Rédigé par 22 h 05 min CDs & DVDs, Critiques

Magnificat !

On ne présentera plus les protagonistes de ce disque, ni Philippe Pierlot qui ne manque pas de nous enchanter, qu’il soit à la viole ou bien à la baguette, ni le Magnificat, et encore moins son compositeur, qui commence à avoir sa petite réputation dans le milieu, tous des individus très fréquentables, que votre dévoué serviteur ne se lasse toujours pas de louer inlassablement dans ses papiers verts.

Jean-Sébastien BACH (1685-1750)

Magnificat

 

Magnificat BWV 243
Fuga sopra il Magnificat BWV 733
Missa brevis BWV 235
Präludium und fuga in G BWV 541

Maria Keohane, Anna Zander (soprani), Carlos Mena (alto), Hans-Jörg Mammel (ténor), Stephan MacLeod (basse) 

Sophie Gent (violon conducteur), Francis Jacob (orgue)
Ricercar Consort
Direction Philippe Pierlot.

1 CD 65’ + 1 DVD de reportage sur l’enregistrement, Mirare, 2009.

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On ne présentera plus les protagonistes de ce disque, ni Philippe Pierlot qui ne manque pas de nous enchanter, qu’il soit à la viole ou bien à la baguette, ni le Magnificat, et encore moins son compositeur, qui commence à avoir sa petite réputation dans le milieu, tous des individus très fréquentables, que votre dévoué serviteur ne se lasse toujours pas de louer inlassablement dans ses papiers verts.

Et en fait de louanges, que l’on se prépare encore à en être repu. Car dès l’ouverture, le Ricercar Consort nous entraîne avec lui, nous fait directement rentrer dans l’œuvre, nous prenant avec une superbe énergie, une puissante force, qui ne démentira jamais, nous laissant à peine le temps de reprendre notre souffle d’une aria à l’autre, lancés que nous sommes avec lui et joie (oui, zeugma). Mais attention, n’allez pas croire que cette énergie ne se calme jamais et balaie tout sur son passage, bien heureusement, car cette fougue n’empêche pas les nuances, avec des hautbois d’amour très langoureux dans le Quia respexit, des violons beaucoup plus graves, sombres dans l’ensemble dans le Desposuit potentes (et ce malgré un rythme soutenu), des hautbois très espiègles dans le tutti final de la messe dite brève, le Cum sancto spiritu, où ils s’amusent à filer avec l’ensemble, soutenus par le reste des dessus de l’orchestre. Car l’orchestre se porte, s’entraîne lui-même, emporté par Pierlot — c’est un tout, où chaque voix est importante, nécessaire, même s’il y en a forcément une au dessus des autres, celle du chant.

Mais évidemment, si chacun se soutient et avance de conserve, tous sont surtout soutenus et portés par un sublime continuo (entre le violoncelle de Rainer Zipperling, l’orgue de Francis Jacob et tous les autres dont les noms nous sont moins familiers, comment ne pas en réussir un superbe ?) ; un continuo d’une richesse rare, presque percussif, dès le Magnificat a tutti, d’un souffle puissant, dans le Kyrie de la messe, ponctuateur par les pizzicati des cordes, accolées à l’orgue qui y amène du liant dans le Esurientes… Très ample, il ronfle sous l’orchestre, gronde, avec une douceur généreuse, parfois presque menaçante (Et misericordia), à tel point que notre attention y est immanquablement toujours attirée.

Philippe Pierlot, on le sait, défend la théorie du One Voice per Part, comme il l’a montré dans ses précédents enregistrements de cantates de Bach, d’Actus Tragicus BWV 106 (Mirare, 2005) à Aus der Tieffen BWV 131 (Mirare, 2008). Un leonhardtien convaincu, comme l’auteur de la présente (malgré ses tendances parrottiennes à peine avouées), pourrait certes s’offusquer d’une telle idée. Mais c’est ici extrêmement convainquant. Car la cohérence et l’énergie des chanteurs donne parfois l’impression d’entendre un plein chœur bourré de ripienistes, avant de se permettre des passages plus intimistes, à quelques voix, très émouvants. Les voix chantées se complètent, s’harmonisent entre elles, et le mélange est très délicat et rare — personne n’essaie de faire croire à un chœur large et gros, mais au contraire, le parti pris est assumé et une attention extrême semble avoir été portée à chacune des voix, individuellement, et ce qu’elle rendent dans le tout. Et l’auditeur peut vraiment se concentrer sur la trame habile tissée par Bach.

En trio, les trois voix de dessus se mêlent, s’équilibrent, pour former une très belle matière (Suscepit Israel et surtout Sicut locutus, où elles sont rejointes par la basse qui vient les soutenir). Pris individuellement, dans leurs soli, chaque chanteur propose un son très intéressant, un timbre riche — peut-être un peu moins en ce qui concerne Hans-Jörg Mammel, qui, pourtant doué d’un très beau médium, se ferme un peu, reste horizontal, dans les aigus.

Anna Zander, soprano 2, soutient tout d’une voix charnelle bien assise, non dépourvue de souplesse ni de légèreté au demeurant. Mais il ne s’agit évidemment pas de la même légèreté que Maria Keohane, au timbre beaucoup plus aérien, qui résonne immensément dans la tête, aux amples harmoniques. Une voix non dénuée de puissance, mais d’une puissance éthérée qui monte forcément vers les voûtes célestes qu’elle vise.

L’alto, Carlos Mena, habitué du Ricercar (on ne compte plus le nombre de leurs disques en commun, ni des récompenses qu’ils ont cueillies ensemble), nous régale toujours de sa voix délicate bien placée, souple, jamais poussive, avec une belle rondeur. Les aigus sonnent, sans aigreur; il monte sans peine et sans voile.

Mais le plaisir le plus grand dans un disque du Consort, c’est, il va sans dire, Stephan MacLeod, déjà encensé, adoré, glorifié dans leur précédente publication, le De Profundis (Mirare, 2008). Une voix souple à l’extrême, comme rarement chez les basses, très ouverte, avec des harmoniques superbes qui résonnent partout et avec légèreté. Une voix magique, serions-nous tenté de dire — que ce soit dans les tutti ou dans ses arie, à la magie sans doute due à la grande humilité doublée de ferveur qui le porte et l’élève vers des hauteurs sacrées, tout en tenant la ligne, de ne jamais s’essouffler.

Notons avec plaisir, car il faut le signaler, que le disque s’accompagne d’un très beau film de Pierre-Hubert Martin, qui a filmé les sessions d’enregistrement. Un film poétique, calme, empli d’une superbe délicatesse — parfois la caméra suit simplement la main du chef, ou d’un chanteur dans ses mouvements, filme tendrement la campagne wallonne autour de l’église — et le charme opère ; nous en ressortons apaisé.

Charles Di Meglio

Technique : très bonne prise de son, avec une belle harmonie et une excellente précision.

Lire aussi :
“De Profundis”, œuvres de Bach, Bruhns, Buxtehude, Tunder, Stephan MacLeod, Ricercar Consort, dir. Philippe Pierlot (Mirare, 2008)
Jean-Sébastien Bach, Tombeau de Sa Majesté la Reine de PologneKatherine Fuge, Carlos Mena, Jan Kobow, Stephan MacLeod, Francis Jacob, Ricercar Consort, dir. Philippe Pierlot (Mirare, enr. 2006) 

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 9 novembre 2020
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