Allons, allons accourez tous !
Jean-Baptiste LULLY
Atys
Tragédie en musique en un prologue et cinq actes sur un livret de Philippe Quinault.
Créé à Saint-Germain-en-Laye le 10 janvier 1676, recréation de la production donnée en 1987 Salle Favart
Atys : Bernard Richter
Cybèle : Stéphanie d’Oustrac
Sangaride : Emmanuelle de Negri
Célénus : Nicolas Rivenq
Idas : Marc Mauillon
Doris : Sophie Daneman
Mélisse : Jaël Azzaretti
Le Sommeil : Paul Agnew
Morphée : Cyril Auvity
Le temps ; le fleuve Sangar : Bernard Deletré
Maître de la cérémonie / Alecton : Jean Charles di Zazzo (comédien)
Flore /Suite de Sangar : Elodie Fonnard
Iris : Rachel Redmond
Melpomène : Anna Reinhold
Zéphir / Suite de Sangar : Francisco Fernández
Zéphir : Reinoud Van Mechelen
Phobétor : Callum Thorpe
Phantase : Benjamin Alunni
Songe Funeste : Arnaud Richard
Chœur & Orchestre Les Arts Florissants
Compagnie Les Fêtes Galantes
Danseurs : Bruno Benne, Sarah Berreby, David Berring, Laura Brembilla, Olivier Collin, Estelle Corbières, Laurent Crespon,Claire Laureau, Adeline Lerme,
Akiko Veaux, Gil Isoart (de l’Opéra National de Paris)
Direction musicale William Christie
Metteur en scène : Jean-Marie Villégier
Metteur en scène associé : Christophe Galland
Décorateur : Carlo Tommasi
Costumier : Patrice Cauchetier
Chorégraphes : Francine Lancelot (†) et Béatrice Massin
Lumières : Patrick Méeüs
Perruques : Daniel Blanc
Maquillage : Suzanne Pisteur
Recréation grâce au soutien exceptionnel de Ronald P. Stanton
Coproduction Opéra Comique, Brooklyn Academy of Music, Théâtre de Caen, Opéra de Bordeaux, Les Arts Florissants
13 mai 2011, Opéra Comique, Salle Favart, Paris.
C’était une soirée attendue tant il flotte sur Atys un parfum de mystère et de nostalgie. Attendue depuis 20 ans, puisque l’Atys légendaire créé à Prato en décembre 1986 jusqu’à ce que l’on croyait être l’ultime reprise de janvier 1992 à Caen. Pourtant, tandis que nous usions jusqu’à la trame notre vieille VHS FR3 1987 aux couleurs délavées, l’octogénaire Ronald P. Stanton concevait l’idée folle de revoir cet Atys qui l’avait autrefois tant marqué autrefois, finançant en généreux mécène une partie de cette recréation, alors que les décors, tout comme une partie des costumes (une centaine ayant tout de même été précieusement conservée au Musée de Moulins mais a nécessité une restauration).
Le Prologue frappe par sa couleur – oubliée sur le vieil enregistrement délavé de FR3 -, ses teintes vives et aquarellés qui rappellent les tapisseries passées ou les chromolithographies de notre enfance. Dramatiquement la plus faible partie du livret, en dépit de sa nécessaire présence qui introduit le drame et accoutume l’auditeur à se plonger dans la représentation stricto sensu, il constitue un indispensable couloir initiatique de belle musique dont le canevas propagandiste contenu fut repris tout au long du XVIIIème siècle même quand les références d’actualité étaient dépassées. La mise en scène de Jean-Marie Villégier joue sur les préjugés négatifs envers ce morceau décoratif et vain, insistant de manière brechtienne sur ce personnage de mi-maître de cérémonie / mi-maître de danse ou de musique qui répète avec les acteurs engoncés dans leur apparat mythologico-allégorique. Le pendant de cette artificialité sera le spectacle millimétré d’une cour domestiqué, tenue par la stricte étiquette, à la splendeur décadente et crépusculaire.
Celle-ci apparaît dès le brusque tombé de draperie, qui supprime le carton-pâte des Menus-Plaisir du Prologue pour cette grande pièce marbrée, aux parois ornées de panneau symétriques rappelant des tests de Rorschar géants, où quelques torchères et un trône gigantesque suffisent à rappeler l’éphémère mobilier d’argent versaillais. Et là réside le génie de la mise en scène de Villégier, à l’époque trop souvent saluée comme une résurrection de mise en scène baroque alors qu’il fait fi, avec une théâtralité exacerbée, des éléments merveilleux, des machineries et changements à vue du genre pour une épure toute racinienne, concentré de déferlements des passions. En effet, ce livret de Quinault est peut-être celui qui, le plus – avec Armide peut-être – autorise un traitement intimiste, respectant peu ou prou la règle des trois unités. La puissance des passions se retrouve comprimée par les contraintes sociétale d’une cour sclérosée, sur laquelle il est aisée de voir la planer la morganatique présence de Mme de Maintenon, une cour vêtue de gris, noir, bleu foncé toute droit sortie de gravures convenue, avec ses ports de tête altier, sa chorégraphie quotidienne autour de l’astre solaire. Seuls l’épisode des Songes apportera un peu de couleur à ce monde des ténèbres, déjà en deuil avant même que l’intrigue ne se déroule. On louera la beauté des perruques, la somptuosité des costumes, leur précision maniaque et leur variété (de 1670 à la Régence environ, Patrick Cauchetier connaît son Leloir sur le bout des doigts), on se délectera de la tenue des pages, de l’armure à tassettes du Roi, du manchon du Fleuve Sangar (truculent Bernard Deletré rescapé de la première production aux côtés de l’imposant Nicolas Rivenq qui reprend la couronne de Célénus), le naturel avec lequel les divertissements sont intégrés, grâce au talent de Quinault et à la fluidité générale du propos.
