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Des expositions à croquer

Alors que s’ouvre la Semaine du dessin à Paris, deux grandes institutions, la Bibliothèque nationale de France et le musée du Louvre, consacrent chacune une exposition au dessin français du XVIIe siècle. M.B

Les dessins du XVIIe siècles s’affichent à Paris

Dessins français du XVIIe siècle du département des Estampes et de la photographie
BnF, site Richelieu (du 18 mars au 15 juin 2014)

Peupler les cieux – Dessins pour les plafonds parisiens au XVIIe siècle
Musée du Louvre (du 20 février au 19 mai 2014)

Alors que s’ouvre la Semaine du dessin à Paris, deux grandes institutions, la Bibliothèque nationale de France et le musée du Louvre, consacrent chacune une exposition au dessin français du XVIIe siècle. [M.B]

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Dessins français du XVIIe siècle du département des Estampes et de la photographie
BnF, site Richelieu – Galerie Mansart
Du 18 mars au 15 juin 2014

À l’occasion de la publication en ligne de l’inventaire des dessins français du XVIIe siècle conservés à la Réserve du département des Estampes et de la photographie, la Bibliothèque nationale de France présente une sélection de cent dessins et d’une cinquantaine d’estampes issus de ses collections. Souvent inédites et bénéficiant de réattributions récentes, ces œuvres graphiques réalisées par les plus grands artistes du XVIIe siècle – Martin Fréminet (1567-1619), Simon Vouet (1590-1649), Philippe de Champaigne (1602-1674), Eustache le Sueur (1616-1655), Charles Le Brun (1619-1690) – donnent au visiteur un formidable aperçu des plus fines réalisations, du règne d’Henri IV à la mort de Louis XIV.

Martin Fréminet (1567-1619), La Sibylle Erythrée Plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blanc © BnF, département des Estampes et de la photographie

Martin Fréminet (1567-1619), La Sibylle Erythrée
Plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blanc
© BnF, département des Estampes et de la photographie

Autour d’un parcours chronologique extrêmement clair et didactique qui présente les évènements marquants des trois règnes du XVIIe siècle, l’accrochage permet un panorama les nombreux genres abordés par les artistes : portraits, compositions funéraires, projets architecturaux, illustrations d’almanachs ou images satiriques. Chaque œuvre bénéficie d’une notice détaillée, la décrivant et la resituant dans un contexte plus général. La principale originalité de cette exposition est de confronter dessins préparatoires et estampes, mettant ainsi le rôle d’interprétation du graveur, souvent peintre également, au centre du propos. C’est ainsi que la BnF a eu la bonne idée de mettre à disposition des visiteurs des loupes afin d’apprécier la minutie des estampes présentées, notamment celles de Jacques Callot (1592-1635), également auteur d’études à la pierre noire et au lavis pleines de liberté. La représentation de la procession du Carrosse du corps de la reine Marie-Thérèse d’Autriche lors de son entrée à Paris le 26 août 1660 à partir d’un dessin de Nicolas Cochin (1610-1690?) est impressionnante dans son attention aux détails.

Si les règnes d’Henri IV et de Louis XIII sont déjà riches en réalisations, c’est sous Louis XIV que les arts – graphiques notamment – atteignent leur apogée grâce, d’une part à la multiplication des travaux de décorations et d’autre part, au développement de l’édition. C’est ainsi, par exemple, que sont présentées plusieurs dessins de “figures de modes”, à l’origine des estampes qui font le succès de la famille Bonnard sous le règne de Louis XIV et montrent des personnages du monde du théâtre, de la danse ou de l’opéra. On apprend également que le Roi Soleil pratiquait lui-même le dessin sous la direction de Simon Vouet, comme le montre un charmant Portrait d’homme provenant de la collection du comte de Caylus.

