Rédigé par 9 h 28 min CDs & DVDs, Critiques

Qui ne serait attristé ? (Pergolesi, Stabat Mater, Röschmann, Daniels, Biondi – Erato)

qui aime bien châtie bien. Et nous espérons que le grand Maestro ne va pas jouer aux fléchettes sur notre portrait. Eh bien, c’est un beau jour pour mourir, alors lançons-nous. Voici un enregistrement qu’il vaut mieux discrètement radier de la discographie du Maestro.

Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736)
Stabat Mater
Salve Regina en fa mineur
Salve Regina en la mineur

Dorothea Röschmann, soprano
David Daniels, contre-ténor

Europa Galante,
Direction Fabio Biondi

Erato, Warner Classics, Enregistré à Bruxelles les 6-9, 11-14 août 2005, 57’13.

Qui ne serait attristé ?
Depuis des années, nos ne cachons pas notre admiration fanatique du Maestro Fabio Biondi. Son Estro Armonico dont il nous dédicaça un exemplaire chéri (Virgin) et ses autres incursions vivaldiennes ont été fréquemment critiquée sur nos pages, dans une prose louant sans réserve la virtuosité lumineuse et spontanée, l’enthousiasme jouissif, les couleurs, les textures, l’optimisme et le clair-obscur. On a suivi Biondi dans les Concerti Grossi haendéliens, admirables de contrastes, reliftant une partition qu’on avait trop délaissée pour son conformisme plan-plan, on l’a suivi dans des opéras inégaux mais où la beauté affleurait. On l’a connu chez Leclair, soit dans sa veine française élégante, soit dans son italianité fière. “Viva il Maestro Biondi !” avons-nous partout clamé. 

Pas partout. Et qui aime bien châtie bien. Et nous espérons que le grand Maestro ne va pas jouer aux fléchettes sur notre portrait. Eh bien, puisque c’est un beau jour pour mourir, lançons-nous.

Le confinement a ceci de bon que l’on réorganise sa discothèque de référence (au grand dam de ses amis : “comment ? tu classes par genre, compositeur et époque tes coffrets au lieu de tout mettre dans un disque dur ou écouter en streaming ?”, autre débat).  Et que l’on retrouve des galettes oubliées. Parmi celles-ci, aux côtés des versions de référence de Gérard Lesne et Sandrine Piau (Virgin), de Rousset (Decca) de Pierlot (Mirare) ou de René Jacobs (Harmonia Mundi), soudain émerge une jaquette verdâtre et prometteuse. Un couple légendaire : Dorothéa Röschmann et David Daniels, sous la férule du Maestro Biondi pour une œuvre rabâchée mais sublime qu’on ne présente plus (et que même le Vieux Bach parodia dans son Psaume 51 BWV 1083, cf. le superbe enregistrement de Thomas Hengelbrock chez DHM). 

Le critique se cale confortablement dans son canapé, ferme les yeux et… patratas. Il éteint l’ampli, frotte les fiches bananes plaquées or des contacts, tente d’écouter une seconde fois. Patatras de nouveau. Alors, il se décide, résigné et tremblant, à offrir aux lecteurs une brève nodule. Celle d’une immense déception. Car nous ne comprenons pas comment l’insubmersible Titanic a sombré si complètement. 

Passons sur la maigreur des effectifs, 3 violons dont Fabio Biondi, l’excellent violoncelle de Maurizio Naddeo, une contrebasse, théorbe et orgue. C’est peu mais dégraissé, et Europa Galante a fait des merveilles de transparence jouissive de cette phalange-là, tout comme Il Seminario Musicale et autres consoeurs. Mais dès l’introduction instrumentale, le violon de Biondi se révèle.. étonnamment plat et inexpressif, les tempi pressés, compressés, hâtés sans énergie vitale, sans éloquence ni suggestivité. On attend les voix, et voici Dorothea Röschmann. On connaît son soprano ciselé chez Bach avec Ton Koopman, ses réalisations opératiques avec Jacobs, son sens du phrasé, son art du mot. Mais là encore, l’inspiration n’est point au rendez-vous : vibrato permanent, articulation courtes, l’avion ne décolle pas. Le “Cujus animam” souffre d’une Europa Galante mondaine et peu impliquée, et d’une soprano aux aigus tendus et au discours perlé (pertransivit aux trilles outrés digne d’une soubrette des Noces de Figaro ouvrant son placard pur y trouver Chérubin), peu impliquée dans l’intimité du texte d’une “âme abattue, gémissante et désolée” qui ici lorgne sur l’air de concert.  

Face à elle, l’autre monstre vocal, David Daniels, bouleversant ténor à l’humanité à fleur de peau (Didymus bouleversant de la Theodora handélienne mise en scène par Peter Sellars) est à la peine. Est-il perplexe face à l’approche du chef ? Le “Quae merebat” est carrément dansant et Daniels, d’une voix blanche et peu investie, enchaîne les mesures. 

On cherchera de même l’osmose planante dans les duos : seul le “Ut ardeat” tire un peu son épingle du jeu, car l’approche opératique et théâtrale s’y prête mieux. Mais que dire de l’immense échec de la brutalité sèche du mouvement initial où les voix s’entrechoquent au lieu de se glisser  au pied de la croix, se noyant peu à peu dans l’écho sensuel de l’océan de pleurs où l’extrême désespoir rejoint la beauté la plus incandescente (Juxta crucem lacrimosa), que dire de cet apex conclusif du “Quando corpus morietur” bâclé si distraitement. Certes, enfin, le violon de Biondi s’y épanche enfin et le chef adopte un tempo plus mesuré, mais nulle émotion, ni fusion dans ce face à face glacé et narcissique, à la ligne boursouflée, marbre hautain sans respiration ni humanité. Nous sommes hélas durs dans notre récession, à la mesure de nos regrets, car nous avons recherché l’affliction et l’homme autour de cette crucifixion, et n’y avons trouvé que les mignardises d’un crucifiement de salon. 

Heureusement, le Salve Regina en fa mineur, malgré les mêmes réserves notamment un orchestre plus de chambre que d’église, permet à David Daniels de s’exprimer avec davantage d’abandon et de spiritualité, avec des articulations plus amples. Toutefois, l’émission est comme engorgée et voilée, les graves forcés ; demeurent les aigus à la transparence lunaire, un brin métalliques. 

En revanche le second Salve Regina en la mineur, à la partition déjà moins inspirée que les autres œuvres au programme (tous deux souvent couplés au Stabat car stylistiquement très proches) confié à Dorothea Röschmann s’avère éprouvant : voix pincée, rondeurs complaisantes, ligne maniérée, souffle court et ultra-opératique (“Ad te clamavus” expédié à la manière d’une petite cantate profane de célébration). 

Voici un enregistrement qu’il vaut mieux discrètement effacer de la discographie du Maestro, peut-être était-ce une commande honorée de mauvaise grâce et sciemment sabotée ? Hypothèse plausible quand on connaît le sens de l’humour généreux du musicien. D’ailleurs, d’autres que nous semblent vouloir le sauver de cet errement pergolésien : le disque paraît épuisé. Péché ignoré est à moitié pardonné.

 

Sébastien HOLZBAUER

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 18 novembre 2020
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