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mise à jour 6 janvier 2014
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« Ayant l’honneur d’estre premier violon du Roy, je me trouve le plus malheureux de sa musique » : la destinée tragique de Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770) par Thomas Vernet, musicologue, directeur du Département de Musique ancienne du CRR de Paris
© Muse BAroque, RMN / Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon « Serait-il possible que j’eus assez de malheur pour n’être pas secouru... » Ces documents renvoient l’image d’un homme attiré par le luxe – Guillemain nourrit notamment une passion affichée pour les tapisseries – mais totalement incapable de maitriser son économie domestique. Très vite après son installation à l’hôtel de Gamaches à Versailles [1], où il loua un appartement qu’il fit richement meubler et décorer par le propriétaire, le tapissier Dubut ( ?- ?), Guillemain se trouva dans l’incapacité d’honorer ses dettes [2]. Ni les applaudissements, ni la faveur du public et ni même la protection des personnalités influentes ne permirent de relâcher la pression que les créanciers faisaient peser sur le musicien. Le 30 janvier 1752, Guillemain se vit présenter par son logeur un mémoire de 1680 livres, qu’il s’efforça de régler péniblement, à raison de 300 livres en espèces, 103 en marchandises et le reste en billets… Son union en 1757 avec Catherine Langlois (1715-ca.1775) – probablement sa seconde épouse [3] – ne fut en aucun cas un mariage d’argent et n’allégea pas sa situation financière. La jeune mariée fut contrainte de vendre à la criée les meubles qui garnissaient son logement de l’hôtel d’Espagne à Paris et qui ne purent trouver place à Versailles dans l’appartement exigu et déjà fort encombré de son époux [4]. Mais deux ans plus tard, le couple, sans doute dans l’impossibilité d’honorer ses loyers, fut contraint de quitter l’hôtel de Gamaches. Guillemain et sa femme trouvèrent alors asile chez le violoniste V. Bourdon déjà mentionné qui, moyennant 87 livres 10 sols par quartier, leur loua un logement dans sa maison de la rue de la Paroisse pour lequel les quittances ont été conservées jusqu’en 1762 [5]. Celles-ci montrent encore des retards de paiements – d’environ six mois après chaque terme – et voisinent, dans le dossier E. 1189, avec des mémoires relatifs à des livraisons de marchandises diverses (bois, huile, chandelle, perruques, eau-de-vie, etc.), couverts de calculs toujours recommencés, d’établissements d’acomptes et de reports de dettes, témoignant de la détresse financière du couple. C’est un musicien aux abois, aculé à la ruine qui adressa une lettre pathétique probablement à Louis III Phélypeaux, comte de Saint-Florentin (1705-1777), ministre de la Maison du roi et à ce titre en charge d’arrêter les états de paiement des officiers et du personnel de la Chambre : Monsieur, Daignez s’il vous plait permettre la liberté que je prens de vous faire ressouvenir d’un mémoire que j’ai eu l’honneur de vous presenter il y a quelques mois, mon état présent semble m’autoriser à une seconde importunitez pour vous suplier très humblement de vouloir bien m’accorder l’honneur de votre puissante protection, endettez de tous les costés, ayant vendus mes meubles qui m’avoient coutez près de 4000 livres dont je n’ay que 800 li pour satisfaire en partie mes créanciers que le retard des payemens m’ont forcez de contracter, je suis réduit au desespoir, sy vous n’avez Monsieur la bontez de me procurer quelque grâce qui puisse m’aider à me tirer d’affaire ; S’il était possible après 25 ans au service le plus exact d’obtenir une aisance de cent louis sur mes appointements, je me trouverais l’homme le plus heureux du monde ; ayant l’honneur d’estre premier violon du roy, je me trouve le plus malheureux de sa musique. Je ne demande ny augmentation ny gratification ; seulement une avance qui puisse me mettre plus a l’aise que je ne suis, ce n’est Monsieur que de vos seules bontées que je puis obtenir la grâce que j’ose vous demander en servant aussi bien que je fais ;et que j’ai toujours fait, et ferai. Serait-il possible que j’eus assez de malheur pour n’être pas secouru dans mon plus profond besoin ; ce n’est donc Monsieur que de vos seules bontées que j’ose espérer le secours ; je recevray avec la soumission la plus respectueuse la grace qu’il vous plaira me faire accorder, dans la situation où sont mes affaires, telle quelle puisse estre, je n’en auray jamais reçu qui me fut plus necessaire qu’à présent. Daignez donc s’il vous plait Monsieur m’honorer de vos bontées et soyez persuadez je vous suplie que je ne demanderais rien sans mes créanciers, trop heureux sy la reconnaisse la plus soumise peut égaler le profond