Rédigé par 12 h 15 min Concerts, Critiques

On a wire (From Byrd, Trio Musica Humana – Temple du Foyer de l’Âme, 7 octobre 2025)

Le Trio Musica Humana – site officiel de l’ensemble

“From Byrd”

Thomas Weelkes : Four Arms, Ayres or Phantasticks Spirits for the Three Voices n°14 (1608)
William Byrd (1539-1623), : Kyrie (extrait de la Messe à 3 voix) – The Woods so wild(Fitzwilliam Virginal Book) – De Profundis (Messe à 3 voix)
Giles Farnaby (1560-1640) : For two virginals (Fitzwilliam Virginal Book)
Thomas Weelkes : Cease sorrow now (Madrigals to 3-6 voices n°6, 1597)
Thomas Morley (1557-1602) : Springtime (Canzonets to Three Voices n°24, 1593)
William Byrd : Benedictus (Messe à 3 voix)
Thomas Tomkins (1572-1656) : A Sad paven, For these distracted times
Thomas Morley : Though Philomena
John Johnson (mort en 1594) : Rogero, adapté au muselaar
William Byrd : Agnus Dei (Messe à 3 voix)

Trio Musica Humana :
Martial Pauliat, ténor
Yann Rolland, contre-ténor
Igor Bouin, baryton
Elisabeth Geiger, muselaar

 Temple du Foyer de l’Âme, Paris 11ème arrondissement, 7 octobre 2025.

Connaissez-vous un trio vocal capable d’entonner en une même soirée William Byrd et Wannabe des Spice Girls[1] ? Peut-être que oui si vous êtes un lecteur régulier de ces pages, les trois joyeux lurons du Trio Musica Humana ayant fait le bonheur du Midsummer Festival du château d’Hardelot en 2023, tout d’abord pour un programme assez proche de celui de ce soir, déjà centré autour de la figure de William Byrd, puis plus tard en soirée et comme une sucrerie d’après concert, pour un aperçu de leur Bingo Musical, autre facette détonante et délirante du groupe.

Déjà plus de quinze ans que ces trois là chantent ensemble, comme nous l’avons dit dans des univers musicaux très différents, et avec une présence scénique et un humour à classer quelque part sur la large palette existante chez nos amis britanniques entre le flegme d’un Sherlock Holmes et le quatrième degré des Monty Python période Sacré Graal.  Bref, ces trois là se connaissent, leur transparente complicité en est la marque et quelque chose nous dit que large s’avère leur culture musicale, des goûts les plus pointus de rigoristes compositeurs anglais à ceux peut être moins estimables mais tout aussi avouables de la pop européenne contemporaines (…et sans doute ne connaissons-nous pas tout de leur palette musicale).

Quinze ans d’amitié et de projets, mais encore jamais d’album. Une gageure que vient réparer le concert de ce soir au Temple du Foyer de l’Âme, qui marque la sortie du premier disque du Trio Musica Humana, sobrement intitulé From Byrd, en référence évidente à l’inspiration principale du programme le composant (From Byrd, chez Seule Etoile, compte-rendu à venir). Et qui dit concert de sortie de disque, dit aéropage d’amis et de connaissances venus nombreux saluer l’évènement dans une ambiance où la nécessaire concentration n’empêche une apparente décontraction.

Car c’est bien dans le registre de la sobre musique anglaise de la fin seizième, début dix-septième siècle que nous retrouvons ce soir notre trio (Martial Pauliat, Yann Rolland & Igor Bouin), ce soir accompagnés, comme cela avait déjà été le cas à Hardelot, par Elisabeth Geiger au muselaar. Ce muselaar constitue une variante flamande du clavier à cordes pincées par sautereaux que l’on retrouve dans d’autres régions sous le nom d’ottavino, ou plus fréquemment d’épinette ou de virginal. C’est un instrument devenu rare, mais que l’on aperçoit notamment dans la peinture de Johannes Vermeer, représenté à trois reprises.

Catholique, au service d’une Reine protestante (Elisabeth Ière ), William Byrd est la source du trio et véritable fil conducteur du programme, lui qui avec sa Mass for 3 voices (1591-1592) composa l’une des pièces majeures du répertoire anglais polyphonique en trio. Une écriture plus épurée que dépouillée qui s’avère d’autant plus sensible à aborder quand chacune des voix n’est portée que par une seule, comme une recherche, sur le fil, de l’équilibre, de la précision et de la complémentarité. CE choix d’une autonomie de chaque partie qui ne souffre d’aucune relâche, d’aucun appui possible sur une autre voix de même tessiture. On louera la grande clarté des voix, nécessaire, chaque chanteur devant au gré des passages se fondre ou s’entremêler avec celle de ses deux autres compagnons de chant.

