beauté des costumes, jugées « très-agréables », que pour ses « danses vives et fort diversifiées [10]». On l’apprécia tellement qu’elle fut redonnée sur le même théâtre le 16 janvier 1749, soit cinq jours après avoir accompagné à la Comédie-Italienne, la création de La Cabale, comédie en prose et en un acte de Germain-François Poullain de Saint-Foix (1698-1776) [11]. A en croire le Mercure de France, la partition de Guillemain contribua grandement au succès de la représentation : « […] à l’article de la Comédie Italienne, la pantomime de l’Opérateur chinois, que le Sr. de Hesse a ajouté à la pièce qui a pour titre, la Cabale ; on a oublié d’y joindre le nom de l’auteur de la musique de ce divertissement. Elle a eu un applaudissement trop général, pour laisser ignorer qu’elle est de la composition de M. Guillemain, Ordinaire de la Musique de S. M., fort connu par ses talents pour le violon, et pour les quatorze Œuvres de musique instrumentale qu’il a données au public [12] ». Cette heureuse incursion au théâtre demeura pourtant sans lendemain puisque Guillemain, sans que l’on n’en connaisse les raisons, ne cessa plus désormais de se consacrer au seul répertoire instrumental. Si bien qu’en 1751, c’est un livre de Divertissements de Symphonies en trio – son œuvre XV – qu’il se permit d’adresser à Mme de Pompadour : Madame, La protection dont vous honorés les talens semble me permettre la liberté que je prend [sic] de vous présenter cet ouvrage ; il vous doit le jour, et il a eu le bonheur de vous amuser quelquesfois ; daignez donc le recevoir, Madame, avec la même bonté que vous l’avez fait naître ; trop heureux si ce foible homage de la reconnoissance la plus soumise peut égaler le profond respect avec lequel je suis, Madame, Votre très humble et très obéissant serviteur [13]. Cette dédicace situe bien la genèse de ces suites instrumentales et le rôle que la marquise joua dans leur création. Leur faveur dépassa rapidement le cercle intime de la dédicataire puisqu’elles furent semble-t-il reprises plusieurs fois au Concert Spirituel, et toujours avec le même succès, avant leur parution annoncée dans le Mercure en mars 1751 : « Le Sieur Guillemain […] dont les talents pour le violon sont si connus du Public, ainsi que les ouvrages de sa composition, vient de faire graver son quinzième Œuvre, composé de deux Divertissemens de symphonies. Cet ouvrage dont une partie a eu le bonheur d’être entendue avec succès au Concert Spirituel, a été réduit en Trio, pour la commodité du Public [14]». La première audition d’une œuvre de Guillemain sur la scène de la Salle des Suisses, au palais des Tuileries, remontait à 1743 ; le 2 février, le violoniste Etienne Mangean ( ?- ?) [15], avait interprété un des concertos peut-être tiré l’Œuvre VII [16]. Entre cette date et celle du 18 avril 1762, on ne relève, sur la base des programmes reconstitués par Constant Pierre, que dix-huit mentions d’œuvres de Guillemain jouées au Concert Spirituel [17]. L’année 1751 se démarque néanmoins puisqu’on joua une de ses « Grande Symphonie » – peut-être issue de son Œuvre XV ? – à cinq reprises entre le 30 mars et le 16 avril [18]. On peut d’ailleurs situer le sommet de la carrière de Guillemain dans les premières années de la décennie 1750 [19] ; musicien apprécié à la Cour autant qu’à la Ville, il se vit accorder par le roi une pension de 500 livres, au titre d’un brevet daté du 14 juin [20]. Toutefois dès l’année suivante, on ne rencontre plus son nom qu’à trois reprises dans les recensions du Mercure concernant le Concert Spirituel, puis qu’une seule fois à partir de 1753 – avec une absence totale entre 1758 et 1761. Ce retrait de la scène des Tuileries est concomitant de l’arrêt de ses publications après l’Amusement pour le violon seul, composé de plusieurs airs variés de différents auteurs, dédié à Louis-Dominique Bontemps (1738-1766), premier valets de chambre du roi comme ses aïeuls depuis Louis XIII, suivis des douze Caprices extrêmement virtuoses qui forment son Œuvre XVIII, publiée au début de l’année 1762 [21]. Choron et Fayolle attribuent ce repli à sa « grande timidité [22]». La Laurencie avance quant à lui, un penchant à la neurasthénie et un refuge dans l’alcool, en se basant sur les détails contenus dans un dossier - aujourd’hui conservé aux Archives départementales des Yvelines - de vingt-huit pièces, qui éclairent d’une lumière sombre la vie quotidienne de Guillemain [23].
