Rédigé par 15 h 09 min CDs & DVDs, Critiques

Grain de sel (Mara, Grauel, Hertel, Abel, Concertos pour violoncelle – Choï, Ensemble Diderot, Prahmsoler – Audax)

Concertos pour violoncelle du Nord de l’Allemagne

Ignac Frantisek Mara (1709-1783)
Concerto en Do majeur

Markus Heinrich Grauel (vers 1720-1799)
Concerto en La majeur

Johenn Wilhelm Hertel (1727-1789)
Concerto en La mineur

Carl Friedrich Abel (1723-1787)
Concerto en Si bémol majeur

Ensemble Diderot :
Gulrim Choï, violoncelle (J. Simpson, milieu dix-huitième)
Johannes Pramsohler, violon  et direction (P. G Rogeri, Brescia, 1713)
Roldan Bernabé, violon (R. G Hargrave 1992, d’après G. Cappa)
Alexandre Baldo, viole (T. Muthesius 1992, d’après J. Stainer)
François Leyrit, contrebasse (Oskar Kappelmeyer 2019, d’après J.J Stadelmann)
Jandran Duncumb, théorbe (Lars Torresen 2021 d’après S. Schelle) et Luth baroque (T. Johnson 2012 d’après Unverdorben/Buchstetter).
Philippe Grisvard, clavecin (Christoph Kern 2015 d’après M. Mietke)

1 CD, Audax Records, 2022, 64′.

Voici encore un opus qui s’ajoute au très riche catalogue des enregistrements de l’Ensemble Diderot dirigé par Johannes Pramsohler. Dans cette pléiade discographique le violoniste se fait une fois de plus explorateur, quasi archéologue d’un répertoire germanique qui ne demande qu’à être exhumé.

On se rappellera au titre des intéressantes mises en lumières The Berlin Album (Audax), chroniqué en ces pages et révélant quelques compositeurs prussiens, ou plus anciennement Bach & Entourage (Audax), consacré aux sonates pour violons du grand Bach et de quelques-uns de ses contemporains (Krebs, Graun etc.). Ce nouveau disque est dédié aux concertos pour violoncelle de compositeurs ayant notamment comme point commun d’être passé par Dresde (et souvent par Berlin) au cours de leur carrière. Il représente également le premier enregistrement soliste de la violoncelliste Gulrim Choï, partenaire habituelle de l’Ensemble Diderot depuis 2014.

Pourquoi graver des œuvres tardives du répertoire baroque, à la césure d’un classicisme qui se ressent tant dans la place laissée au soliste que dans la structure de composition ou encore la sensibilité appuyée des partitions ? La réponse est limpide et l’Ensemble Diderot en fournit la lumineuse, optimiste et théâtrale démonstration dès les premières mesures du concerto en Do majeur d’Ignac Frantisek Mara (1709-1783), en première mondiale. Le violoncelle s’y déploie, éloquent et lyrique, enfin émancipé de son rôle de simple accompagnement de basse en Italie par Vivaldi et en Allemagne par Jean-Sébastien Bach. On goûte la capacité de Gulrim Choï à déployer l’admirable panoplie chromatique de l’instrument. Si le premier mouvement, un Allegro enlevé, un peu hussard, s’avère plaisant mais conventionnel, le mouvement central est digne d’intérêt, bel Adagio à la large palette d’affects du ténébreux au mélancoliques peints d’un archet ample et souple, exprimés d’un timbre à la résonnance délicieusement boisée, avant qu’un Presto aux airs de gigue acrobatique ne vienne conclure harmonieusement. [NdlR : nous relèverons de manière anecdotique que le violoncelle Stradivarius « Mara » de 1711 ayant appartenu à Johann Baptist Mara, fils du présent compositeur, se trouve actuellement joué par Christian Polterra, notamment membre du Trio Zimmermann.]

Autre première mondiale : le concerto en La majeur de Markus Heinrich Grauel (vers 1720-1799), qui ne nous laisse que peu d’informations sur sa carrière, œuvre harmonieuse sans être remarquable et dont nous soulignerons là encore le mouvement central, d’une grande et belle simplicité, assez caractéristique de l’Empfindsamkeit, typique de cette sentimentalité des adagios. L’œuvre ravira le curieux mais son classicisme de bon aloi, une certaine obstination à bien faire de la part du compositeur, inhibent toute fantaisie et ne dépasse pas l’amusement musical.

Johann Wilhelm Hertel (1727-1789) partage avec son compatriote Markus Heinrich Grauel la même ville de naissance, Eisenach (Thuringe) et indéniablement quelques proximités stylistiques. Sans doute encore plus que son compatriote il s’épanouit dans l’Empfindsamkeit, nous gratifiant au passage d’un premier mouvement sensible et galant dans lequel l’accompagnement entièrement dévolu aux cordes n’hésitent pas à régulièrement prendre le dessus, au risque d’écraser parfois le relief de l’ensemble. L’Adagio, sensible mais frôlant parfois le maniérisme, reste dispensable malgré la qualité de l’interprétation et c’est finalement le troisième mouvement que nous retiendrons de cette œuvre, en Allegro virevoltant, fier comme un hymne et dont la mélodie a la simplicité et la saveur des airs restant au cœur.

La postérité ne fut pas toujours tendre avec Carl Friedrich Abel (1723-1787), souvent perçu comme un simple élève et continuateur resté dans l’ombre du grand Jean-Sébastien Bach, un virtuose de la viole de gambe dans un temps où elle était déjà désuète. Pourtant, si ce dernier fit en effet son apprentissage au sein de l’environnement artistique, pour le moins foisonnant et inspirant de Bach, jusqu’à être le partenaire de certains de ses enfants, il composa et ce bien avant son départ pour Londres en 1759. Pour preuve ce concerto pour violoncelle en Si bémol majeur, qui dès le premier mouvement fait preuve d’une belle construction mélodique, souvent plus complexe que ses contemporains associés au programme et qui, prouvant qu’il connait parfaitement les possibilités offertes par l’instrument, le pousse dans des registres aiguës assez inhabituels. Le premier mouvement est en cela assez caractéristique de l’œuvre et si le mouvement central, mélodieux en tous points mais plus conventionnel laisse un peu sur sa fin, c’est sur un final sur un Allegro tout en retenue qu’il conclue une œuvre révélatrice d’un talent qui ne demande qu’à être réévalué. Tout au long de ce voyage, l’accompagnement orchestral ciselé et précis de l’Ensemble Diderot, fluide et souple, d’une vitalité tendre, met fortement en valeur la soliste et insuffle une atmosphère joyeuse et souriante à ce répertoire moins mignard qu’il n’y paraît.

 

                                                                                              Pierre-Damien HOUVILLE

Technique : enregistrement précis et clair.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 19 août 2022
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