Béatrice Massin et ses danseurs ont su reprendre avec grâce et rigueur les chorégraphies développées par la regrettée Francine Lancelot, et ces figures symétriques renforcent parfaitement les effets de miroirs du décor, et les ambiguïtés des personnages, constamment décalés entre leurs sentiments / devoir / rôle public. Véritable fusion entre le théâtre (on ne peut qu’admirer une gestuelle très théâtrale mais qui n’est pas figée, sauf pour les apparitions hiératiques de la cour), la danse et la musique, cet Atys rend justice à ce creuset des arts et à l’alchimie fragile de la tragédie en musique.
Il faut dire que William Christie a mûri son Atys. A l’entracte, la Querelle des Anciens et des Modernes faisait rage entre les partisans du » c’était mieux avant » ou du » enfin un Atys moins maniéré ». N’ayant pas assisté aux représentations de 1987, nos seuls points de comparaison demeurent l’enregistrement Harmonia Mundi – aussi et justement médaillé qu’une nageuse soviétique – et la captation live de FR3 avec Howard Crook dans le rôle-titre (au lieu de Guy de Mey). Qu’il suffise de dire, à la louche, que ce nouvel Atys est plus viscéral, plus passionné, plus direct, sans pour autant renier l’élégance innée de la ligne mélodique, et ce je-ne-sais-quoy de noble et de majestueux, d’un peu mélancolique aussi dans ses simphonies et ritournelles évocatrices. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer la reprise de l’Ouverture. Autrefois, voici le retour d’Ulysse, majestueux, attendant, assuré, que le drame s’ouvre. En 2011, la première ouverture ressemble à sa devancière. En revanche, la seconde, plus rapide, crispée, violente, avec ses cordes écrasées, son continuo grave, sa rage latente annonce déjà un spectacle noir et désespéré. Véritable moteur du drame, attentif à chaque inflexion du récitatif, omniprésent et omniscient, l’orchestre des Arts Florissants se révèle l’indispensable ossature de la partition, capable de la douceur poétique du théorbe de l’ « Atys est trop heureux » effleuré pudiquement, aux grandioses déferlements colorés des divertissements qui osent la tendresse dans l’épisode des Songes agréables, et le chaos dans l’empoisonnement final. La spatialisation des vents et des bois ajoute à l’attention que le spectateur porte aux timbres instrumentaux, tandis que le second orchestre sur scène dans la scène des Songes précitée (procédé que reprendra Haendel dans son « V’adoro » du Giulio Cesare) produit une sorte d’abolition des frontières entre la scène et la fosse qui ajoute au caractère inattendu et onirique de la scène. Le chœur est du même airain, puissant et incisif, capable de fresques épiques protocolaires (scène de la descente de Cybèle) comme d’un commentaire désabusé à la manière du chorus antique ici en coulisse pour l’ « Atys, Atys lui-même / Fait périr ce qu’il aime ».
Sur scène, et l’on s’excusera d’avance de ne pouvoir passer en revue les nombreux protagonistes, l’Atys de Bernard Richter déploie un timbre équilibré, une projection fière, une attention au style et à la prosodie impeccable (à 1 ou 2 écarts près un peu excessifs dans les scènes d’intense troubles psychologiques tels l’aveu de Sangaride ou la scène de folie) qui rendent pleinement crédible les affres d’un esprit en proie au doute et écartelé entre son amour et la loyauté à son prince. Sous le chant de Emmanuelle de Negri apparait la belle nymphe Sangaride, à la voix flûtée, aux aigus matins, au chant d’une pureté fragile, ce qui contraste d’autant plus avec la vulcanique Cybèle de Stéphanie d’Oustrac, qui rompt avec le style plus modéré du chant de ses confrères, campant un personnage énorme, gigantesque, monstrueux et inhumain au sens premier du terme, parvenant en même temps, le temps d’un sanglot abandonné à ravaler sa stature céleste pour soupirer après son amour malheureux. La ligne de chant est souvent en péril, la justesse sur le fil du rasoir, l’émission spontanée, troublée, haletante, parfois imprévisible, les pieds du vers difficile à scander. Qu’importe devant le redoutable portrait de cet être sanguin, à l’ivre fureur, d’une monumentalité toute antique, frémissant sous ses voiles et ses attributs, cœur de braise sous les drapés, le diadème et la branche de pin. A côté de ce trio superlatif, on remarquera l’Idas de Marc Mauillon, plus ironique et incisif, tentateur et loyal ami d’Atys, moins paternel et protecteur que son devancier Jacques Bona, le Songe de Paul Agnew aux sons tenus captivants, et la verdeur comique de Bernard Délétré en ivrogne invétéré, apportant un brin d’intermède comique à cet immense catafalque.
En conclusion, il ne reste qu’à se précipiter sur la suite de la tournée de ce légendaire Atys, à la reprise tant attendue, à se gorger de ses reflets et de ses pleurs, dans l’attente du DVD prochainement prévu (et en espérant qu’à cette occasion la vieille captation – différente de FR3 – soit également rééditée).
Viet-Linh Nguyen
La tournée d’Atys :
– Opéra Comique à Paris du 12 au 21 mai 2011
– Théâtre de Caen du 31 mai au 3 juin 2011
– Opéra de Bordeaux du 16 au 19 juin 2011
– Opéra royal du Château de Versailles du 14 au 17 juillet 2011
– Brooklyn Academy of Music de New York du 18 au 24 septembre 2011