Robert Bonnart (1652-1733), La Peinture. Sanguine © BnF, département des Estampes et de la photographie

Robert Bonnart (1652-1733), La Peinture. Sanguine
© BnF, département des Estampes et de la photographie

Comment parler du règne de Louis XIV sans évoquer son premier peintre ? Une section entière de l’exposition est consacrée à Charles Le Brun, mettant en lumière des travaux préparatoires méconnus. Parmi un ensemble de dix-sept dessins, on découvre ainsi les débuts du peintre, notamment à travers des travaux de jeunesse destinés à la gravure datant des années 1640 : L’Espoir de la France et L’Oblation du dauphin. Plusieurs études à la sanguine révèlent la dextérité de Le Brun dans ce médium, qui reprend à sa manière les leçons de Simon Vouet.

Enfin, l’influence de Le Brun est perceptible chez les jeunes peintres qui collaborent avec lui sur les chantiers royaux du règne de Louis XIV, notamment Charles de la Fosse (1636-1716) et Jean Jouvenet (1644-1717) dont sont exposées ici des études pour de grands travaux aujourd’hui conservés au Louvre. Leur intérêt pour la couleur et l’apport des exemples vénitiens et flamands annonce déjà les débuts d’une autre époque.

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Peupler les cieux – Dessins pour les plafonds parisiens au XVIIe siècle
Musée du Louvre, Département des arts graphiques – Aile Sully, 2e étage, salles 20 à 23
Du 20 février au 19 mai 2014

Alors que la question des décors est abordée à la BnF à travers plusieurs dessins pour les Tuileries et des lambris peints par Charles Errard (entre 1601 et 1607 – 1689) pour l’hôtel Tubeuf-Mazarin, le département des arts graphiques du Musée du Louvre en a fait le sujet principal de son exposition printanière. Dans l’exposition dont elle a la charge, l’historienne de l’art Bénédicte Gady (qui a également participé au catalogue de l’exposition de la Bibliothèque nationale de France) s’intéresse plus particulièrement aux dessins préparatoires pour le décor des plafonds parisiens au XVIIe siècle.

Quatre-vingts dessins et estampes issus des collections du Musée du Louvre et de quelques collections parisiennes ont été soigneusement sélectionnés afin de montrer l’importance du dessin dans les projets créatifs de plafonds parisiens au cours du Grand Siècle, en s’attardant sur quatre lieux emblématiques : le Louvre, les Tuileries, le Palais Mazarin et l’hôtel Lambert. Les œuvres graphiques présentées visent à mieux faire comprendre le processus créatif de l’artiste, des premières ébauches aux modèles détaillés qui parfois identifient les différents corps de métiers impliqués dans la réalisation finale. Ainsi on peut apprécier les différentes étapes du travail d’Eustache Le Sueur pour le cabinet de l’Amour à l’hôtel Lambert. Les grands décors civils constituent alors une des principales sources de revenu des artistes. C’est ainsi que l’on retrouve parmi les dessinateurs exposés les grands noms de la peinture du XVIIe siècle : Nicolas Poussin (1594-1665), Charles Le Brun ou encore Antoine Coypel (1628-1707).

Témoignages exceptionnels et parfois uniques, certains dessins ont une valeur inestimable en raison de la disparition des décors qu’ils ont inspirés, comme l’Etude pour la chambre à coucher de la reine aux Tuileries récemment identifiée parmi les anonymes français et attribuée à Jean Nocret (vers 1615-1672). On retiendra également les relevés réalisés par Jules Frappaz (1813-1876) des décors des plafonds de l’appartement d’hiver du Cardinal Mazarin aujourd’hui disparus, bien que d’une qualité graphique assez médiocre.

