« I put a spell on you »
1. Incantation sur un sonnet de Pétrarque °
2. Take, oh take those lips away (John Wilson, 1653)*/**
3. Cry Me a River (Arthur Hamilton, 1953)
4. Come again (John Dowland, 1597)
5. Bewitched, Bothered, and Bewildered (Richard Rodgers & Lorenz Hart, 1940)
6. My Favorite Things (Richard Rodgers & Oscar Hammerstein II, 1959)*
7. C’est un amant, ouvrez la porte (Anonyme, 1609)*
8. Hush no more (Henry Purcell, 1692)
9. It’s Oh So Quiet (Hans Lang & Bert Reisfeld, 1948)
10. Still I am grieving (John Eccles, 1694)*/**
11. Non si scherzi con Amore (Stefano Landi, 1627)*
12. I Put a Spell on You (Jay Hawkins, 1956)
°composition originale par Ellen Giacone
*composition additionnelle et **arrangement par Srdjan Berdovic
Body & Soul Consort :
Ellen Giacone, voix et direction artistique
Srdjan Berdovic, archiluth,
Krzysztof Lewandowski, cornet muet, guitare basse et cervelas
Adrien Alix, viole de gambe et contrebasse
Srdjan Ivanovic, batterie
Le Concert Latin 2021
Et si, pour commencer 2022, nous nous offrions le plaisir d’une petite digression ? Avant l’ouïe, ce fut l’œil qui fut interpellé par la photo de pochette d’un disque hybride à plus d’un titre. Une jeune femme y est accoudée au rebord d’une piscine, comme échappée du Palm Spring des années 50 ou des hauteurs de Mulholland Drive et dont le grain, marqué et légèrement surexposé fera penser aux clips de Lana Del Rey.
Voici un disque expérimental et dont le volet contemporain échappe en partie à notre champ de couverture. Le titre du disque « I Put a Spell on you, remettra immédiatement en tête un standard de Nina Simone, à défaut de son auteur et premier interprète, Screamin’ Jay Hawkins. Rien d’a priori très baroque dans ce premier disque du Body & Soul Consort, crée en 2018 autour de la soprano Ellen Giacone, menant en parallèle de ce projet une carrière lyrique des plus prometteuses. Distiller une habile mixologie entre jazz et baroque est l’ambition affichée de cet ensemble qui se joue au fil d’une douzaine de titres de toutes les étiquettes et s’offre toute les libertés, le plus souvent pour notre plus grand plaisir, parfois au risque d’une hétérogénéité un peu forcée.
Ouvrant le programme sur une incantation tirée d’un sonnet de Pétrarque, la voix aussi pure que cristalline d’Ellen Giaccone fait merveille, habile à rendre palpable l’intimité de la composition et dont les arrangements, discrets mais essentiels ne sont pas sans rappeler les extatiques airs du très contemporain Requiem de Zbigniew Preisner (1998). L’originalité première de cet album tient en effet à la grande variété d’inspiration des textes mis en musique, allant du susdit Pétrarque aux standards du jazz des années 1950 en s’offrant quelques détours du côté de Purcell (Hush no More) et de la musique élisabéthaine, tout en composant des arrangements faisant la part belle aux instruments anciens (viole de gambe, archiluth, cervelas…), qui subtilement accompagnent le chant, le soulignent et dans les passages solistes s’autorisent des dialogues avec guitare basse et batterie. Autant de passerelles jetées entre les styles et les époques qui malgré quelques vacillements trouvent le plus souvent un bel équilibre.
Bien qu’utilisant des instruments du répertoire baroque, les arrangements, signés par Srdjan Berdovic résonnent dans leur ensemble plutôt d’une tonalité jazzy, transcendant une composition du musicien anglais John Wilson de 1653 en quasi standard jazz sur fond d’archiluth (take, oh take those lips away).
Outre des airs tirés de compositeurs anglais (John Wilson, mais également John Eccles et John Dowland) le présent enregistrement réinterprète quelques standards de jazz avec une originalité réjouissante. Au-delà du déjà cité I Put a spell on you (Jay Hawkins, 1956), nous retrouvons d’autres compositions à nos oreilles connues, Cry Me a River (Arthur Hamilton, 1953) dont nous ne comptons plus les versions (de Aerosmith à Caetano Veloso, après avoir été créé par Julie London), et où Ellen Giacone étonne par la longueur sensuelle de sa voix, la dynamique et les articulations baroquisantes, alliée à des sonorités de dancing bar enfumé. It’s Oh So Quiet, autre classique crée par Betty Hutton et rendu inoubliable dans notre mémoire collective par Björk (bien que les mélomanes les plus aventureux se mettront en quête des adaptations par Ginette Garcin, ou Henri Salvador). My favorite things, souvenir du musical de Broadway La Mélodie du Bonheur et du film qui s’ensuivit (si il reste des nostalgiques, écrire à la rédaction) arrive à faire oublier la mièvrerie de ses origines.
Le Body & Soul Consort délivre donc un premier album à la fois original et ambitieux, qui souvent séduit, à défaut de tout le temps convaincre et prouve si besoin était que les sonorités de la musique baroque peuvent dans des partitions plus contemporaines démontrer une belle porosité. Ellen Giacone et ses acolytes poursuivront-ils cette piste du métissage ? Puriste du single malt s’abstenir. Amateur de blended, cet alliage un peu lunaire saura vous étonner.
Pierre-Damien HOUVILLE
Étiquettes : Muse : coup de coeur, Pierre-Damien Houville Dernière modification: 12 janvier 2022