Rédigé par 7 h 12 min CDs & DVDs, Critiques

Haunting (Solitude, Reginald Mobley, Brandon Acker, Douglas Balliett – Alpha)

 

“Solitude”

Henry Purcell (1659-1695) : Hail Bright Cecilia, Z. 328: IV. ‘Tis Nature’s Voice – Oedipus, Z. 583: No. 2, Music for a While
Francesco Corbetta (v. 1615-1681) : Chiacona
Henry Purcell : O Solitude, My Sweetest Choice, Z. 406
Pietro Reggio (1632-1685) : David
John Blow (1649-1708) & Cesare Morelli (v. 1650-1700) : Go, Perjured Man
Samuel Pepys (1633-1703) & Cesare Morelli (v. 1650-1700) : Beauty, Retire! Phoebus, God Beloved by Men
John Eccles (1668-1735) : Ground
John Dowland (1563-1626) : Flow My Tears, Sorrow, Sorrow, Stay, Lend True Repentant Tears, Fortune My Foe, Time Stands Still
Douglas Balliett (né en 1982) : Sam, Ely of July
Jonathan Woody (né en 1983) : Ain’t You My Child
William Foden (1860-1947) : Barcarolle
William Marshall Hutchison (1854-1933) & Justin Holland (1819-1887) : Dream Faces
Caroline Norton (1808-1877) & Justin Holland (1819-1887) : Juanita
Henry Clay Work (1832-1884) & Justin Holland (1819-1887) : The Ship That Never Returned

Reginald Mobley, contre-ténor
Brandon Acker, théorbe, guitare baroque, luth basse
Douglas Balliett, contrebasse, viole de gambe

1 CD digipack, Alpha Classics 1161, 2025, 71’22.

C’est un présent de choix que l’on tire du panier de la Muse pour ce Noël. Son titre ? Solitude. Son interprète ? Reginald Mobley. Si ce contre-ténor américain ne jouit pas encore en Europe d’une notoriété égale à celle de ses confrères du Vieux Continent, il s’impose pourtant comme une voix incontournable. Son précédent opus chez Alpha, Because, gravé avec le pianiste Baptiste Trotignon, explorait avec brio le répertoire des Negro Spirituals, puisant dans les racines de la tradition noire américaine et du jazz. Un disque superbe, assurément, mais qui s’éloignait des sentiers habituels de notre Muse baroque.

Or, voici que l’artiste nous revient avec un programme où la musique ancienne reprend ses droits, dans un dialogue audacieux avec d’autres époques. Cet album alterne œuvres contemporaines (Douglas Balliett que l’on retrouve ici aussi à la viole ou la contrebasse, Jonathan Woody), mélodies du XIXe siècle (William Foden) et un cœur de répertoire purement britannique : Purcell, John Blow, John Eccles, John Dowland, ou encore des pièces issues de l’entourage de Samuel Pepys. Dès les premières notes, on est saisi par la force incandescente de l’incarnation. Le timbre de Mobley cultive une étrangeté fascinante, parfois presque « ululante », mais d’une stabilité exemplaire dans les changements de registres. Il convoque des mânes illustres : on y retrouve la poésie et « l’ailleurs » indéfinissable d’un Alfred Deller, mêlés à cette puissance un peu flûtée caractéristique de Derek Lee Ragin. Une alchimie vocale assez unique qui naît d’un timbre d’une singulière poésie.

L’accompagnement se révèle superlatif, tant dans la découverte que dans les « tubes » du répertoire, et l’on se surprend souvent à apprécier des audaces du continuo, qui n’hésite pas à s’égarer hors des sentiers musicologiques, tissant des liens naturels entre les bardes d’hier et d’aujourd’hui et l’on louera l’adresse de Brendon Acker et la versalité de Douglas Balliett, qui rappelle que la musique ancienne est une musique spontanée, immédiate, qui saisit aux tripes et au tripot, un peu comme dans De Pasión mortal (Linn) mais avec ici un organe de contre-ténor intemporel et superbement approprié à ces songs d’Albion.  Écoutons ce ‘”Tis Nature’s Voice” de Purcell : l’interprétation y est droite, verticale, sans afféterie. Mais le disque ose aussi des chemins de traverse, comme ce O Solitude revisité. L’irruption d’une contrebasse bouillante, jazzy, anachronique en diable, pourrait effrayer ; elle s’avère ici tout sauf un gadget, apportant une profondeur et une résonance inattendues à la plainte purcellienne. Il faut enfin prendre le temps de lire la note d’intention du livret, intitulée « La consolation des cœurs ». L’artiste y célèbre la musique à travers la fable d’Ésope, Le Vent du Nord et le Soleil, et nous livre cette confidence : « Au-delà de la persuasion, je pense au véritable pouvoir qu’ont les histoires. »

À l’écoute de ce programme, une certitude s’impose : on ne sera sans doute jamais mieux accompagné sous le sapin que dans cette Solitude extraordinaire, dont on voudrait qu’elle se prolonge cent ans.

Viet-Linh Nguyen

Technique : captation exemplaire, chaleureuse et naturelle.

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 18 décembre 2025
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