Johannes Vermeer, La Leçon de Musique (vers 1662-1665). Huile sur toile, 74 X 64.1 cm. Palais St-James, Londres. Source : Wikimedia commons

Byrd… on a wire, sommes-nous tentés de dire, tant les sinuosités des lignes vocales composées par William Byrd aurait pu être matière à quelques déséquilibres de la part des trois membres de notre trio, qui bien au contraire font preuve à la fois d’une belle maîtrise vocale individuelle et d’une symbiose d’ensemble leur permettant de triompher avec aisance des différentes pages de cette messe à trois voix revenant au cours du concert, que ce soit dans le Kyrie initial et plus encore dans les deux pièces suivantes, dans l’intériorité, la sentimentalité du De Profundis et du Benedictus. Et si ces extraits de la Mass for 3 voices de William Byrd, auxquels vient s’ajouter en toute fin de programme l’Agnus Dei de la même œuvre, sont les pièces les plus graves et par leur épure les plus belles de la soirée, n’en oublions pas que le Trio Musica Humana ponctue avec une délectation certaine ce recueillement introspectif par quelques divagations non moins séduisantes vers d’autres répertoires et d’autres compositeurs contemporains de notre chantre anglais : Thomas Weelkes, madrigaliste et virginaliste, a été également bien représenté ce soir, que ce soit au travers de son classique Four Arms, extrait des Ayres or Phantastick Spirits for Three Voices et dans lequel s’exprime un art avéré de l’étagement et des variations vocales sur une composition d’une grande richesse d’écriture, ou bien sur Cease sorrow now, présenté en milieu de programme où se révèle au travers d’une écriture mettant en avant l’individualité vocale, toute la recherche d’une complémentarité qui n’en apparaît que plus essentielle.

S’il nous faut encore relever quelques détours vers d’autres contemporains, en particulier Thomas Morley pour un charmant et champêtre Springtime, c’est bien à quelques jolies pièces pour muselaar qu’il nous fait consacrer ces lignes, l’instrument venant de ses notes piquées, sautillantes, aériennes, contrebalancer la vocalité emprunte de solennité du reste du programme. Une rare pièce de Giles Farnaby intitulée For Two Virginals sur laquelle Martial Pauliat vient au clavier auxiliaire accompagner Elisabeth Geiger (qui fut sa professeure dans l’apprentissage de l’instrument), et ce Rogero de John Johnson, très certainement écrit initialement pour luth, finissent de nous convaincre des qualités de l’instrument, de sa préciosité chambriste, sans aucune connotation péjorative, qui en fit un populaire instrument d’apprentissage domestique de la musique.

En définitive, ce concert fut révélateur de la personnalité haute en couleurs du Trio Musica Humana, capable de nous emmener, avec flegme et apparent détachement vers les pages de césure de la renaissance et du baroque anglais, tout en entonnant en guise de bis une version madrigalesque de Wannabe. Epicés ces garçons !

 

                                                                                   Pierre-Damien HOUVILLE

 

[1] Comment définir les Spices Girls ? Disons que si votre culture musicale anglaise se résume à Purcell et Haendel…considérez-vous heureux et n’allez pas plus loin ! Maintenant, si déjà par esprit d’aventure et goût de la modernité vous avez osé aller jusqu’aux deux John, Barry et Lennon, vous pouvez en rester là et vous retrancher dans une rassurante nostalgie. Car par la suite, sans rien renier du tea time et de Saville row, l’Angleterre s’est entichée de cinq jeunes filles dopées au sucre, se trémoussant vigoureusement sur des rythmes synthétiques à une époque où l’élégance était synonyme de joggings baggys et de crop-tops fluo. Toute une époque dont ceux qui n’ont pas été adolescents à la fin des années 90 ne peuvent mesurer les effets destructeurs. Un film fut même fait à leur éphémère gloire, dans lequel venait cachetonner un ex-agent secret de Sa Majesté (damned !) et fin de cette digression sans aucun rapport avec notre sujet de couverture, et notre répertoire musical de prédilection.

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 16 octobre 2025
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