Rédigé par 21 h 16 min CDs & DVDs, Critiques

Mozart, quand jeunesse ne lasse (Orchestre du Jour, Piérot, Zylberajch – Sonanero)

“Mozart à 20 ans”
Concerto di violino (KV 219) en la majeur (décembre 1775)
Concerto per il clavicembalo (KV 271) en mi bémol majeur (janvier 1777), écrit pour Victoire Jenamy. 

Orchestre du Jour
Alice Piérot, violon et direction
Aline Zylberajch, pianoforte
Enregistré en septembre 2017 à La Courroie, Entraigues-sur-la-Sorgue (Vaucluse)

1 disque, Sonanero, 2021, 59′

“J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.” Avouons que nous n’avons jamais vraiment goûté le pourtant si célèbre incipit d’Aden Arabie (1931) de Paul Nizan, dont l’existentialisme déprimé est un brin lassant. Tout le contraire des vingt ans du jeune Mozart qui ne riment qu’avec fantaisie et légèreté, reflets d’une vitalité, d’une curiosité et d’une modernité qui irriguent les deux œuvres ici gravées, les célèbres Cinquième concerto pour violon (KV 219) et Neuvième concerto pour piano (KV 271).

Fallait-il une nouvelle fois graver ces deux œuvres, dont la discographie compte assurément plusieurs dizaines de références chacune et que le mélomane le moins averti a en tête ? Oui, car c’est la qualité première des bonnes choses de ne pas créer de lassitude et l’Orchestre du Jour, sous la direction précise et mesurée d’Alice Piérot, sait nous ravir, offrant de ces deux standards mozartiens une interprétation fluide et aérienne. Face à une partition aussi connue, délaissons le rappel historico-musicologique pour simplement partager l’admiration ancillaire d’Alice Piérot à sept ans, découvrant l’œuvre sous l’archet de David Oïstrakh, et son long cheminement, entre attirance et timidité qui la mènera au présent enregistrement. Car au-delà d’une discographie si intimidante, il y a chez Mozart de fausses facilités, une séduction de l’ouïe se révélant souvent pour le bras conduisant l’archet autrement plus compliquée à aborder. Alice Piérot sait se déjouer des pièges du jeune Mozart et offre une interprétation où dominent à la fois la vivacité et la précision des accroches, l’œuvre se faisant sous son archet aussi gracieuse que gambadante. Parfois champêtre, parfois virevoltant, le violon (un instrument contemporain que l’on doit au luthier marseillais Jérémy Chaud en 2012 mais inspiré du Lord Wilton de Guarneri del Gesu de 1742)  sait ne jamais se départir d’un beau relief et habilement soutenu par la gracilité de l’orchestre rend palpable toute la jeunesse et la modernité de la partition du jeune Mozart. Le premier mouvement, un Allegro aperto ne peut que mettre en joie avant que l’Adagio du deuxième mouvement ne révèlent déjà quelques tonalités slaves qui s’accompliront dans le troisième mouvement, à la fois sensible et explosif, essence même de la jeunesse, dans un court intermède sage ou orageux et dans lequel la violoniste et cheffe d’orchestre articule à merveille les rapports entre son instrument en soliste et la fougue instrumentale de l’orchestre, dans un jeu de domination réciproque parfaitement dosé. S’inspirant du rythme des Csardas, danses traditionnelles hongroises, Mozart nous offre l’un des morceaux les plus connus de ses années de jeunesse, ici parfaitement honoré, jusqu’au pizzicato final, merveilleusement sensible. Alors, devrions-nous être chagrins en précisant qu’Alice Piérot souligne peut-être exagérément pour notre sensibilité baroque les accents romantiques de la partition de Mozart ? C’est assurément un choix d’interprétation et si souvent son Mozart prend des accents beethovéniens, reconnaissons que nous n’y fument pas insensibles, quitte à faire une légère entorse à nos amours premières.

Partition manuscrite du concerto pour piano KV 271. © wikimedia commons

Toujours à la baguette, Alice Piérot laisse la partie soliste à Aline Zylberajch pour l’interprétation du Neuvième concerto pour piano de Mozart, écrit initialement pour clavecin. La claviériste a choisi de l’interpréter sur un pianoforte Pleyel de 1830 classé monument historique et récemment restauré. Là encore, l’entrée du piano concomitamment à l’orchestre souligne la rupture avec un certain académisme classique et préfigure une fois de plus Beethoven (on pensera au cinquième concerto pour piano pour cette entrée en matière, et au premier et deuxième pour les tonalités et le rythme). Une fois encore, et pour notre plus grande satisfaction, l’Orchestre du Jour et Aline Zylberajch se jouent de toutes les difficultés, présentant une interprétation dans laquelle l’orchestre se fait coulant et où est magnifié, dans le premier mouvement, le dialogue entre le pianoforte et l’orchestre, dont la fougue sait à la fois être tempérée et soutenue. De ce concerto, surnommé « jeune homme », nous soulignerons que jeunesse peut aussi rimer avec gravité et équilibre, tant l’Andantino du second mouvement sait émouvoir, là encore émouvant par ses accents slaves, préfigurant tout un pan de la musique romantique de Beethoven à Smetana en passant par Schubert. Le très mozartien troisième mouvement ne dépareillera pas d’un enregistrement marqué par une salvatrice fraicheur, arrivant à donner à ces deux classiques de jeunesse un goût de nouveauté.

 

                                                                   Pierre-Damien HOUVILLE

 

Étiquettes : , , Dernière modification: 11 février 2022
Fermer