[1] Guignon avait notamment dédié au Dauphin son Œuvre IX en 1736 qui consistait en de Nouvelles variations de divers airs et les Folies d’Espagne. [2] B. Caix d’Hervelois dédia à Madame Sophie ses VI Sonate pour deux pardessus de viole à cinq cordes, violons et basses de viole, Œuvre I, en 1751. [3] A ce sujet, voir Julien (Alphonse), Histoire du théâtre de Mme de Pompadour dit théâtre des Petits Cabinets, Paris, J. Baur, 1874 ; Beaussant (Philippe), Les Plaisirs de Versailles, op. cit., p. 165-191 ; Lever (Evelyne), Mme de Pompadour, Paris, Perrin, 2000, p. 106-119. [4] Voir Julien (Alphonse), La Comédie à la Cour, Paris, Firmin-Didot, 1883, p. 244 ; le duc de Luynes rapporte également qu’en avril 1748, Guillemain joua, en compagnie de Mondonville, des « petits airs doublés, triplés et brodés » de sa composition « qui sont d’une exécution très difficile » ; voir Mémoires, op. cit., t. IX, p. 9. [5] Les biens du marquis qui avait émigré furent saisis en ventôse an II (mars 1793), dans son hôtel du n° 83 de la rue de Grenelle. Ses meubles furent vendus le 14 germinal an II (3 avril 1794) et l’hôtel lui-même mis en loterie. Les instruments de musique furent transférés au dépôt de musique de la rue Bergère, mais la collection de livres de musique séjourna d’abord dans les fonds de la bibliothèque du Prytanée français puis de la Sorbonne avant de n’être intégrée à ceux de l’Opéra et du Conservatoire qu’en 1873. Sur cette collection voir, Sirot (Patricia), Un amateur de musique au XVIIIe siècle, Marie-Louis Caillebot, marquis de La Salle, à propos d’un catalogue, Mémoire présenté pour l’obtention du diplôme de Musicologie sous la direction de Marcelle Benoit, 1978, 2 vol., t. I. p. 10 et sq ; Massip (Catherine), « Cartographie des collections », Musiques et musiciens au faubourg Saint-Germain, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris ; Société d’histoire et d’archéologie du VIIe arrondissement, dir. Jean Gallois, Paris, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris, 1996, p. 44-45 ; ainsi que Gétreau (Florence) et Vernet (Thomas), « La Commission temporaire des Arts, section musique (1793-1795) : les fondements d’un patrimoine musical pour la Nation », La notion d’héritage dans l’histoire de la musique, dir. Cécile Davy-Rigaud, article à paraître en version électronique sur le site de l’IRPMF, http://www.irpmf.cnrs.fr. [6] Arch. nat. F17/1164 - Description des livres de musique trouvés dans la maison de La Salle Emigré, en présence du Citoyen Germain Carré, commissaire du 10e arrondissement le 23 floréal l’an IV [12 mai 1796] ; voir notre article, « La Commission temporaire des Arts, section musique (1793-1795) », op. cit. [7] Respectivement, BnF D. 11 648, D. 11 647, et Rès. F. 461 a, b, c, d. [8] Second Livre de /Symphonie /Dans le goût italien /en Trio / Dédiés / à Son Altesse Sérénissime / Mgr le Comte d’Eu / Par / M. Guillemain / Ordinaire de la Musique de la Chapelle et Chambre du Roy / Œuvre XIV. / Prix 6 livres / A Paris / Adresses ordinaires, [s. d.] ; L-A. de Bourbon, prince de Dombes et comte d’Eu avait hérité de ces titres à la mort de son père, le duc du Maine (1670-1736). Il était par ailleurs le fils ainé de la très mélomane Anne-Louise Bénédicte de Bourbon-Condé, duchesse du Maine (1676-1753). [9] Voir Luynes (Charles-Philippe d'Albert, duc de), Mémoires, op. cit., t. IX, p. 152-153 ; ce capitaine-colonel des Cent-Suisses qui avait abandonné trois ans plus tôt la carrière des armes, officiellement pour des raisons de santé, et ne se consacrait plus désormais qu’à ses passions, qui tenaient en l’étude des sciences et des arts. Selon A. Jullien (Histoire du théâtre de Madame de Pompadour, op. cit., p. 107) et Emile Campardon (Mme de Pompadour et la Cour de Louis XV au milieu du dix-huitième siècle, Paris, Plon, 1867, p. 38), le marquis collabora avec Guillemain, tandis que pour L. de La Laurencie (L’Ecole française de violon, op. cit., p. 9), il seconda le chorégraphe J.