Rédigé par 7 h 02 min CDs & DVDs, Critiques

Vents du Sud (Sirens & Soldiers, Concerto Scirocco, Genini – Arcana)

Sirens & Soldiers
Songs without words from the Italian Seicento

Tarquinio Merula (1595-1665)
Canzon Undecima detta « La Fontana », op.9

Samuel Scheidt (1587-1654)
Canzon XXIX super Cantionem Gallicam (Est-ce Mars ?) a 5, SSWV 67

Giovanni Antonio Terzi (vers 1580-1600)
Contrapunto sopra « Liquide perle » per sonara insieme

Philipp Friedrich Böddecker (1607-1683)
Sonata sopra « La Monica »

Tarquinio Merula
Canzon Decima Ottava « La Cavagliera », op.17

Marco Uccellini (1603-1680)
Symphonia Trigesima Quarta « A gran battaglia », op.4

Ottavio Bargnani (vers 1570-1627)
Canzon Decima Sesta sopra « La Monica »

Salomone Rossi (1570-1630)
Sonata Prima detta « La Moderna », op.12

Francesco Cavalli (1602-1676)
Canzon a 3

Marco Antonio Ferro (vers 1600-1662)
Sonata Quinta a tre, op.1

Marco Uccellini
Aria Decima Terza sopra « Questa bella sirena », op.4

Biagio Marini (1594-1663)
Canzon Decima a 6, op.8

Andrea Falconieri (1585-1656)
Fantasia detta « La Portia »

Salomone Rossi
Sonata sopra l’Aria du Ruggiero, op.12

Maurizio Cazzati (1616-1678)
Ballo della Ombre, op.22 n°9

Johann Heinrich Schmelzer (vers 1620/23- 1680)
Ciaccona

Concerto Scirocco, direction Giulia Genini
1 CD digipack, Arcana, 2024, 69′

Il en va parfois de la musique comme de tant d’autres choses, elle peut se passer d’explication ! Sans vouloir forcément généraliser le propos, disons simplement qu’il n’est nul besoin pour apprécier ce disque d’en savourer préalablement le livret introductif, didactique mais peu enthousiasmant traité sur la géopolitique complexe du Nord de la péninsule italienne, en pleine recomposition avant les Traités de Westphalie. Ce livret conclut qu’assez paradoxalement, alors que nombre de principautés mutent et que les régions germaniques se remodèlent, la musique italienne connait une effervescence presque insolente et que nombreux sont les musiciens issus de la péninsule à parcourir l’Europe.

Certes, mais c’est presque une évidence et nous ne sommes point là pour disserter sur les interactions entre diplomatie et composition musicale… Disons-le tout net, ce Sirens & Soldiers, au-delà de ses intentions, se déguste pour la réjouissante mosaïque d’œuvres italiennes du premier Seicento qu’il nous permet d’apprécier. Songs without words nous précise la pochette : il est vrai qu’au tournant vers un siècle de tourments, la musique italienne s’épanouie de ces formes brèves, sinfonie, canzoni, danses et autres fantaisies participant d’une émulation musicale sachant se passer d’appui vocal. La musique est (aussi) artifice et prompts sont les musiciens à nous leurrer, imitant la voix parfois, le plus souvent recherchant par l’expression instrumentale à en égaler l’expressivité, la portée, là par les couleurs d’un instrument à vent, ici par les sanglots longs de quelques violons, quelle que soit la saison. Débarque donc dans le paysage musical une rhétorique nouvelle, une virtuosité poétique purement instrumentale qui tend à la fois vers le récit romanesque et la peinture sonore, comme l’émergence de sentiments nouveaux.

Sirens & Soldiers, deux termes faussement antinomiques, et finalement dans les arts souvent associés, appelant à nous rappeler la nature première de l’Ulysse abordant Parthénope ou encore l’antinomie plus contemporaine des Madrigaux guerrier et amoureux de Monteverdi. Un recueil de pièces, le plus souvent des Canzon, oscillant entre nature martiale ou sentimentale et qui au-delà de leur identité propre dessinent en filigrane l’empreinte musicale italienne de ce début de Seicento.