respect avec lequel j’ay l’honneur d’être Monsieur Votre très humble et très supliant serviteur. Guillemain [6]. Cette lettre n’est pas datée, mais si l’on retient les vingt-cinq années de service auxquelles Guillemain renvoie et que l’on se souvient qu’il entra dans la Musique du roi en 1737, elle pourrait avoir été écrite aux alentours de l’année 1762. A cette époque, le violoniste était pourtant le musicien le mieux payé des symphonistes de la Chapelle, puisqu’il avait reçu en 1760 une somme de 1650 livres, alors que Guignon n’en avait touché que 1350 et qu’en 1762, une gratification de 600 livres lui avait été allouée au titre des comédies et des concerts [7]. Mais dans un autre placet, daté de 1766, adressé au contrôleur général de la Maison du roi, Didier-François René Mesnard (1729-1794), pour quémander une « gratification extraordinaire » de 300 livres, Guillemain reconnaissait avoir contracté une dette s’élevant à 6000 livres, somme qui correspondait à plus du double de ses appointements et gratifications annuels [8]. Sans doute Guillemain finit-il par perdre tout espoir de recouvrer un équilibre financier et au-delà une certaine sérénité, propice à l’exercice de son art [9]. Incapable de trouver une issue à ses maux, torturé par ses constants besoins d’argent, en proie à un certain penchant à la misanthropie et à l’alcoolisme [10], Guillemain fut poussé à un « excès de désespoir [11]», le premier jour d’octobre 1770. Son suicide supposé – on retrouva son corps sans vie percé de quatorze coups de couteau sur la route de Versailles, aux environs de Chaville [12] – constitua l’acte ultime d’une vie marquée par le succès, les applaudissements royaux autant que par le mal de vivre [13].
Retour au sommaire des articles [1] L’hôtel de Gamaches, était sous Louis XIV, le nom de l’Hôtel de Catinat ; il était situé au n°28 de l’avenue de Saint-Cloud à Versailles. [2] Voir id., « Mémoire du 23 juin 1738, pour M. Guillemain, officier de la musique du Roy, des ouvrages faits et fournis par Dubut, Tapissier à Versailles » ; « Mémoire du même du 23 janvier 1740 ». [3] Voir id. ; un mémoire contenu dans le même dossier concerne des remèdes fournis à Madame en 1749-1750, s’y trouve également conservée une facture du tonnelier Lhérault sur laquelle est portée la mention suivante : « Madame Guillemain m’a payé le dernier mémoire le deuxième jour de may 1750 ». Nous ignorons l’identité de la première épouse de Guillemain. [4] Quelques mois après la vente des meubles de sa femme survenue le 28 novembre 1757, dont elle ne retira que la modeste somme de 605 livres, Guillemain acquit le 31 mars suivant, pour 275 livres, un lit et un tableau provenant de la succession du marquis Joachim Rouault de Gamaches (1686-1751) ; voir id., « Procès-verbal de vente du 28 novembre 1757 ». [5] Voir id., « Quittance de loyer 1759-1762 pour l’appartement occupé chez le Sr. Bourdon de 1759 à 1762 ». [6] BnF, dép. de la musique, la-Guillemain-Gabriel 1, [Lettre de Guillemain à M. xxx], [s.d.]. [7] Arch. nat. O1/842 ; La Laurencie (Lionel de), L’Ecole française de violon, op. cit., p. 12. [8] Arch. départ. Des Yvelines, E. 1189 ; L. de Laurencie reproduit ce document, voir L’Ecole française de violon, op. cit., p. 12-13 ; dans une autre lettre non datée mais sans doute remontant à cette même période, conservée dans ce même dossier, Guillemain demande à ce que l’on retienne sur deux de ses quartiers d’appointements une somme qu’il doit à un certain sieur Berteville. [9] Pour Jean-Benjamin de La Borde, Guillemain avait « la tête dérangée » ; voir Essai sur la Musique ancienne et moderne, Paris, E. Onfroy, 1780, 4 vols, t. III, p. 518. [10] Un mémoire de fourniture d’eau-de-vie s’élevant à 16 livres laisse supposer que Guillemain consomma pas moins de six bouteilles entre le 1er et le 10 septembre 1769 ; voir id [11] Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des Lettres…, 5 octobre 1770, [éd.] Christophe Cave et Suzanne Cornand, Paris, Honoré Champion, vol. III, p. 1410. [12] La hâte avec laquelle il fut procédé à l’enterrement de L.-G. Guillemain, le jour même de sa mort, en présence du chanteur Marc-François Bêche (1729-1794?) et du garçon de musique, Jean Bellocq (fl.1763-1792) accrédite l’hypothèse d’une mort délibérée ; voir La Laurencie (Lionel de), L’école française de violon, op. cit., p. 1-2. [13] Ce n’est que deux ans plus tard que Catherine Langlois entra en jouissance d’une pension de 600 livres qui lui avait été pourtant accordée par les Menus-Plaisirs, « en considération des services de son mari » ; voir Arch. nat. O1/6773 ; le nom de la veuve Guillemain figure sur les états de vétérance de la musique du roi jusqu’en 1779, voir aussi O1/8425.
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