Rédigé par 17 h 57 min CDs & DVDs, Critiques

"Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger Une amante en fureur qui cherche à se venger." (Racine, Andromaque, acte IV, scène 6)

Joyce DiDonato a l’air plus rêveuse que furieuse sur la jaquette du disque. Un brin pensive, les yeux timidement levés au ciel, la mezzo se prend la tête dans les mains, se demandant peut-être ce qu’elle a fait au cours des 75 minutes de ce premier récital d’airs italiens et anglais bien rempli.

Georg-Frederic HAENDEL (1785-1759)

« Furore »

Airs d’opéras

[TG name= »Liste des airs »] 

Serse : « Crude Furie Degl’Orridi Abissi »
Teseo : « Dolce Riposo », « Ira », « Sdegni », « E Furore… Moriro, Ma Vendicata » 
Giulio Cesare : « L’Angue Offeso Mai Riposa » 
Admeto : « Orride Larve » 
Hercules : « There In Myrtle Shades Reclined », « Cease, Ruler Of The Day », « To Rise, Where Shall I Fly ? »
Semele : « Hence, Iris Hence Away » 
Imeneo : « Sorge Nell’Alma Mia » 
Ariodante : « Scherza Infida » 
Admeto : « Gelosia, Spietata Aletto » 
Amadigi : « Destero Dall’Empia Dite »

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Joyce DiDonato (mezzo-soprano)

Les Talens Lyriques
Direction Christophe Rousset

75’08, Virgin Classics, 2008

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Joyce DiDonato a l’air plus rêveuse que furieuse sur la jaquette du disque. Un brin pensive, les yeux timidement levés au ciel, la mezzo se prend la tête dans les mains, se demandant peut-être ce qu’elle a fait au cours des 75 minutes de ce premier récital d’airs italiens et anglais bien rempli. Et bien, elle nous aura simplement fait voyager de note en note, reflets des miroitements de l’âme humaine de ces personnages d’opéras qui nous paraissent à la fois si proches dans leurs émotions, et si lointains dans leur manière de les exprimer. Et le paradoxe de ce premier – et superbe – récital de DiDonato est que les moments les plus intenses résident en majorité dans les airs lents et élégiaques, plutôt que dans la bravoure démonstrative. Peut-être l’accompagnement raffiné mais peu dramatique de Christophe Rousset et de ses Talens Lyriques explique t-il cela.

Mais commençons par l’extraordinaire timbre de Joyce Di Donato, que les Haendéliens connaissent bien pour ses rôles dans Radamisto (Virgin Classics) et Floridante (Archiv) sous la baguette d’Alan Curtis, ou encore Hercules avec Christie (Bel Air Classiques). La mezzo dénote une remarquable égalité sur toute la tessiture (sauf un extrême aigu flûté poétique), un souffle herculéen capable de porter la mélodie aux confins de la partition, une agilité robuste dans les vocalises. Le timbre est à la fois profond, fier, mais dépourvu du côté sombre et « masculin » d’une Vivica Genaux, Marijana Mijanovic ou Maria Riccarda Wesseling (que l’on compare leurs Medées dans Teseo). Et cette féminité altière, énergique, assurée ne serait rien si elle n’était constamment au service du drame, de l’esquisse psychologique, de la nuance théâtrale.

Alors, avouons-le, si nous avons décerné sans l’ombre d’une hésitation une Muse d’Or à ce « Furore », ce n’est pas pour l’ironique « Crude furie degl’orridi abissi » de Serse pourtant impeccablement exécuté mais tournant un peu à vide. Ce n’est pas non plus pour le guerrier « Desterò dall’empia Dite », où la mezzo rivalise avec hautbois et trompette gonflée d’une ardeur guerrière à faire pâlir tout contre-ténor. Si nous nous sommes enivrés de bruit et de fureur, nous avons plutôt succombés au désespoir violent et torturé de « Morirò, ma vendicata » où la magicienne conspiratrice exp(l)ose ses désirs nihilistes. Joyce Di Donato y sculpte chaque note avec noirceur, dévale les coloratures avec haine, brosse cursivement la mélodie déjà heurtée, erre de manière imprévisible dans la deuxième partie de l’air. Autre désespoir, mais bien différent que celui crié dans le célèbre « Scherza infidà ». A l’inverse de l’amant anéanti, introverti et suicidaire d’Anne-Sofie von Otter (chez Minkowski), cet Ariodante-ci déclame sa peine avec naturel et sincérité, expose son sort presque avec dédain à l’auditeur devenu confident ou confesseur, insiste sur son malheur, drapé dans sa dignité outragée. L’ornementation de la reprise est exquise d’inventivité et évite la surabondance qui défigurerait cette ligne mélodique hésitante qu’Haendel a voulu. Autre moment de violence et de brutalité amoureuses, le « Where shall I fly » de Déjanire, à l’interprétation plus gluckienne qu’autrefois avec Christie. Le souffle ample, le mot rageur et bouillonnant qui se mue soudainement en murmure menaçant et sournois, les trilles mitraillés, les fins de phrases abattues au lieu d’être posées contribuent au portrait cliniquement très instable de la meurtrière d’Hercule.

Christophe Rousset conduit les Talens lyriques avec justesse et élégance. On admire la transparence des lignes, la précision des attaques, les jolis timbres des bois. Toutefois, face à l’exubérance à fleur de peau de la mezzo, l’orchestre paraît bien sage, presque ébahi devant tant de feu, écrin discret et complice plus que protagoniste des drames humains extrêmes qui défilent. On ne retrouvera pas ici ma vigueur carrée d’un Minkowski, l’urgence de Christie, le souffle épique de Jacobs. Le « Dolce riposo » est abordé avec des tempi trop allègres pour évoquer le sommeil, les contrastes en partie centrale des airs da capo dépendent plus de l’extraordinaire implication de la chanteuse que du tissu instrumental qui l’environne. Mais ces Talens luxueux quoique distants n’enlève rien à la prestation spectaculaire de DiDonato dont la folie furieuse est une douce folie qu’on aime à partager. 

Alexandre Barrère

Technique : captation nette et précise, mettant fortement en valeur et en avant la voix de la mezzo.

Site officiel du CD 

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 11 juillet 2014
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