
Crédit : FIC – Bertrand Schmitt
Echos de Venise
Sinfonia en Sol mineur, RV 146
Cantate Cessate, omai cessate, RV 684
Concerto pour violon et violoncelle en si bémol majeur, RV 547
Sovente il sole, RV 117
La Follia
Concerto pour violoncelle en sol mineur, RV 416
Nisi Dominus (Psaume 126), RV 608
Tim Mead, contre-ténor
Hanna Salzenstein, violoncelle
Le Concert de la Loge
Julien Chauvin, violon et direction
Festival International de musique de Colmar, église Saint-Matthieu, 12 juillet 2025
Un détour par la Petite Venise permettrait-elle de révéler les secrets de la Grande ? La proposition est moins absconse qu’il n’y paraît et c’est bien celle à laquelle nous invite cette année le Festival International de musique de Colmar, qui au sein d’une programmation embrassant toutes les périodes de la musique classique et pour la troisième année consécutive composée par Alain Altinoglu, nous emporte pour une soirée entière dans la Venise baroque et plus particulièrement dans celle de la musique de Vivaldi, à l’honneur de l’entièreté du programme de la soirée.
Et comme il n’est de meilleur hommage qu’entre connaisseurs du sujet, ce ne sont non pas deux mais bien trois spécialistes du Prêtre Roux qui ce soir ont la charge d’interpréter quelques-unes des plus belles compositions de Vivaldi. Car à Julien Chauvin et au Concert de la Loge, qui après avoir longtemps révélé des pages délaissées du répertoire de la musique française, se sont dernièrement intéressés au compositeur vénitien[1], s’adjoint Tim Mead, contre-ténor que l’on ne présente plus, et qui entre deux séries de représentations de Rodelinda à Haendel à Londres, poursuit avec le Concert de la Loge une appropriation du répertoire italien commencée il y a de cela maintenant plusieurs années (avec François Lazarevitch notamment). Moins mise en exergue par le programme du jour, mais tout aussi intéressante au regard de ses derniers disques, la présence ce soir de Hanna Salzenstein, dont le dernier enregistrement a démontré tout l’intérêt porté par la jeune musicienne émancipée du Consort à la musique de Vivaldi et tout particulièrement aux concertos pour violoncelles de ce dernier.
C’est donc l’élégante église Saint-Matthieu qui accueille les musiciens de cette triple collaboration, offrant, comme nous avions déjà pu en juger l’année dernière, une très belle sonorité, en partie due à son plafond en bois. Et ce n’est pas quelques changements de programme de dernière minutes, fort humoristiquement annoncés par Julien Chauvin qui nous empêcheront de gouter l’hommage, les pièces données se révélant parmi les plus intéressantes du compositeur.

Crédit : FIC – Bertrand Schmitt
Et si parmi ce programme les œuvres vocales se révèlent surtout des classiques, c’est dans une moindre mesure le cas de la première entonnée, la très célèbre cantate Cessate, omai cessate (composée vers 1720-1724), RV 684 sur laquelle Tim Mead dévoile un timbre d’une grande expressivité, une voix à la fois souple et structurée ainsi que des qualités de projection et de longueur de note le classant parmi les voix les plus appropriées à ce type de répertoire. Implorant, agile sur les modulations, gracile sur les suspensions, son interprétation de cette courte cantate vivaldienne ravit, culminant dans le second mouvement de la cantate où la voix est soutenue par les violons – dont un second violon en pizzicati – pour un moment éminemment vivaldien, tout en structure et en épure, comme une indépassable simplicité.
Une composition vivaldienne aussi sublime qu’épurée que nous retrouvons sur le désormais également classique Sovvente il sole (RV 146), aria « nouveau » de Vivaldi, celui-ci ayant été retrouvé dans les archives du conservatoire Benedetto Marcello de Venise en 2002 et figurant sur le dernier disque du Concert de la Loge (Alpha). Extrait d’un opéra collectif, Andromeda Liberata (1726), cet air se présente comme une longue supplique du chanteur portée par le violon, un violon ample, souple, entament avec un véritable dialogue avec la voix, sur cette œuvre dont le texte peut se lire comme une parabole de la renaissance, avec ce soleil luisant émergeant des nuages après la tempête. Une œuvre d’une fausse simplicité dont la beauté, évidente, la fait paraître dans nombre de programme ces dernières années et que Tim Mead sublime d’une voix incarnée.
