Rédigé par 18 h 20 min CDs & DVDs, Critiques

“La lueur puissante de Ra”

Sésostris III (1878 – 1854) fut un des grands monarques de la XIIème dynastie. Sous la lumière de sa double couronne, l’Egypte classique atteint l’acmé de la puissance, du développement économique et de la culture. Sésostris III demeure un des monarques les plus célèbres de l’histoire des Pharaons.

Domènec TERRADELLAS (1713-1751)

Sesostri, rè d’Egitto (1751)


Sesostri – Sunhae Im – soprano
Nitocri – Alexandrina Pendatchanska – mezzo-soprano
Amasi – Kenneth Tarver – ténor
Artenice – Ditte Andersen – soprano
Fanete – Tom Randle – ténor
Orgonte – Raffaela Milanesi  -Mezzo-Soprano 

Real Companya de Opera de Camara
Direction Juan Bautista Otero 

3 CDs, RCOC Records, 2012.

[clear]Sésostris III (1878 – 1854) fut un des grands monarques de la XIIème dynastie. Sous la lumière de sa double couronne, l’Egypte classique atteint l’acmé de la puissance, du développement économique et de la culture. Sésostris III  demeure un des monarques les plus célèbres de l’histoire des Pharaons. Comme il est d’usage dans le monde baroque dont l’inspiration prend pâture des faits de l’antiquité pour transmette une morale, Apostolo Zeno, le poeta cesareo crétois et célèbre par ses livrets d’opéra aux saltimbanques sentimentaux écrit son Sesostri en s’inspirant vaguement de l’histoire antique de cet Egypte doré et magique.

Bien qu’en 2012, le pays du Nil fait davantage parler du chaos et des désordres de la Place Tahrir que des  monarques de son passé solaire, la recréation et la gravure au disque d’un opéra consacré à un souverain égyptien autre que Cléopâtre VII suscite notre curiosité, surtout si la musique est composée par le divin Domenec Terradellas.

Poursuivant sa série dédiée à la redécouverte du compositeur catalan dont nous avions goûté l’Artaserse (RCOC, 2008), Juan Baustista Otero et sa Real Companya de Opera de Camara enregistrent le dernier opéra séria de Terradellas. Cette partition est symbolique, étant un des plus grands succès du catalan et aussi sa dernière composition puisque c’est en sortant du théâtre le soir de la triomphale première que Domenec Terradellas  se fait assassiner par des mystérieux sbires que d’autres ont voulu commandités par le jaloux Niccolo Jommelli. Si les anecdotes de rivalités musiciennes sont croustillantes et les compositeurs baroques ne sont aucunement épargnés par des morts mystérieuses, Terradellas intègre la série noire des génies musicaux morts violemment, à l’époque baroque n’oublions pas que Jean-Marie Leclair est retrouvé poignardé sur le bas de sa porte et que le délicieux Leonardo Vinci a été sans aucun doute empoisonné.

Domenec Terradellas faisait avec ses superbes compositions une ombre considérable au romain, dont les éclats de rage et de jalousie étaient proverbiaux. Ce Sesostri s’avère d’une richesse orchestrale et d’une modernité ahurissantes : par rapport à l’Artaserse de 1744, Terradellas sort du moule de l’opera séria avec des couleurs étonnantes et donne une place extrêmement intéressante aux voix de ténor qui en Amasi et Fanete développent un dramatisme absolu et efficace. Par rapport à la partition vénitienne de 1744, Terradellas a mûri son style et s’adapte au style romain tardif qui préfigure étonnamment les génies de Cimarosa, Paisiello et même des Zingarelli ou autres Generali. On ne le dit pas assez, mais l’influence des compositeurs de ce milieu du XVIIIe siècle est essentielle pour la construction du style dramatique et orné qui aboutira à Rossini voire Verdi. Les graines du vérisme sont ainsi perceptibles dans les partitions tant de Jommelli que de Terradellas, la force harmonique, la présence d’intrigues bien ficelées et cohérente, tournent le dos à l’ancien et interminable opéra séria dont les saltimbanques le rapprochaient beaucoup du merveilleux mais l’éloignaient de la réalité.

Recréé en décembre 2010 à l’Auditori de Catalogne, Sesostri a retrouvé entre les mains de Juan Bautista Otero et de son équipe une force incroyable, une jeunesse exceptionnelle et une puissance colorée que peu d’ensembles baroques peuvent donner. Les plus belles pages de la partition ressortent efficacement par un sens stylistique et rendent à Terradellas son originalité.

 

© RCOC

Pour couronner cette réalisation, le plateau vocal est pléthorique de nuances et de merveilleuses voix. Dans le rôle titre, la délicate et gracieuse Sunhae Im campe un Sesostri guerrier et puissant dans l’éclat de sa jeunesse, impériale dans la vocalise et généreuse dans les ornements ; on ne cessera jamais de le dire, c’est l’une des meilleures voix actuelles pour l’évocation et le théâtre.

Son pendant un peu plus sombre  est la divine Alexandrina Pendatchanska au jeu de tragédienne spectaculaire, aux parfaits ornements, à la voix veloutée aussi ambrée que les yeux du tigre et aux graves noirs de jais perçant dans l’aigu. Elle campe la mater dolorosa Nitocri aux accents qui rappellent son homonyme du Belshazzar haendélien, pleins des frissons passionnels de la tragédie, du sentiment et de la grandeur.

Dans les rôles de ténor, Kenneth Tarver (Amasi) et Tom Randle (Fanete), survolent avec aisance les difficultés de la partition. Si certains airs ont des écarts impressionnants, même plus importants que les airs originellement composés pour les castratti, les deux ténors nous ravissent malgré parfois quelques petits accrocs dans l’aigu mais toujours une intelligence parfaite de l’ornementation, du legato et une force interprétative qui se signale à chaque intervention. La modernité de Terradellas est d’ailleurs aussi d’avoir confié des airs de bravoure à des voix de ténor, ce qui préfigure les magnifiques airs de J.C. Bach dans sa Clemenza di Scipione ou les airs surhumains du Mitridate de Mozart. Enfin, dans des rôles secondaires, Ditte Andersen à la voix claire et la sublime Raffaella Milanesi nous ravissent par une prestation aussi précise que raffinée.

La palette de Terradellas convient tout à fait aux nuances subtiles des musiciens de la Real Companya de Opera de Camara, dont nous admirons la puissance, la passion dans les attaques – sans exagération ni violence faite à la partition. L’orchestre accompagne les voix avec maîtrise et humilité, sans jamais couvrir les ornements, sertissant les airs dans un écrin riche et raffiné. Juan Bautista Otero, de sa direction puissante et précise, rend l’œuvre cohérente et grandiose. Aussi nous saluons cette nouvelle réalisation dans le plus grand respect du style et de l’œuvre, et regrettons que Juan Bautista Otero et sa RCOC ne soient pas invités plus souvent dans les grandes salles parisiennes.

Pedro-Octavio Diaz

Technique : prise de son claire et équilibrée.

Étiquettes : , , , , , Dernière modification: 21 juillet 2020
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