Jean Nocret, Projet de plafond. Etude pour la chambre à coucher de la reine aux Tuileries ? Graphite, sanguine. H. 475, l. 405mm. Paris, Musée des Arts Décoratifs, Inv. 2170 © Les Arts décoratifs / Jean Tholance, tous droits réservés - en attente de visuel de plus haute résolution

Jean Nocret, Projet de plafond. Etude pour la chambre à coucher de la reine aux Tuileries ? Graphite, sanguine. H. 475, l. 405mm. Paris, Musée des Arts Décoratifs, Inv. 2170 © Les Arts décoratifs / Jean Tholance, tous droits réservés – en attente de visuel de plus haute résolution

Sous l’influence des peintures d’Annibal Carrache (1560-1609) pour la galerie Farnèse à Rome, le plafond parisien évolue à partir des années 1640 : devenant plus complexe par la compartimentation de l’espace et l’articulation entre les différents registres, le plafond “à l’italienne” présente des surfaces peintes plus vastes qui laissent aux peintres la possibilité de laisser libre cours à leur imagination. Les plafonds qui s’ouvrent vers le ciel laissent la part belle aux figures allégoriques et aux angelots virevoltants. Ainsi, devant leur feuille de papier, certains artistes, comme Antoine Dieu (vers 1662-1727), se projettent vers le décor final, envisageant l’impressionnant effet de contre-plongée.

Antoine Dieu, Projet de plafond. Sanguine, plume et encre grise, lavis gris. H. 243, l. 355mm. Paris, collection Part © coll. part.

Antoine Dieu, Projet de plafond. Sanguine, plume et encre grise, lavis gris. H. 243, l. 355mm. Paris, collection Part © coll. part.

Les dessins distinguent souvent les parties principales des parties secondaires, ornementales, des plafonds décoratifs, suggérant une répartition des tâches entre peintres et décorateurs ou une réalisation en deux temps. Certains feuilles proposent plusieurs alternatives à un même projet, laissant un choix au commanditaire. Pour ce qui est du vocabulaire ornemental, les artistes peuvent s’appuyer sur des traités de perspectives et recueils gravés dont la diffusion fait également le bonheur des collectionneurs de l’époque.

Charles Le Brun, L’Apothéose d'Hercule. Projet pour la galerie de l’hôtel Lambert. Pierre noire, plume et encre brune, rehauts de lavis brun, de lavis de sanguine et de blanc. Mis au carreau à la pierre noire, avec quelques traits de sanguine. H. 326 ; l. 460 mm. Paris, musée du Louvre, Inv. 27684 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

Charles Le Brun, L’Apothéose d’Hercule. Projet pour la galerie de l’hôtel Lambert. Pierre noire, plume et encre brune, rehauts de lavis brun, de lavis de sanguine et de blanc. Mis au carreau à la pierre noire, avec quelques traits de sanguine. H. 326 ; l. 460 mm. Paris, musée du Louvre, Inv. 27684 © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

Parmi les pièces d’intérêt de cet accrochage, citons l’ensemble d’une vingtaine de dessins de plafonds non attribués et composant à l’évidence une suite. Donnée au “Maître du demi-plafond”, cette série de dessins, dont certains empruntent à la même source, est loin d’avoir dévoilé tous ses mystères puisqu’on ne sait quelle en était la destination.

Après cette charmante et ô combien passionnante incursion dans les décors parisiens du XVIIe siècle, il va sans dire que le visiteur curieux est encouragé à voir ou revoir les décors qui subsistent de cette époque. Et à consulter le très documenté catalogue qui accompagne cette élégante exposition de dessins anciens exposés trop rarement. Espérons que les souhaits du nouveau directeur du département des arts graphiques du musée du Louvre, Xavier Salmon, de dédier un espace permanent aux collections d’art graphique verront leur réalisation pour le plus grand plaisir de nos yeux.

le 24 mars 2014, Marion Doublet

Peupler les cieux – Dessins pour les plafonds parisiens au XVIIe siècle
Musée du Louvre, Département des arts graphiques – Aile Sully, 2e étage, salles 20 à 23
Du 20 février au 19 mai 2014
 
Dessins français du XVIIe siècle du département des Estampes et de la photographie
BnF, site Richelieu – Galerie Mansart
Du 18 mars au 15 juin 2014

Étiquettes : , , Dernière modification: 1 juin 2020
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