Rédigé par 22 h 18 min CDs & DVDs, Critiques

Une merveille d’équilibre

On ne peut pas dire qu’André Campra soit méconnu ; les mélomanes le connaissent. Pour autant, connaît-on vraiment sa musique ? Rares sont les œuvres lyriques enregistrées — son Europe galante n’est pour beaucoup qu’un titre, et on attend toujours une parution discographique pour pallier à la faible version Leonhardt

André CAMPRA (1660-1744)

Jesu amantissime
Petits motets pour voix d’hommes

[TG name=”Liste des morceaux”]

O Jesu amantissime
Beati omnes
Immensus es, domine
Quam dilecta
Salvum me fac deus

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Jean-François DANDRIEU (1682–1738)

Extraits des Magnificat pour orgue en ré mineur, sol majeur et la mineur
Sonate en trio en ré mineur

Jean-François Lombard, haute-contre
Jean-François Novelli, taille
Marc Labonnette, basse 

Les Folies françoises
Patrick Cohën-Akenine, dessus de violon et direction 

64’38, Cypres, 2012

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On ne peut pas dire qu’André Campra soit méconnu ; les mélomanes le connaissent. Pour autant, connaît-on vraiment sa musique ? Rares sont les œuvres lyriques enregistrées — son Europe galante n’est pour beaucoup qu’un titre, et on attend toujours une parution discographique pour pallier à la faible version Leonhardt (encore ne s’agissait-il que d’extraits) —, même si Tancrède et Idoménée ont été rejoints récemment par Le Carnaval de Venise ; la cantate française est peu fréquentée, et ses motets le sont moins encore : les grands motets ont bien fait l’objet d’un disque des Arts Florissants, mais en ce qui concerne les petits, dont quatre livres ont été publiés entre 1695 et 1706, on aura peine à trouver les disques qui leur ont été consacrés.

À cet égard, on saluera avec bienveillance l’initiative des Folies françoises et de leur directeur, qui ont puisé dans les livres I, II et IV pas moins de cinq motets aux formations diverses : trois voix et deux dessus de violon, trois voix sans dessus, deux voix et deux dessus, une voix et un dessus, toujours avec la basse continue. L’instrumentation est sobre : deux dessus de violons, reconstitués à l’initiative de Patrick Cohën-Akenine et du Centre de musique baroque de Versailles, une basse de violon, un orgue — mais pas n’importe lequel : celui de l’abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache, une splendeur d’ailleurs mise en valeur par les « intermèdes » aménagés entre les motets, des extraits de plusieurs Magnificat de Dandrieu. S’ajoutent encore à ces pièces une belle sonate en trio du même Dandrieu.

Dans toutes les pièces, chanteurs et instrumentistes livrent une performance irréprochable, que ce soit en terme de maîtrise technique — nul ne semble jamais en difficulté —, de qualité de phrasé ou de beauté des timbres. Chaque piste livre un plaisir hédoniste du beau son. Par ailleurs, l’équilibre entre tous est parfait : aucune voix, qu’elle soit chantée ou jouée, n’est « mangée » par les autres, et chacune est habilement mise en valeur.

L’ombre au tableau ? L’absence de tension, de sensualité, de fusion entre les trois voix. Il faut dire que l’émission principalement en fausset de Jean-François Novelli, bien qu’idéalement maîtrisée y compris dans le grave de la tessiture, se fond mal avec le timbre plus doucement tendu de Jean-François Novelli ; la basse Marc Labonnette, au timbre chaleureux, semble souvent rester un peu en retrait des autres, comme s’il y avait une crainte de trop appuyer — car la basse chantante rejoint souvent la basse continue. Tout cela fait qu’hormis les pièces instrumentales — où les deux archets de dessus semblent souvent n’en être qu’un seul — ce sont finalement les passages en petits effectifs qui sont les plus réussis, comme le Beati omnes où le dessus de violon de Patrick Cohën-Akenine dialogue avec aménité avec Jean-François Novelli. De même, le début du « Dulcis Christe » dans l’Immensus es Domine est chanté par Jean-François Lombard avec ferveur, accompagné par un orgue idéalement doux et délicat, et nous ravit ; l’entrée progressive des voix dans ce mouvement lent en fait la réussite.

On ne peut pas dire que l’on s’ennuie, ce serait mentir. Il y a des passages magnifiques, nous l’avons dit. Mais il s’agit avant tout d’un plaisir intellectuel, bien plus que de séduction des sens — ce qui n’est pas un mince paradoxe quand on sait la beauté des timbres que nous avons déjà évoquée ! Il en résulte un disque exemplaire, bien que peu séduisant, un disque qui se réécoute avec intérêt — voire même avec un intérêt croissant.

Loïc Chahine

Technique : bon enregistrement. Aucune remarque particulière.

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 9 novembre 2020
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