-B. Dehesse. On peut croire qu’il supervisa plutôt l’ensemble des préparatifs du spectacle auquel il prit part : il « dansa beaucoup, et fut fort applaudi, avec raison ». [10] Ibid. [11] Ce ballet-pantomime fut encore repris à la Comédie-Italienne en juin 1753 ; voir Parfaict (François et Claude), Dictionnaire des théâtres de Paris, Paris, Rozet, 7 vol., t. VII, p. 627-633. [12] Mercure de France, mars 1749, p. 153 ; voir aussi id., janvier 1749, p. 199. [13] Divertissements / De / Symphonies / en Trio / Dédiez / à Mme la Marquise de pompadour / Par M/ Guillemain / Ordinaire de la Musique Chapelle et Chambre du Roy / Œuvre XV. / Gravé par Mlle Bertin. / Prix 9 livres / A Paris / chez / M. Bertin, Maître de Musique, rüe du Four Saint-Honoré, Et aux adresses ordinaires / A Lyon / M. de Brotonne, rue Mercière, près la bannière de France / Avec privilège du Roy / [s.d.]. [14] Mercure de France, mars 1751, « Avis au Public », p. 167-168. D’après les dépouillements effectués par C. Pierre, on peut avancer que ces symphonies furent jouées aux Tuileries au cours des concerts du 28 mai ou du 8 décembre 1750 ; rendant compte de ce dernier concert, le Mercure de janvier 1751, évoque « une grande symphonie de M. Guillemain […], déjà connüe et que le Public entend toujours avec un nouveau plaisir » (p. 189) ; voir Pierre (Constant), Histoire du Concert Spirituel, 1725-1790, Paris, Société française de musicologie, 2000, p. 258-259 et suiv. [15] Sur ce violoniste, voir La Laurencie (Lionel de), L’Ecole française de violon, op. cit., p. 30-34. [16] Voir Mercure de France., février 1743, p. 404. [17] Voir Pierre (Constant), Histoire du Concert Spirituel, op. cit., p. 356. [18] Voir id., p. 261-262 ; peut-être s’agissait-il d’une symphonie différente à chaque fois. [19] A l’automne 1752, c’est lui qui avait été choisi pour accompagner le célèbre bassoniste du roi de Sardaigne, de Laval, en compagnie de Guignon, Marchand et du violoncelliste Chrétien ; voir Luynes (Charles-Philippe d'Albert, duc de), Mémoires, op. cit., t. XII, p. 168, Mercure de France, novembre 1752, p. 171, La Laurencie (Lionel de), L’Ecole française de violon, op. cit., p. 10. [20] Arch. nat. O1/94, f° 131vo; voir La Laurencie (Lionel de), L’Ecole française de violon, op. cit., p. 10. [21] Amusement / Pour le Violon seul / Composé / De plusieurs Airs variés de différents Auteurs / Dédié A Monsieur de Bontemps / Premier Valet de Chambre Ordinaire de Sa Majesté / Gouverneur du Palais des Thuileries / Par / Mr Guillemain / Premier Violon du Roi / Avec douze Caprices du même Auteur / Œuvre XVIIIe / Prix 6 livres / A Paris / chez Le Clerc, Marchand, rue Saint-Honoré entre la / Rue des Prouvaires et la rue Dufour à Sainte-Cécile / et aux Adresse Ordinaires / Avec Privilège du Roi / [s.d.]. ; la parution de ce recueil fut signalée dans les Annonces du lundi 1er février 1762 ; [22] Choron (Alexandre-Etienne) et Fayolle (François-Joseph Marie), Dictionnaire historique des musiciens…, Paris, Chimot, 2 vol., t. I, p. 302. [23] Arch. dép. des Yvelines, E. 1189 ; voir La Laurencie (Lionel de), L’Ecole française de violon, op. cit., p. 4.
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