Car il est bien question d’empreinte et d’identité avec ce Concerto Scirocco, ensemble encore peu connu de ce côté des alpes et dirigé par Giulia Genini, musicienne suisso-italienne, poly-instrumentiste penchant tout de même plus vers les instruments à vent (flûte à bec, basson), flirtant au fil de ses envies avec la musique de la Renaissance (cela se pardonne), comme avec le Romantisme (cela se pardonne aussi… quoi que…). Un ensemble instrumental à l’identité sonore savamment travaillée où l’on retrouvera, outre les instruments cités, violons et cornets, doulciane et saqueboute, harpe et théorbe, comme un panel puisé à la source même des sonorités italiennes du début du dix-septième siècle. Tout cela est posé, mesuré, courtois, au risque qu’un petit héritage de ce goût avoué pour la musique de la Renaissance ne nous fasse regretter sur certaines œuvres que notre Concerto Scirocco ne souffle un peu plus fort, ne soit un peu plus tempétueux et vif, en un mot plus « énervé » et ne vienne scander sur ces chansons sans paroles des attaques plus franches, des tempi plus marqués.

Mais passons sur ces quelques réserves pour nous intéresser à l’éventail des compositeurs rassemblés sur cet enregistrement, Giulia Genini faisant à l’occasion de celui-ci un salutaire travail de remise en lumières de compositeurs rarement mis à l’honneur. Tarquinio Merula (1595-1665) nous est bien connu et les deux œuvres présentes sur ce disque sont assurément à classer parmi les œuvres « guerrières » que ce soit la canzone La Fontana, avec sa basse prononcée, puissante et martiale et ses notes répétées (selon le principe de la basse obstinée dont il fut l’un des artisans), haletantes et inquiétantes ou cette Cavagliera, transparente dans le nom, très structurée pour ne pas dire ordonnée, soulignant la rigueur de composition dont fait preuve le musicien, jalon structurant de la musique de son époque.

Les affres de la bataille résonnent à nos oreilles encore chez quelques autres des compositeurs convoqués dans ce programme, qu’il s’agisse à grand renfort d’imitation de trompettes de Marco Uccellini (vers 1603-1680), qui dans sa symphonia A gran battaglia récrée les prémices d’une bataille, ou de Salomone Rossi (vers 1570-1630) composant un effet d’écho martial dans sa Sonata sopra l’Aria di Ruggiero. Il nous faudrait encore ajouter à ce chapitre l’un des quelques compositeurs étrangers à la péninsule et s’immisçant sur ce disque, Samuel Scheidt (1587-1654), organiste reconnu mais qui avec sa Canzon XXIX aux cuivres puissants offre l’un des morceaux les plus originaux du programme.

Le Concerto Scirocco sait délaisser Mars pour Cupidon, et nous offre quelques morceaux, là encore instrumentaux, narrant les passions amoureuses, les sentiments tendres, quand les instruments ne semblent pas entre eux se compter fleurette. C’est le cas de la courte pièce, là aussi signée Uccellini intitulée Aria sopra Questa bella sirena, au caractère folklorique marqué, avec ces violons et flûtes évoquant à la fois une fête de place de village et la légèreté champêtre d’une robe de fin de printemps. Mais aussi du plus nostalgique, mélancolique et tout aussi attendrissant La Monica de Philipp Friedrich Böddecker (1607-1683), originaire de Haguenau (actuel département du Bas-Rhin), et cela même si cette composition détonne par son absence d’italianité, tout comme la Ciaccona virtuose et multipliant les variations de Johann Heinrich Schmelzer (vers 1620-1680), fameux violoniste réexhumé dès 1970 par Harnoncourt avec l’excellent Sacro-profanus Concentus Musicus 1662 (Teldec).

Cette évocation des sentiments guerriers et amoureux parfois bascule dans une quasi imitation de l’expressivité vocale à l’exemple marquant et fort justement souligné par Giulia Genini : l’on louera la Canzon a 3 de Francesco Cavalli (1602-1676) dont la Passaglia conclusive est une évocation transparente et limpide du Lamento della Ninfa de Monteverdi.

En définitive, ce programme réunissant plus d’une douzaine de compositeurs différents, survole un peu chacun d’eux sans nous laisser le temps d’entrer plus avant dans leur style et leur identité. Mais la belle homogénéité sonore du Concerto Scirocco nimbe ces pièces d’une couleur chaude et d’un touché satiné du plus bel effet, et constitue une incursion à la genèse du baroque italien apaisée mais exaltante.

 

                                               Pierre-Damien HOUVILLE

Technique : enregistrement clair et équilibré.

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