Rédigé par 15 h 12 min CDs & DVDs, Critiques

Pur et profond (Bach & Entourage, Pramsohler, Grisvard – Audax)

Bach et Entourage : un disque que nous recommandons chaudement, qui saura ravir les oreilles avides des sonorités du violon baroque et dont nous prendrons un réel plaisir à suivre la carrière, encore jeune, mais prometteuse, des deux interprètes.

Bach & Entourage

Jean-Sébastien Bach  (1685-1750): Sonate pour violon et basse continue BWV 1024.
Anonyme (attribué à Bach) : Sonate pour violon et basse continue BWV Anh. II 153
Johann Georg Pisendel (1687-1755): Sonate pour violon seul
Johann Ludwig Krebs(1713-1780) : Sonate pour violon et basse continue, Krebs-WV 311
Johann Gottlieb Graun (1703-1771): Sonate pour violon et basse continue, Graun WV : Av : XVII : 35
Jean Sébastien Bach : Fugue pour violon et basse continue, BWV 1026.

Violon Baroque : Johannes Pramsohler
Clavecin : Philippe Grisvard

Audax Records, mars 2015, 65’11.

Entourage
Fureter dans l’entourage du grand Jean-Sébastien Bach ! L’idée apparaît d’emblée séduisante et se révèle rapidement alléchante à l’écoute de ce disque, sobrement intitulé Bach & Entourage, se proposant de mettre en lumières quelques sonates pour violon et clavecin de compositeurs ayant gravité dans l’influence de l’illustre compositeur allemand, sans connaître ni sa renommée ni sa postérité. Mais l’éclat du plus illustre compositeur de la famille Bach ne doit pas faire oublier la richesse et la fécondité de la musique allemande du milieu du XVIIIème siècle, subtilement dévoilée et mise en relief dans un programme éclairant et cohérent.

Doit-on à Jean-Sébastien Bach ou à Johann Georg Pisendel (1687-1755) la composition de la fameuse Sonate en Do mineur (présente dans le catalogue BWV sous le numéro 1024) pour violon et basse continue qui ouvre le disque ? Laissons aux exégètes le loisir d’en discuter la paternité. Ce qui est certain, c’est que Pisendel, l’un des plus illustres violonistes de son temps, rencontra Bach en 1709, avant de devenir un proche de Telemann et de voyager en Italie durant plus de deux ans, développant une solide amitié avec Vivaldi, qui lui dédiera plusieurs œuvres, avant de revenir à Dresde, où il se montrera, en tant que Kappellmeister à la cour de Saxe à partir de 1728, un habile diffuseur des influences italiennes dans la musique allemande du premier dix-huitième siècle. Bach et Pisendel, se rencontrèrent, s’apprécièrent et s’influencèrent si bien que la paternité réelle de l’œuvre apparaît comme une question de second plan. La pièce débute par un très bel Adagio très lyrique, aux accents faussement albinoniens. S’y distinguent la grâce et la légèreté de l’archet de Johannes Pramsholer, son violon au timbre grainé et lumineux, une générosité poétique du discours, brossé avec une éloquence large. Succède un Presto virevoltant, quoique trop sec où violon et clavecin se répondent avec une virtuosité du plus bel effet mais un souffle court, parfois pressé, hésitant entre virtuosité démonstrative et retenue bondissante. Il en résulte un ensemble pressé mais haché, refusant l’italienité solaire, pour ne se relâcher que dans les derniers accords arpégés.  Après le court repos de l’Affectuoso, d’une tendresse douce, les deux interprètes se retrouvent dans un Vivace enlevé venant clôturer une sonate laissant l’occasion à Johannes Pramsohler & Philippe Grisvard de démontrer l’étendue de leur talent respectif et de leur entente commune.

On admirera tout particulièrement la Sonate en La mineur BWV Anh. II 153, attribuée à Jean-Sébastien Bach, à l’Andante mélancolique, à l’Adagio superbement languissant que vient clore, après un Allegro moins original, une fugue emballée de toute beauté.

Après deux premières œuvres à la paternité hésitante se dévoile à nos oreilles une Sonate en La mineur, pour violon seul, de Pisendel, sans doute l’œuvre la plus faible du programme, oscillant souvent entre académisme et âpreté, dont le caractère minéral ne ravira que les partisans d’une beauté sans fioritures.

Plus intéressante s’avère être la Sonate pour violon et basse continue de Johann Ludwig Krebs (1713-1780) proposée en suite de programme. Fils d’un organiste de Weimar, ayant lui même reçu une solide formation sur cet instrument, Krebs a treize ans en 1726 quand il est élève à l’école de l’église Saint-Thomas de Leipzig dont le cantor n’est autre que Jean-Sébastien Bach, dont il reçu donc très directement l’enseignement. Nous y remarquerons surtout un mouvement initial Grave sinueux et à la nostalgie presque tragique, où hélas le clavecin ductile et aéré de Philippe Grisvard est capté trop discrètement ; un Allegro final énergique, tendu, offrant un beau crescendo dramatique.

Johann Gottlieb Graun (1703-1771) fut également un violoniste réputé, élève de Pisendel à la Kreuzschule de Dresde avant de se rendre à Prague en 1723 où il fréquente Tartini, alors en résidence. Entré par la suite au service du Kronprinz de Prusse Frédéric (futur Frédéric II) à Rheinsberg, il aura parmi ses élèves Wilhelm Friedemann Bach, fils aîné de Jean-Sébastien qui tenait à ce que ses enfants se forment à d’autres oreilles. Sa Sonate en Sol majeur pour violon et basse continue se distingue par une Sicilienne mélancolique et un Allegro final où une fois de plus Johannes Pramsohler nous démontre la plus parfaite maîtrise de son instrument, un Pietro Giacomo Rogeri produit à Brescia en 1713.

Beau choix qui se termine par une fugue en Sol mineur (BWV 1026) de Bach, très représentative du style du Maître, tout en énergie retenue.

Au delà de la pertinence des œuvres choisies, il nous faut saluer la démarche du jeune label Audax Records, fondé en 2013 à l’initiative de Johannes Pramsohler lui-même, avec la ferme volonté de proposer des enregistrements de haute qualité d’œuvres souvent négligées du répertoire. Le pari est tenu tout au long d’un disque à l’interprétation homogène, et aux sonorités pures, aux articulations profondes, où le dialogue des deux instruments est bien articulé.

Au final, voici un disque que nous recommandons chaudement, au répertoire intéressant quoi qu’inégal, qui saura ravir les oreilles avides des sonorités du violon baroque, deuxième enregistrement d’un duo encore jeune, mais prometteur, des deux interprètes.

 

Pierre-Damien Houville

Technique : excellente prise de son, chaleureuse, équilibrée et avec une belle texture des timbres instrumentaux, même si on soulignera, infime bémol, que le violon est parfois un peu trop mis en avant.

 

 

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 23 novembre 2020
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