Nicola Matteis (c.1650 – c.1700)
False consonances of Melancholy, Ayres for the violin
Gli Incogniti
Amandine Beyer, violon et direction.
70’58, Collection Sablé, Zig-Zag Territoires, 2009.
[clear]
Pour le passionné de musique baroque il est souvent des personnages qui demeureront dans le mystère de leur époque. Le temps, n’épargnant en rien les visages, les registres de naissance et la matière vivante, seule la création exprime un semblant d’éternité. Tel est le cas de compositeurs tel Nicola Matteis. Les dates de sa naissance et de son trépas sont approximatives, les témoignages se rencontrent, se démentent et disparaissent. Nous savons qu’il était fort apprécié dans le Londres des années 1670, mais qu’il mourut dans la misère et la débauche.
Issu de Naples, ville encore espagnole sur la carte et dans les mœurs, on lui doit une méthode pour jouer le violon, et des airs aux consonances hétéroclites, à la fois passionnément espagnoles, d’un raffinement italien et de construction allemande. Comme le feront plus tard les compositeurs de l’école napolitaine tels Leo, Vinci ou Pergolesi, Matteis inclue déjà dans ses Ayres des sonorités populaires et des échos “folk” dans l’interprétation.
En réunissant dans un seul disque une diversité d’airs pour le violon, la guitare seuls et avec un accompagnement, le pari était risqué. Dans ce genre de récital, bon goût et équilibre sont de rigueur pour montrer l’amplitude du génie de Matteis et présenter une lecture didactique de son œuvre. Dans son propos introductif, Amandine Beyer nous explique sa démarche avec humilité : « Afin de rendre sensible tous les changements d’affects et les bizarreries, nous avons donc tenté de suivre le “conseil pour bien jouer” qu’il [NdlR : Matteis naturellement] donne dans The False Consonances of Musick : “Vous ne devez pas jouer toujours pareil, mais des fois fort et des fois doux, selon votre fantaisie, et si vous rencontrez quelques notes Mélancholiques, vous devez les jouer doucement et délicatement”. Et veuillez croire que tous les efforts ont été mis en œuvre pour trouver ces notes mélancoliques et vous les faire partager…”
« Et pourtant elle tourne ! » Car dès les premiers accords de la Sonate qui ouvre le disque, nous voici à parcourir un monde d’émotions avec des nuances, où des couleurs différentes ornent chaque pièce. Parmi ce bouquet en fleurs, nous distingons Le Diverse bizzarie Sopra la Vecchia Sarabanda ò pur Ciaccona dont le rythme à la gradation inégalable des chaconnes et des tarentelles napolitaines s’avère hypnotique. Les Airs à caractère tels Aria Malincolica, la splendide Aria Amorosa, la sautillante Aria Burlesca se détachent avec panache et dévoilent la maîtrise des timbres instrumentaux de Matteis et la sensibilité d’Amandine Beyer et de Gli Incogniti. L’ironie, la mélancolie, le sentiment amoureux, les “musical humors” que les britanniques connaissent bien depuis cet autre “O.V.N.I.” qu’était Tobias Hume, sont transmis avec délicatesse et sensibilité au fur et à mesure de la succession de pièces.
Cette redécouverte ne serait rien sans la profondeur gourmande du jeu d’Amandine Beyer, que ce soit en soliste ou en chef, qui rend remarquablement le prisme des “goûts réunis” de ce napolitain rompu aux canons allemands adoptés par les Anglais. Les Incogniti sont splendides de justesse et de cohérence : Baldomero Barciela à la viole de gambe et Anna Fontana au clavecin mènent brillamment la troupe dans le continuo. Matteis passant pour un guitariste redoutable, ses pièces sont des morceaux de choix pour les cordes pincées, défi que Francesco Romano et Ronaldo Lopes relèvent avec brio.
Et l’on a l’impression que Nicola Matteis est peu à peu, note à note, accord après accord, dévoilé par ce récital d’une tenue qui le dispute à l’enthousiasme. Car Amandine Beyer et Gli Incogniti ont saisi que le véritable Matteis ne repose pas dans le silence des bibliothèques, mais dans l’inspiration inventive et brillante de sa musique. Et nous l’avons désormais également compris. Enfin, les mélomanes gagnés par le compositeur se tourneront également vers l’excellent enregistrement d’Hélène Schmitt paru chez Alpha l’année dernière.
Pedro-Octavio Diaz
Technique : claire, raffinée, les instruments sont bien mis en avant