Mais vocalement, l’œuvre la plus remarquable sera constituée par le Nisi Dominus (RV 608), motet sur la ferveur chrétienne assez classique dans sa thématique, mais dont les différents mouvements, composés par Vivaldi comme une démonstration de l’éventail de sa maîtrise de composition révèlent joués à la suite dans leur intégralité une saveur toute particulière, comme un soulignement de tous ses contrastes. A l’élan du mouvement introductif, beau témoignage du caractère à la fois solaire et enlevé qu’embrasse la musique de Vivaldi avec une même ferveur, succède deux sections plus calmes, où la voix n’est soutenue que par une discrète basse continue avant que Tim Mead ne débute le Cum Deterit, peinture évocatrice du sommeil, et démonstration de la richesse et de l’inventivité vivaldienne, sur cet air, particulièrement introspectif[2]. Un Nisi Dominus dont on retiendra également le vocalement virtuose Amen final, d’ailleurs ce soir repris en bis de fin de concert.

Crédit : FIC – Bertrand Schmitt
La Follia de Vivaldi est une œuvre qu’aussi bien le Concert de la Loge et Le Consort ont gravé dans leur récente discographie. Et nous n’avions pas caché à la sortie de la version du Concert de la Loge, notre préférence pour celle du Consort, plus nerveuse et optant pour plus de relief entre les différents instruments. Est-ce l’effet d’un rapprochement artistique entre Julien Chauvin et Hanna Salzenstein, la version de ce soir nous a semblé un heureux entremêlement des deux visions, Julien Chauvin gardant sa ligne de violon d’une belle amplitude et d’une mélodieuse souplesse, quand Hanna Salzenstein conservait une place majeure à son violoncelle, caverneux et grainé, pour une version séduisante tout au long du thème et de ses dix-neuf variations.
Cette Follia qui se décline comme un grand “tube” du répertoire Vivaldien, ce qui n’est pas tout à fait le cas des autres œuvres instrumentales du programme, dont l’écoute s’avère donc un plaisir d’autant plus délectable. C’est particulièrement le cas du Concerto pour violoncelle en sol mineur (RV 416), classique dans les trois mouvements de sa structure, mais qui au-delà de permettre d’apprécier le jeu délié et plein d’intensité de la violoncelliste, se remarquera aussi par son deuxième mouvement qui suit sans contraste la tonalité du mouvement initial, à l’inverse des usages de l’époque.
Et comme le violon se devait aussi d’avoir son moment de majesté, Julien Chauvin et son ensemble interprèteront le très intéressant Concerto pour violon et violoncelle en si bémol mineur (RV 547), se caractérisant par un Allegro initial mélodieux et vif alors que l’andante du deuxième mouvement subjugue par le dialogue que le compositeur instaure entre les deux instruments, épurant sa composition en réduisant au strict nécessaire l’orchestre pour laisser ces deux instruments solistes dans un dialogue intime, contribuant à faire de cette œuvre une figure majeure du répertoire pour ces deux instruments, avant que le mouvement conclusif ne vienne reprendre l’énergie et la fougue du mouvement initial.
Si elle fut exécutée en ouverture de programme, la Sinfonia en sol mineur (RV 146), aux lignes de cordes agiles et toute en délicieuses suspensions et subtiles modulations est venue nous rappeler d’entrée le caractère éminemment solaire et effervescent de la musique de Vivaldi, qui entre rupture de rythmes et apparent dépouillement de la composition s’impose au firmament de la musique baroque vénitienne tardive. Un concert comme un hommage aux talents multiples du compositeur que le Concert de la Loge, Tim Mead et Hanna Salzenstein ont ce soir porté au pinacle.
Pierre-Damien HOUVILLE
[1] Pour un enregistrement consacré aux Quatre Saisons et à quelques autres pièces (Alpha-Classics, 2023)
[2] Nous soulignerons que ce Cum Deterit, est souvent repris au cinéma, au moins depuis une dizaine d’année et le magnifique ballet funèbre qu’il illustrait dans le James Bond 007 Spectre, où Monica Bellucci, talons sur le marbre de son palais retirait ses boucles d’oreilles dans une scène magnifiquement chorégraphiée et mise en lumières, sur la voix D’Andreas Scholl.
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